Analyse

Libye : Les dessous de la rencontre secrète entre Méchri et Aguila (Analyse)

- Le président de la chambre des députés, Aguila Salah, cherche de nouvelles alliances pour faire face au rapprochement entre Haftar et Bachagha et vise à faire chuter le gouvernement et le Conseil présidentiel actuels, en accord avec Méchri

Mustapha Dalaa  | 10.01.2022 - Mıse À Jour : 10.01.2022
Libye : Les dessous de la rencontre secrète entre Méchri et Aguila (Analyse)

Istanbul

AA / Istanbul
La rencontre secrète qui a réuni, au Maroc, Khaled Méchri, président du Haut Conseil d’Etat, avec Aguila Salah, président de la chambre des députés, constitue, directement ou indirectement, un pas sur la voie du rétablissement du partenariat politique entre les deux conseils mais renferme aussi des visées différentes pour chacune des parties.

L’expérience de l’appropriation exclusive par la chambre des députés dans l’élaboration des lois électorales et en matière de supervision du processus électoral, en coordination avec la Haute Instance pour les élections et avec le soutien des Etats-Unis d’Amérique et de leurs alliés, a lamentablement échoué. Cela s’est illustré après la non-tenue de l’élection, prévue initialement le 24 décembre écoulé.

En effet, l’organisation des élections sans association du Haut Conseil d’Etat (Législatif consultatif), qui représente la légalité dans la région ouest du pays, représente l’une des raisons qui entravé la tenue du scrutin et c’est cette conviction à laquelle est parvenue, implicitement la Commission électorale chargée du suivi de la mise en œuvre de l’opération électorale.

Parmi les recommandations suggérées par ladite Commission électorale est son appel à « mettre en place une nouvelle feuille de route applicable et avec un échéancier préétabli dans un cadre constitutionnel…et à amender le projet de Constitution par l’entremise d’un comité technique désigné par la chambre des députés avec une participation équitable du Conseil d’Etat ».

Depuis l’échec constaté de la Commission du Dialogue politique dans l’élaboration de la « Règle constitutionnelle » au cours de ses réunions tenues dans la ville suisse de Genève, l’été dernier, c’est la première fois que la chambre des députés évoque l’association du Haut Conseil d’Etat à l’amendement du projet de Constitution, sans évoquer les lois électorales dont le Conseil réclame de faire partie, et ce sur la base de la teneur de l’Accord politique.

La réunion secrète entre Méchri et Aguila, tenue la semaine passée, et qui a été dévoilée par des médias locaux internationaux, intervient dans un contexte particulier, à savoir celui de la recherche de l’élaboration d’une nouvelle feuille de route et du traitement des problèmes qui ont entravé la tenue des élections à la date initialement prévue.

Bien que Méchri se soit entretenu avec Aguila en sa qualité de président de la chambre des députés, il convient de noter que ce dernier n’a pas annoncé officiellement sa récupération de la présidence de la chambre, au terme d’une suspension pour cause de candidature à l’élection présidentielle qui n’a pas eu lieu.

Cela explique, en partie, le caractère secret de la rencontre tenue au Maroc entre les deux hommes, pour éviter l’embarras et toute équivoque qui ont été soulevés au cours de la visite de Aguila Salah en Algérie, en sa qualité de président du parlement, trois mois avant la date de l’élection, et ce dans une contradiction totale avec une loi qu’il a lui-même promulguée.
Le député Zied D’hghim (de la région est) avait mis en garde Aguila Salah que son retour au poste de président du parlement l’éliminera de la course électorale.

En effet, la loi relative à l’élection présidentielle, qui a été promulguée par Aguila Salah sans vote des députés, dispose dans son article 12 que le fonctionnaire gouvernemental doit démissionner de son poste, trois mois avant la date des élections.

C’est pour cela que la rencontre entre Méchri et Aguila était informelle mais fondée sur le pouvoir et l’influence dont dispose l’homme fort de l’est au sein de la chambre des députés, quand bien même il est absent. De même, Aguila Salah a un poids tribal certain dans la région orientale, en particulier, dans la ville de Torbouk, qui accueille les réunions du parlement.

Aucun détail n’a été dévoilé au sujet de cette réunion de même qu’aucun élément tangible n’a été divulgué quant à un éventuel accord sur une nouvelle feuille de route ou encore sur la formation d’un nouveau gouvernement.

