Politique, Analyse

Libye : Aguila Salah peut-il représenter une alternative à Haftar ? (Analyse)

S'il n’y a pas de doute que Salah est un moindre mal par rapport à Haftar, il ne représente néanmoins pas le choix optimal pour la paix et l’unité du pays.

Hatem Kattou  | 22.06.2020 - Mıse À Jour : 22.06.2020
Libye : Aguila Salah peut-il représenter une alternative à Haftar ? (Analyse)

Turkey

AA / Istanbul / Mustapha Dalaa

Son étoile a brillé au cours des dernières semaines et il a focalisé l’attention sur lui, aux plans national et international, après avoir réussi à déjouer le projet du général putschiste, Khalifa Haftar, qui lorgnait sur le pouvoir en Libye.

Il s’agit de Aguila Salah, président de la Chambre des députés de Tobrouk (est).

Cependant, Salah sera-t-il un le négociateur idoine au nom de la région orientale pour parvenir à une paix à même de reconstruire les institutions de l’Etat libyen et d’en consolider l’unité ?

S'il n’y a pas de doute que Salah est un moindre mal par rapport à Haftar, il ne représente néanmoins pas le choix optimal pour la paix et de l’unité du pays. Il n’en demeure pas moins que plusieurs pays ont commencé à voir en lui une alternative acceptable qui pourrait négocier avec le gouvernement légitime, qui rejette tout dialogue avec Haftar après que ce dernier ait fait capoter plusieurs accords et arrangements antérieurs.

Au cours des dernières semaines, le président algérien, Abdelmajid Tebboune, a accordé une audience à Aguila Salah, qui s’était rendu au Caire, à deux reprises, en un laps de temps assez court. Salah s’est également entretenu au téléphone avec le ministre russe des Affaires étrangères, Serguei Lavrov, le 26 mai écoulé.

Ces contacts internationaux ainsi que la mobilisation des tribus de Barqa (Cyrénaïque) à ses côtés, visent à retirer, progressivement, Haftar du paysage libyen, l’objectif étant d’éviter toute détérioration sécuritaire dans la région orientale du pays.

De plus, Salah s’est employé, au cours de son déplacement en Algérie, à rassembler les soutiens à la « Déclaration du Caire », dans la mesure où ladite Déclaration est quasiment similaire à l’initiative qu’il a présentée et qui vise à remanier la composition du Conseil présidentiel en y intégrant les trois grandes régions du pays (Tripolitaine, Cyrénaïque et Fezzan).

Mais l’Algérie, qui n’a pas annoncé officiellement son rejet de la « Déclaration du Caire », a tenu à souligner son attachement aux conclusions de la Conférence de Berlin, ce qui équivaut à l’échec de Salah à obtenir un appui pour son initiative de la part d'un pays fort, de surcroît frontalier de la Libye. Il a, néanmoins, réussi à glaner, ne serait-ce que tacitement, un soutien dans sa bataille silencieuse face à Haftar, qui n’a jamais eu les faveurs des responsables algériens.

** L’une des entraves à la paix

En dépit du rôle que pouvait jouer Salah, dans l’unification du pays pour rassembler les différents protagonistes, il a préféré prendre parti pour Haftar en se rangeant entièrement à ses côtés.

Bien qu’élu député à l’assemblée parlementaire lors du scrutin de 2014, puis président de la chambre, il n’en demeure pas moins que Aguila Salah a fait peu de cas de nombreuses règles démocratiques et de la Déclaration constitutionnelle, en s’emparant de la prise des décisions à la tête du parlement, à l’instar de la nomination de Haftar, ce personnage clivant et polémique, à la tête de l’armée sans consulter les parlementaires.

Même après la signature par les délégations de la chambre des députés de Tobrouk et du Congrès général de Tripoli, sous les auspices onusiens, de l’Accord de Skhirat, en date du 17 décembre 2015, Salah s’est obstiné à rejeter ledit accord, et s’est employé à en entraver la mise en œuvre par tous les moyens.

Salah est tombé, par ailleurs, dans un étrange paradoxe. D’une part, il refuse de céder les prérogatives du chef de l’Etat (notamment la nomination du commandant de l’armée) au Conseil présidentiel, conformément à l’Accord politique, et en même temps, il accepte la prorogation, d’une année, par le Conseil présidentiel, du mandat de la chambre des députés, après la fin de sa mission en 2015, et ce sur la base de la Déclaration constitutionnelle qui interdit une telle reconduction.

En effet, sans accord politique, le mandat de la chambre des députés s’achève, et partant, Aguila Salah perd toute légitimité constitutionnelle ou reconnaissance internationale. Néanmoins, Salah a continué à jouer sur les deux fronts en acceptant la prorogation d’une part et en rejetant l’accord de l’autre.

Cependant, en mai 2016, le département du Trésor américain a imposé des sanctions à Salah en l’accusant « d’entraver » à maintes fois le vote par la chambre des députés de l’appui au processus de transition politique en Libye.

L’Union européenne (UE) a pris une décision similaire, le 1er avril 2016, en dénonçant la politique de Salah « handicapant » l’action du gouvernement, ce qui en a fait à cette époque une personnalité « pestiférée » à l’échelle internationale , tel qu’il a été qualifié par l’un des responsables de Tripoli.

