Politique, Analyse

Le rapprochement entre Ankara et le Caire sera-t-il bénéfique à l'opposition égyptienne? (Analyse)

- Des forces d'opposition, dont notamment la Confrérie des Frères musulmans, ont salué ce rapprochement et annoncé, pour la première fois, consentir à une médiation turque, au cas où elle serait proposée

Fatma Bendhaou  | 27.03.2021 - Mıse À Jour : 28.03.2021
Le rapprochement entre Ankara et le Caire sera-t-il bénéfique à l'opposition égyptienne? (Analyse)

Istanbul

AA / Istanbul


Depuis l'annonce par la Turquie, il y a de cela plus d’une semaine, d'efforts visant à favoriser un rapprochement entre Le Caire et Ankara, des forces d'opposition égyptiennes, dont la Confrérie des « Frères musulmans », ont salué cette mesure et affiché, pour la première fois, leur acceptation d'une médiation turque, au cas où elle serait proposée, pour résoudre une crise complexe en Egypte, qui perdure depuis plus de sept ans.
Dans les déclarations faites par les plus hauts responsables de la Confrérie des Frères musulmans, dont celle du Guide-adjoint, Ibrahim Mounir, et de deux autres opposants de premier plan, nombre d'observateurs constatent l'existence d'un espoir d'exploiter une « opportunité décisive » (le rapprochement), dans le but d’améliorer les conditions voire de parvenir à résoudre un dossier important pour la Confrérie aux yeux de ses sympathisants, en l'occurrence, celui des prisonniers et des libertés en général.
Depuis l'été 2013, la Confrérie qui conduit l'opposition à l'étranger, continue à s'opposer au régime en place en Egypte, instauré depuis le renversement de l'ancien président Mohamed Morsi, qui appartenait aux Frères musulmans. De même, nombre des dirigeants majeurs de la Confrérie sont établis dans plusieurs pays, dont la Turquie, depuis des années, et ont lancé, avec d'autres symboles de l'opposition, des plateformes médiatiques et de défense des droits de l'Homme.
Compte tenu de la régression radicale de son dynamisme populaire à l'intérieur de l'Egypte, la Confrérie évolue et œuvre, de manière notoire, sur plusieurs niveaux, à focaliser l'attention sur « environ 60 mille prisonniers » dans les geôles égyptiennes, selon elle, et dont la majorité appartient au mouvement, et parmi lesquels se trouvent des dirigeants de premier plan, tels que Mohamed Badie, Guide suprême de la Confrérie, et son adjoint, Khairat al-Chater.
L'acceptation par la Confrérie des Frères musulmans et par d'autres forces de l'opposition d'une éventuelle médiation turque, qui est la première acceptation publique d'une médiation d'un Etat depuis la crise de l'été 2013, témoigne de la confiance placée en Ankara.
Cette annonce n'a pas été commentée officiellement, ni par la Turquie ni par l'Egypte, qui oppose une hostilité radicale à l'endroit de la Confrérie.
Généralement, Le Caire nie aussi bien la détention de prisonniers politiques dans ses geôles que l’existence de quelconques droits de la Confrérie, le Régime la considérant comme étant dissoute et interdite, depuis l'été 2013, au milieu d'un refus de reconnaissance mutuel.

Un dossier sensible


Quelques jours après l'annonce par Ankara du début de contacts diplomatiques avec Le Caire pour normaliser les relations bilatérales, le Guide-adjoint de la Confrérie des Frères musulmans a fait, samedi et dimanche derniers, des sorties médiatiques télévisées inédites.
Mounir a relevé qu'il a entière confiance en la Turquie, dont il accepte la médiation, au cas où elle serait proposée pour résoudre certaines questions liées « aux prisonniers et aux victimes du sang (victimes de la dispersion des deux sit-in de 2013 et des événements qui ont suivi) et à l'amélioration des conditions des gens ».
Mounir a ajouté que « le Régime turc sait pertinemment qu'il existe de grandes injustices et je pense que tout rapprochement tentera d’identifier des solutions à cela…A la fin, je tiens à remercier quiconque contribuerait à une quelconque résolution ».
Il a mis l'accent sur le fait que « la région nécessite une accalmie quant à l'existence de réelles craintes de démembrement de plusieurs pays, dont l'Egypte ».
Et Mounir de poursuivre : « si la question sera proposée à l'opposition en entier, dont nous constituons une partie importante, nous ne rejetterons pas tout ce qui facilite les choses pour le peuple égyptien, les prisonniers et les victimes du sang (...), et si nous le ferons, nous sommes dans notre tort ».
Saluant de manière plus franche cette option, Midhat Haddad, membre du Conseil de la Choura de la Confrérie des Frères musulmans (la plus haute instance de contrôle du Mouvement), a, dans une interview accordée, dimanche, à la chaîne « al-Watan », porte-voix de la Confrérie, lancé : « Dites-moi, si un quelconque responsable entend parler d'intérêts pour les deux peuples (égyptien et turc des suites du rapprochement), est-il possible de rater cela ? ».
De son côté, l'Union des Forces nationales égyptiennes, qui compte en son sein plusieurs mouvances de l’opposition, a indiqué dans un communiqué, dimanche, « qu’elle n'exclut pas la détermination de la Turquie à jouer le rôle de médiateur honnête dans la résolution de cette crise, dans ses dimensions politique et des droits de l'homme, en cas de réchauffement et de développement des relations entre l'Egypte et la Turquie au cours de la prochaine période ».
Tarek al-Remz et six anciens dirigeants du groupe du « Groupe islamique » en Egypte ont salué, dans un communiqué, le rapprochement entre Ankara et le Caire, affirmant qu’il s’inscrit dans « l'intérêt de la Oumma islamique », formulant l'espoir que ce rapprochement sera un « catalyseur pour lever les injustices et élargir les prisonniers ».

