Le dialogue inter-libyen en Tunisie sous le feu des critiques avant même son lancement (Analyse)

Libyan
AA / Istanbul
Des inquiétudes ont été exprimées par plusieurs parties politiques et militaires de l'Ouest libyen concernant 75 personnalités, choisies par la mission onusienne, pour participer au dialogue de Tunis, afin de désigner un nouveau conseil présidentiel, un gouvernement séparé ainsi que la nomination des figures des sept postes de souveraineté.
Les réserves les plus importantes émises par les dirigeants de l'opération « Volcan de la colère », affiliée à l'armée libyenne, se portent surtout sur l'ambiguïté manifeste dans le choix des personnalités qui, selon eux, n'ont aucun poids politique ou militaire, pointant aussi l'absence de personnalités représentant l’armée dans ce dialogue fatidique, malgré le rôle majeur qu'ils ont joué dans l'expulsion, in extremis, des milices du général putschiste Khalifa Haftar de l'Ouest libyen, alors qu’il était sur le point de prendre d'assaut la capitale, Tripoli.
Les craintes des dirigeants de l’opération « Volcan de la colère » se portent sur le succès probable des milices de Haftar à transférer le pouvoir exécutif légitime de l’Ouest vers l'Est libyen, dans le cas où un nouveau conseil présidentiel est désigné sous la direction d'Aguila Salah, actuel président de la Chambre des représentants de Tobrouk et affiliée à Haftar, comme le suggèrent certains observateurs.
Le siège des institutions officielles serait également déplacé de Tripoli vers la ville de Syrte (450 km à l'Est de la capitale), qui est actuellement sous le contrôle des milices de Haftar, or même dans le cas d’un retrait des milices de la ville, elles seraient géographiquement beaucoup plus proches de ces institutions que ne le seraient les forces de l’opération « Volcan de la colère ».
Le pire des scénarios **
Le pire scénario pour les forces de l’opération « Volcan de la colère » est que Saleh la prive de sa légitimité et annule l'accord de sécurité avec la Turquie, de telle sorte qu’il facilite la tâche des milices de Haftar pour l'éliminer et entrer plus facilement à Tripoli, après avoir privé ses adversaires des deux atouts majeurs dont ils disposent : la légitimité et le soutien de la Turquie.
Dans un communiqué émis vendredi, la salle des opérations de l’armée libyenne à Syrte et Al-Jufra a appelé à « soutenir le Conseil présidentiel dans l’exercice de ses fonctions en tant qu’autorité légitime dans le pays, jusqu’au référendum sur la constitution et la tenue d’élections».
Cela sous-entend le refus de l’armée libyenne de désigner un nouveau Conseil présidentiel, ou d'entamer une cinquième phase de transition, affirmant la nécessité de maintenir l'actuel Conseil de présidentiel jusqu'à la tenue d'élections présidentielles et parlementaires sur une base constitutionnelle solide.
Les forces qui soutiennent l'armée libyenne ont exprimé le rejet pur et simple de tous « les dialogues qui devraient se tenir dans les prochains jours... À moins que les mécanismes de sélection de ses membres et le processus de prise des décisions entre eux ne soient clarifiés».
La « Force de protection de Tripoli », formée d'une alliance des brigades les plus puissantes contrôlant la capitale, a exprimé les mêmes réserves en questionnant « les critères par biais desquels ces personnalités redondantes ont été choisies tout au long de ces années difficiles pour le peuple libyen ».
«"Quoi" ou "qui" » ? **
La cheffe de la Mission par intérim de la mission des Nations Unies en Libye, Stéphanie Williams, a répondu dans un communiqué aux critiques concernant le mécanisme de sélection des 75 personnalités libyennes pour le dialogue en Tunisie, en disant : « Ce qui compte pour le peuple libyen, c'est le "quoi" et pas le "qui", autrement dit, c'est ce qui résulte du dialogue qui compte et non pas qui y participe ».
De son côté, le point de vue des forces soutenant l'armée libyenne, dans l'axe Syrte Al-Jufra (centre du pays), ne recoupe pas avec la vision du Haut Conseil d'État (parlement consultatif), qui a indiqué dans une lettre au président du Conseil présidentiel, Fayez Al-Sarraj, que le dialogue inter-libyen qui aura lieu en Tunisie le 9 novembre prochain vise à « restructurer le Conseil présidentiel et organiser des élections dans les délais les plus courts ».
