Analyse

Libye : Al-Manfi et Dbeibah à la recherche d'un consensus international, indépendamment des axes (Analyse)

ـ Au cours de ce premier mois de travail, le nouveau pouvoir exécutif libyen a œuvré à éviter la polarisation et les tiraillements entre les axes, tout en s’employant à s'attirer l'adhésion de tous les pays influents dans sa crise intérieure

Mustapha Dalaa  | 21.04.2021 - Mıse À Jour : 21.04.2021
Libye : Al-Manfi et Dbeibah à la recherche d'un consensus international, indépendamment des axes (Analyse)

Istanbul


AA / Istanbul

Un mois après l'investiture officielle des membres du Conseil présidentiel libyen et du Chef du gouvernement d'Union nationale, en date du 16 mars dernier, les contours de la politique étrangère du nouvel exécutif se déterminent au fur et à mesure, alors qu'elle faisait l'objet d'interrogations et de questionnements auparavant.

En effet, Mohamed Al-Manfi, président du Conseil présidentiel, et Abdelhamid Dbeibah, Chef du gouvernement d'Union nationale, se sont rendus aux principales capitales concernées par le dossier libyen, ou ont reçu d'autres chefs d'Etat et de gouvernement dans la capitale Tripoli, et ce indépendamment des divergences des positions de ces pays par rapport à la crise libyenne.

Al-Manfi et Dbeibah ont visité la Turquie, la France, la Russie, l'Egypte, les Emirats, l'Arabie Saoudite, le Koweït, l'Italie et la Grèce, de même qu’ils ont reçu à Tripoli le président tunisien, Kaïs Saïed, le nouveau président du Conseil italien, Mario Draghi, ainsi que les ministres des Affaires étrangères de plusieurs pays, dont l'Allemagne.

Les responsables libyens ont œuvré à mobiliser le plus large consensus international aux fins d'appuyer le Plan de paix onusien visant à organiser des élections présidentielle et législatives, le 24 décembre prochain, à stabiliser l'accord de cessez-le-feu et à aller de l'avant sur la voie de la réconciliation interne.

La dimension économique et diplomatique n'était pas absente de ces déplacements et cela s'est illustré à travers l'appel à renforcer le partenariat économique et à encourager les pays visités à rouvrir leurs ambassades et à reprendre les vols à destination des différents aéroports internationaux de Libye.

Affirmer les accords maritime et sécuritaire avec la Turquie


Ce qui suscité le plus l'intérêt des observateurs de la nouvelle politique étrangère libyenne était la position du pays à l'endroit des deux Accords sécuritaire et de délimitation des frontières maritimes signés le 27 novembre 2020.

La Turquie continue d'offrir son appui en termes de conseil militaire et de formation pour l'armée libyenne, conformément à l'Accord sécuritaire conclu entre les deux pays.

La Grèce s'était opposée avec force à l'Accord de délimitation des frontières maritimes et est allée jusqu’à expulser l'ambassadeur libyen, qui était en poste à l'époque à Athènes, et qui n'est autre que Mohamed Al-Manfi, devenu par la suite président du Conseil présidentiel.

Dbeibah a tranché la question lorsqu'il avait affirmé à maintes reprises que l'Accord de délimitation des frontières maritimes s'inscrit dans l'intérêt de son pays. La dernière affirmation a été faite lors de la conférence de presse coanimée avec le président turc Recep Tayyip Erdogan.

Dbeibah avait déclaré, à l'époque : « Concernant les accords conclus entre nos deux pays, en particulier, ceux portant sur la délimitation des frontières maritimes, nous affirmons que ces conventions servent les intérêts de nos deux pays, étant basés sur des fondements sains et solides ».

Au moment où Dbeibah était en Turquie, avec une délégation inédite composée de 14 ministres, le chef de la diplomatie grecque, Nikos Déndias, visitait la ville de Benghazi (est) où il avait rencontré le vice-Premier ministre libyen Houcine Kotrani et le président de la Chambre des députés, Aguila Salah, pour discuter de la redélimitation des frontières maritimes.


S’en est suivie la visite d'Al-Manfi à Athènes, où il s'était entretenu avec les responsables grecs et tenu à clarifier que « le Conseil présidentiel n'est pas habilité, conformément à l'Accord de Genève, de conclure des conventions », démentant au passage des informations véhiculées par les médias, au sujet de sa signature d'un Accord de délimitation des frontières maritimes avec la Grèce.


Expulser les mercenaires


L‘un des dossiers sensibles qui soulèvent le plus de débats est celui des mercenaires. Le gouvernement libyen a appelé les mercenaires et les combattants étrangers à quitter le pays et exhorté la Communauté internationale à le soutenir pour assurer leur départ de son territoire.


Les mercenaires de la Compagnie Wagner continuent à renforcer leurs positions dans le centre et le sud de la Libye et à creuser des tranchées entre les provinces de Syrte et d’al -Joffra (centre) tout en effectuant des sorties aériennes à partir de la base de Tamenhent.


Dbeibah a soulevé la question de « l’expulsion des mercenaires » avec les responsables russes, lors de sa visite à Moscou, où il a réclamé d’exercer une pression sur Wagner pour qu'elle quitte le territoire libyen sans pour autant recevoir de réponse décisive.

Pour ce qui est des mercenaires janjawid, le premier vice-président du Conseil de souveraineté transitoire au Soudan, Mohamed Hamdan Doglo alias Hemidti, a affirmé, au cours de sa rencontre avec le président du Conseil d'Etat libyen, Khaled Mechri, au Niger, qu'en cas de présence d’un Soudanais en Libye sans l'autorisation des autorités libyennes, il est considéré comme étant un « mercenaire ».