Le contexte du consentement


Ces déclarations révèlent, de prime abord, la confiance placée par l'opposition égyptienne dans le « médiateur turc », qu’elle considère comme étant « honnête et compréhensif à ses demandes, en l’accueillant pendant environ sept ans, sans crises, ce qui l'a incitée à s’exprimer avec une audace inhabituelle dans un dossier, qui a été gelé des années durant ».

Dans les circonstances du recul de l’opposition, que ce soit pour des raisons personnelles ou à cause du climat politique, l’acceptation d’une éventuelle initiative de médiation turque est une « bouée de sauvetage » lancée aux partisans de l’opposition pour résoudre le dossier « des prisonniers et des libertés ».

Cela aidera l'opposition à surmonter l'obstacle d’absence de réalisations palpables dans ce dossier qui stagne, parallèlement au fait de ne pas embarrasser le pays hôte (la Turquie) et ses intérêts au plan international, bien que Ankara affirme généralement que ses intérêts ne doivent pas se croiser avec le dossier des droits de l'Homme.
C'est pour cette raison que les commentaires de l'opposition égyptienne sont intervenus dans un cadre réformateur des droits de l'Homme, ce qui pourrait être supporté par toutes éventuelles discussions bilatérales, sans se rapprocher des principales revendications de l'opposition, répétées pendant des années, se rapportant notamment au renversement du Régime du président égyptien, Abdelfattah al-Sissi.
Cette approche représente un changement dramatique, qui intervient selon l'opposition dans un contexte dans la région nécessitant une accalmie, et dans le cadre d'appréhensions de scission qui pourrait toucher l'Egypte.
Il semble que l'opposition jette, via ses déclarations, la balle dans le camp du Régime égyptien, tout en formulant l'espoir de sortir bénéficiaire, indépendamment du refus ou de l'acceptation du Caire, de résoudre ce dossier sensible (les prisonniers). En cas de refus du Régime, l’opposition avancera qu'elle n'est pas la partie qui complique les choses, et reprendra sa position antérieure.
Ce sentiment empreint d'espoir chez l'opposition égyptienne, à l'égard de l'initiative du rapprochement turco-égyptien, pourrai paraître, de prime abord, comme étant cohérent avec le recul de ses ambitions, au vu de la prise de positions radicales par la nouvelle Administration américaine de Joe Biden à l'égard du dossier des droits de l'Homme en Égypte, compte tenu de la récente annonce faite par Washington d'offrir un nouveau soutien militaire au Caire et d’organiser des manœuvres militaires avec ce pays, considéré comme étant « un allié important dans la région ».

Quel avenir ?


L’intégralité du paysage dans la région, en particulier au Yémen, semble se diriger vers une accalmie et des arrangements, dont la percée politique dans le conflit libyen.
Toutefois, le scénario égyptien est dramatique et n'est pas soumis à une approche classique, en témoigne l'acceptation par la Confrérie des Frères musulmans, qui s'oppose radicalement au Régime, d'une médiation turque, au cas où elle serait proposée.
De même, il se dégage du silence du Régime égyptien, qui n'a pas affiché de position claire au sujet des déclarations faites par ses opposants, que le dialogue avec eux n’est point une priorité pour lui actuellement et durant cette étape de lancement d’arrangements avec la Turquie.
Cependant, il n'est pas exclu que nous assisterons, au cours d'un avenir proche, à « une percée officielle » et non pas à une accalmie ou à une résolution, dont le premier bénéficiaire sera le dossier des libertés en Egypte, selon les aspirations de l'opposition.
S'il est attendu que le Caire n'acceptera pas publiquement des discussions au sujet du dossier des droits de l'Homme, il n'en demeure pas moins que le chemin de l'accalmie emprunté par l'opposition égyptienne, aux plans médiatique et probablement politique au cours de la prochaine étape, sera encourageant pour le régime à créer une « percée calculée » et à prendre des décisions « pour construire une confiance » qui prend en considération le fait de ne pas décevoir ses soutiens, hostiles aux Frères musulmans et à l'opposition à l'étranger. Tout en évitant de porter atteinte aux intérêts de l'Egypte avec ses alliés, ou encore aux éventuels pas dans le sens du renforcement des relations avec Ankara.
Ainsi, la limitation des aspirations de l'opposition, ne serait-ce que tactiquement, à créer une percée dans ce dossier sensible, est, selon des observateurs, une question essentielle, d'autant plus que le Régime, qui est stable sur la scène intérieure et dispose de soutiens au niveau international, n'est pas un contraint de le faire.
En conclusion, au cas où l'opposition égyptienne parviendrait à gérer cette « opportunité décisive » (le rapprochement entre Ankara et Le Caire), qu’il s’agisse de manière improvisée ou stratégique, elle ne dispose, selon nombre d'observateurs, que de la possibilité d’évoluer de la phase d’appeler à un changement radical à celle d'une réforme progressive, après plusieurs années de « nihilisme » qui a affecté toutes les parties.

*Traduit de l'arabe par Hatem Kattou

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