** Un président de parlement sans députés

Le parlement libyen compte en principe 200 députés. Cependant, 188 ont été élus en 2014 et les 12 sièges restants, réservés à la ville de Derna (1350 Km à l’est de Tripoli) sont restés vacants, la ville étant soumise, à l’époque, au diktat de groupes extrémistes qui estimaient que les élections étaient contraires aux préceptes de la religion.

La réunion de la majorité des membres du parlement dans la ville de Tobrouk (est), au lieu d’être investis de leur pouvoir par le Congrès général à Tripoli, et tenir les travaux du parlement de façon permanente dans la ville de Benghazi, conformément à la Déclaration constitutionnelle, tout cela a abouti à une crise constitutionnelle, particulièrement, après que plus de 50 députés s’étaient opposés et aient rejeté la tenue de l’Assemblée à Tobrouk. Parmi les principaux députés s’étant opposés à cela figure Fethi Bachagha, l’actuel ministre de l’Intérieur.

A chaque fois, le nombre des députés réunis à Tobrouk se réduisait, à l’exception d’une seule fois, après la signature de l’Accord politique à la fin de l’année 2015 et le retour des députés qui boycottaient la tenue des travaux, pour assister aux séances au début de l’année 2016.

Cependant, le harcèlement dont certains députés, opposés à Haftar, faisaient l’objet, et le fait que Aguila Salah ait placé des embûches sur la voie de l’adoption de l’Accord politique et l’approbation du gouvernement d’Entente, tout cela a généré l’absence de la majorité des députés des séances du parlement.

De plus, les élus représentants de la Région de la Cyrénaïque ont boycotté les séances de la chambre des députés dans le but d’exercer une pression sur leurs collègues afin de les amener à accepter leurs revendications consistant à appliquer le régime fédéral en Cyrénaïque et à accorder à cette région davantage d’autonomie par rapport à la capitale Tripoli.

Avec autant d’absence, Aguila Salah faisait face à un réel problème pour rassembler les députés afin d’approuver une série de lois importantes qui nécessitent la présence des deux tiers des membres pour atteindre le quorum, soit environ 120 députés au moins, ce qui s’était avéré impossible dans la majorité des cas, et a conduit à l’annulation de séances importantes.

Vu l’impossibilité d’atteindre le quorum dans les circonstances que traversait le pays en 2018, et malgré les pressions internationales exercées pour adopter la Loi sur les élections ainsi que le draft d’une nouvelle constitution approuvée par le Comité des 60, la Déclaration constitutionnelle a été transgressée pour faire adopter des projets de lois importants bien que le quorum n’ait pas été atteint.

Néanmoins, la crise qui a eu raison de la chambre des députés fut celle de l’annonce par Aguila Salah qu’il appuyait l’attaque lancée par Haftar contre la capitale Tripoli, au mois d’avril 2019, ce qui a suscité l’ire de la majorité des députés qui rejetaient l’agression contre la capitale.

Cette situation a provoqué la scission de la chambre des députés en deux parties. Un parlement à Tobrouk sous la conduite de Aguila Salah fort d’une quarantaine de députés et un second à Tripoli qui comprenait plus de 50 députés et qui est dirigé actuellement par Hammouda Siala.

Cependant, les scissions au sein de la chambre des députés de Tobrouk ne se sont pas arrêtées à ce stade. En effet, après que Haftar se soit autoproclamé dirigeant de la Libye, à la fin du mois d’avril 2020, et l’opposition de Salah à cette décision étrange, une quinzaine de députés ont pris fait et cause pour le premier tandis que seuls 12 députés ont soutenu le président du parlement.

Tout compte fait, sur un total de 200 députés, 6% seulement des parlementaires soutiennent toujours Aguila Salah, qui malgré cela, continue à s’exprimer en sa qualité de « président de la chambre des députés libyenne », bien qu’il ne dispose de cette qualité que la « reconnaissance internationale » que lui confère l’Accord politique, que son initiative tente de faire capoter.

Au lieu d’opter pour un discours inclusif et rassembleur de l’ensemble des courants et tendances du pays, Salah agit tel un chef tribal qui défend les intérêts de la Région de la Cyrénaïque, ce qui s’est illustré lors d’une allocution qu’il avait prononcée en présence des notables de la tribu d’al-Abidet, une des plus grandes tribus de l’est libyen à laquelle il appartient.

Même son initiative dans laquelle il évoque l’élection d’un représentant issu de chacune des trois régions du pays porte en elle les germes de la division, de la fragmentation et des quotas sur une base régionale, au lieu de s’employer à édifier un Etat fort loin de toute dimension tribale.

Ainsi, le pari international porté sur Aguila Salah en tant qu’alternative à Haftar ne parviendra pas à atteindre l’objectif escompté, sauf pour ses principaux soutiens (L’Egypte et la Russie). Tout ce qui peut être espéré consiste en l’élimination de Haftar de la scène en Cyrénaïque, mais il est peu probable de parvenir avec Aguila Salah à un accord de paix global sauf s’il garantit ses intérêts à la tête de l’Etat.

*Traduit de l’Arabe par Hatem Kattou

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