Par ailleurs, les pressions internationales ont poussé les mercenaires tchadiens représentés par le « Front d'Alternance et de Consensus » à retirer ses éléments de Libye et à attaquer les forces tchadiennes dans la zone montagneuse et désertique de Tibesti, avec comme but de renverser du Régime de Idriss Déby, tué le 20 avril courant.

La saison du retour des ambassades


L'un des principaux objectifs auxquels aspire la diplomatie libyenne consiste à encourager les pays à rouvrir leurs ambassades à Tripoli, afin de livrer leurs prestations aussi bien à leurs concitoyens qu’aux Libyens.

La plupart des pays ont fermé leurs représentations diplomatiques en Libye au cours des dernières années, à l'exception de la Turquie et de l'Italie, tandis que la France a décidé, récemment, de rouvrir son ambassade, après la visite d'Al-Manfi à Paris.

La ministre libyenne des Affaires étrangères Najla Mangouch a souligné, au cours d'une conférence de presse coanimée avec le président du Conseil européen, Charles Michel, la nécessité que tous les pays rouvrent leurs ambassades en Libye, pour fournir leurs services, de manière rapide, aux citoyens libyens ainsi qu’aux étrangers.


Mangouch a annoncé que la Grèce, les Pays-Bas et l'Espagne rouvriront prochainement leurs ambassades à Tripoli.

De même, plusieurs pays voisins de la Libye ont exprimé leur volonté de rouvrir leurs représentations diplomatiques dans un avenir proche, en particulier l'Egypte, l'Algérie, la Tunisie et Malte.

Une coopération économique fondée sur l'énergie


Le gouvernement de Dbeibah s'active pour parachever plusieurs projets suspendus, notamment, dans le secteur de l'énergie électrique, un domaine qui revêt un caractère urgent, en particulier à l'approche de la saison estivale, rythmée durant les années écoulées par des interruptions itératives et pour de longues périodes de l'électricité, ce qui a éreinté les citoyens, provoquant sporadiquement des protestations et des manifestations populaires.

C'est l'une des raisons qui a poussé Dbeibah à visiter la Turquie, tout en étant accompagné de la moitié des membres de son gouvernement. Il a signé en Turquie cinq accords, dont un mémorandum d’entente portant création de trois centrales électriques en Libye et d’un accord portant construction d'une nouvelle aérogare à l'aéroport international de Tripoli.

De même, la première réunion du Conseil turco-libyen de Coopération stratégique de haut niveau, créé en 2014, s'est tenue, ce qui reflète l'importance que confère le gouvernement d'Union nationale à la Turquie, en cette phase.

L'Italie a, également, affirmé la place de choix qu'occupe la Libye à ses yeux, comparativement à ses autres partenaires européens. La première visite du nouveau président du Conseil italien, Mario Draghi, qui occupe son poste depuis le 13 février dernier, a eu la Libye comme destination, le 6 avril courant.

Draghi a discuté avec Dbeibah de l'intensification de la coopération dans les secteurs de l'énergie et de l'électricité, dans la mesure où la compagnie italienne ENI d’hydrocarbures est la principale entreprise étrangère disposant d'investissements en Libye.

Toutefois, le président tunisien Kaïs Saïed a devancé tout le monde à travers sa visite à Tripoli. La Tunisie compte sur l'ouverture du marché libyen à ses produits, à ses entreprises et à sa main d'œuvre, afin de renforcer les échanges commerciaux entre les deux pays et d'absorber le chômage, en particulier dans les zones marginalisées du Sud du pays.

La diplomatie de la Covid-19
Depuis le premier jour de sa réunion avec les membres de son gouvernement, en date du 11 mars, immédiatement après son investiture par le parlement libyen, Dbeibah a critiqué la gestion du dossier de la Covid-19, tout en le plaçant en tête de ses priorités.

L'activité diplomatique qui a mené Dbeibah à plusieurs pays, en l'espace de quelques jours, a joué un rôle de premier plan dans l’obtention de 400 mille doses de vaccins anti- Covid-19, dont 150 mille doses octroyées par la Turquie, soit le 4ème lot acheminé à Tripoli, le 14 avril, après son retour d'Ankara.

La Libye a obtenu également plus de 100 mille doses de vaccins des Emirats et les autres lots seront acheminés en Libye, de manière successive, au cours des prochaines semaines.

Dbeibah a promis de fournir 1,4 millions de doses de vaccins, le plus rapidement possible, afin de les inoculer à l'ensemble des citoyens et des résidents dans le pays.

Ainsi, au cours de ce premier mois de travail, le nouveau pouvoir exécutif libyen a œuvré à éviter la polarisation et les tiraillements entre les axes, tout en s’employant à s'attirer l'adhésion de tous les pays influents dans sa crise intérieure, tout en s’attachant aux Accords maritime et sécuritaire conclus avec la Turquie.

Encourager ces pays à rouvrir leurs ambassades à Tripoli, la pression diplomatique exercée pour faire sortir les mercenaires tout en mettant l'accent sur la dimension économique dans les dossiers de l'énergie électrique et de la fourniture des vaccins anti-Covid, tels sont les principaux axes sur lesquels a travaillé le pouvoir exécutif libyen.

Si la première visite d'Al Manfi et Dbeibah a eu comme destinations successives et séparément, la France et l'Egypte, il n'en demeure pas moins que la plus importante visite, en termes de représentation et de conventions signées, est sans doute celle qui a amené le Chef du gouvernement d'Union nationale en Turquie.

*Traduit de l'arabe par Hatem Kattou


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