Portant, la rencontre d'Al-Sarraj et Williams, samedi à Tripoli, s’est voulue rassurante tant pour les forces soutenant l'armée libyenne que les forces politiques de la région occidentale du pays, car le dialogue inter-libyen en Tunisie a pour but ultime d’aboutir à « des élections nationales qui se tiendraient sur une base constitutionnelle solide ».
Les deux personnalités n'ont pas évoqué la possibilité d'un nouveau Conseil présidentiel, mais elles ont souligné que « le dialogue inter-libyen de Tunis est une occasion historique pour les Libyens de décider d'une solution politique, selon une feuille de route claire et contraignante, établie sur la base de dates précises ».
La légitimité et l’accord de sécurité **
La crainte majeure des forces anti-Haftar de l’Ouest libyen, c'est que le maréchal n'adhère à aucune feuille de route convenue, comme cela s'est produit avec les accords de Paris et de Palerme, et décide plutôt de les priver de la légitimité internationale dont elles bénéficiaient jusque-là.
Ces craintes se trouvent justifiées par les arguments de certains membres de la Chambre des représentants de Tobrouk évoquant la possibilité d'annuler l'accord de sécurité avec la Turquie immédiatement après la formation d'un nouveau gouvernement et la démission d'Al-Sarraj, ainsi que la prise de fonctions d'Aguila Salah.
Or, Al-Sarraj a retiré sa démission, qui était prévue pour la fin du mois d’octobre dernier, à la demande de la Chambre des représentants de Tripoli, du Haut Conseil d'Etat, de la mission onusienne et de plusieurs pays amis, jusqu'à ce qu'un nouveau Conseil présidentiel soit désigné.
D’ailleurs, le ministre libyen de la Défense, Salah El-Din Al-Namrouch, a précisé que la signature de l'accord initial (5 + 5) n'incluait pas l'accord de coopération militaire avec la Turquie.
À ce propos, égard, Namrouch a insisté sur la nécessité d’un « renforcement de la coopération conjointe avec l'allié turc, et la poursuite des programmes de formation que les étudiants reçoivent dans les instituts de formation rattachés au ministère de la Défense du gouvernement d'union nationale ».
La signature d’un protocole d'accord sur la sécurité entre le représentant du ministère libyen de l'Intérieur et son homologue qatari, à Doha, le 27 octobre, s’est faite malgré l’opposition des milices de Haftar à cet accord, prétendant qu'il ne respectait pas l'accord du comité militaire mixte (5 + 5), signé à Genève à la date du 23 du même mois.
Le porte-parole des forces de l’opération « Volcan de la colère », Muhammad Qununu, a émis de sérieux doutes quant à la capacité de la milice de Haftar d’expulser plus de 5 000 mercenaires du pays dans un délai de 90 jours, comme le stipule l'accord du comité militaire mixte (5 + 5), alors que le Groupe Wagner continue creuser des tranchées, d'établir des camps et des fortifications.
19 mois plus tard, le retour à Ghadamès **
La suspicion, qui s’est installée de part et d’autre des deux parties sur la capacité de chacun à respecter l'accord de cessez-le-feu permanent, a rendu impérative l'organisation d'une deuxième réunion, qui a débuté lundi et se termine mercredi, dans la ville de Ghadamès, située sur le triangle frontalier entre la Libye, l'Algérie et la Tunisie.
Il s'agit de la première réunion des belligérants dans le conflit libyen depuis 2014, car Ghadamès est considérée comme une ville relativement neutre, bien qu'elle soit sous l'influence du maréchal Haftar.
D’ailleurs, la ville devait accueillir une conférence parrainée par les Nations unies le 14 avril 2019, avant que Haftar ne trahisse tout le monde et attaque Tripoli.
Après 14 mois de combats et 5 mois de cessez-le-feu, les représentants de Haftar retournent au même carré de départ pour discuter d’une solution politique après leur échec militaire. Pourront-ils réaliser par la politique ce qu’ils ont échoué à accomplir par la force ?
*Traduit de l’arabe par Mounir Bennour.
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