Toutefois, Abdelkader Jouili, membre du Haut Conseil d’Etat a, dans une déclaration faite à une chaîne de télévision locale, indiqué qu’il ressort du secret qui entoure cette réunion que Aguila et Méchri auraient convenu de partager le pouvoir.

La page officielle du Haut Conseil d’Etat sur le réseau social « Facebook » n’a pas évoqué la rencontre entre Aguila et Méchri. Toutefois, un communiqué a été publié, mercredi, par le Bureau du Conseil qui mentionne que « l’accent a été mis sur l’impératif de hâter la prise de mesures palpables afin de parachever le processus électoral et constitutionnel, à travers le referendum sur la Constitution, la promulgation de lois consensuelles en vue de mettre fin aux phases transitoires ».

La mention de « hâter la prise de mesures palpables » dénote qu’un accord quelconque a été conclu pour accorder la priorité au referendum et l’acceptation de la chambre des députés d’impliquer le Haut Conseil d’Etat dans l’institution des lois électorales.

Néanmoins, il n’est pas clair quelle serait la contrepartie obtenue par Aguila pour qu’il cède sur l’exclusion du Conseil d’Etat dans l’élaboration des lois électorales et en matière de priorité du referendum sur la constitution avant d’aller aux élections.

Aguila Salah fait partie des personnalités favorables à la chute du gouvernement d’Union et du Conseil présidentiel et cela ne sera possible qu’avec l’aval de Méchri et du Conseil d’Etat.
L’ancien conseiller politique du Haut Conseil d’Etat, Achraf Choh, a évoqué des contacts entre Méchri et Aguila, à l’initiative de l’ancien ministre de l’Intérieur, Fathi Bachagha, pour former un nouveau Conseil présidentiel qui sera présidé par Aguila Salah avec Méchri comme membre, tandis que Bachagha dirigera le nouveau gouvernement. De plus, les élections seront reportées de 24 mois.

Méchri a démenti la véracité des informations faisant état de sa tentative de former une nouvelle autorité exécutive mais a reconnu l’existence de contacts avec Aguila, « en sa qualité de président de la chambre des députés », pour identifier une solution au blocage actuel du processus électoral. Il a, aussi, lâché, qu’il se pourrait qu’il rencontre Aguila en Turquie ou en Egypte, avant qu’ils ne se réunissent par la suite au Maroc.

Il est remarquable que Aguila n’a pas assisté à la réunion à laquelle avait appelé le général à la retraite Khalifa Haftar, dans la ville de Benghazi, et qui avait réunion plusieurs candidats à la Présidentielle, dont Bachagha et Ahmed Ma’tig, vice-président de l’ancien Conseil présidentiel.

Jusqu’à présent, la raison d’absence de Aguila de la réunion des candidats présidentiels, à Benghazi, n’est pas encore connue, bien qu’il soit connu d’être proche de Haftar, ce qui a généré un différend entre les deux hommes.
Toutefois, selon des informations fuitées par une source libyenne responsable, informations consultées par AA, Haftar se serait opposé à la candidature de Aguila à l’élection présidentielle, mais ce dernier avait insisté à s’y engager.

Même après l’intervention de l’Égypte pour jouer le rôle de médiateur entre les deux personnalités, en les accueillant au Caire, et la tentative des responsables égyptiens de convaincre Aguila Salah de se retirer de la course à la présidentielle, il n’en demeure pas moins que ce dernier a campé sur ses positions, selon la même source.

La même source dévoile que Haftar a tenté, en mettant à contribution ses milices, à entraver l’opération de collecte par Aguila des signatures requises pour son dossier de candidature à la présidentielle, et qui sont au nombre de cinq mille, ce qui expliquerait les difficultés rencontrées par Aguila dans la collecte des signatures.

Il ressort de ces fuites que la relation entre les deux hommes n’est pas assez solide comme certains le pensaient ou le véhiculaient. En effet, Haftar pense que le fait que Aguila Salah s’engage dans la course affaiblirait ses chances de succès, en particulier dans la région est du pays et veut empêcher à tout prix l’entrée en lice de personnalités dans ce scrutin, qu’il s’agisse de Seif al-Islam Kadhafi ou Adelhamid Dbeibeh, Chef du gouvernement d’Union voire Aguila Salah.

Aguila a rétorqué au rapprochement entre Haftar et Bachagha par un rapprochement similaire avec l’un de ses plus farouches adversaires, ce qui laisse entrevoir une carte de nouvelles alliances qui varie selon le changement des intérêts et des données sur le terrain.

*Traduit de l'arabe par Hatem Kattou









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