Le « consensus » de D’beibah et de Haftar sur le pétrole fera-t-il chuter le gouvernement de Bachagha?

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AA / Istanbul
Le limogeage de Mostapha Sanaallah, PDG de la Compagnie libyenne de Pétrole et son remplacement par Farhat Ben Kdara est un important développement qui porte plus d’une signification qui ouvre la voie à de nouveaux arrangements politiques et sécuritaires entre l’est et l’ouest du pays.
Parmi les prémices du début du changement de ces alliances, notons le fait que les forces relevant de Khalifa Haftar ont mis fin au blocage des champs et des terminaux pétroliers, immédiatement après la nomination de Ben Kdara au poste de PDG de la Compagnie pétrolière, bien que sa principale demande fût la remise par Abdelhamid D’beibah, Chef du gouvernement d’Union nationale, du pouvoir à Fethi Bachagha, Chef du gouvernement désigné par la chambre des députés de Tobrouk.
La nomination par le Chef du gouvernement d’Union de Ben Kdara, considéré comme proche du camp de l’est, ne peut être effective sans un accord conclu entre D’beibah et Haftar, les deux protagonistes qui sont détenteurs de l’autorité du fait accompli.
** Le possible accord
Aucune partie n’a annoncé l’existence d’un accord entre D’beibah et Haftar sous parrainage émirati mais nombre d’activistes libyens ont évoqué un marché conclu par Saddam Haftar avec un représentant de D’beibah pour limoger Mostapha Sanaallah et en contrepartie rouvrir les champs et les terminaux pétroliers bloqués depuis prés de trois mois et ce en dépit du démenti de D’beibah quant à la conclusion d’un accord.
L’Agence italienne Nova a fait allusion à un tel accord quand elle a indiqué que « le seul accord possible techniquement actuellement est entre D’beibah et Haftar dès lors que ce dernier cherche perpétuellement des fonds pour financer sa machine de guerre ».
Toutefois, ce ne sont pas seulement les fonds que Haftar recherche. Il convient de rappeler que les manifestations qui ont été organisées dans les différentes villes libyenne au début du mois de juillet avaient revendiqué le départ de tous les visages qui évoluent sur l’actuelle scène politique pour une série de motifs dont les coupures du courant électrique pour de longues heures de la journée et qui ont entre autres causes le blocage des installations pétrolières.
Haftar sait que les terminaux pétroliers ne peuvent pas être bloqués pendant une longue période dans la mesure où cela risque de lui exploser à la figure sous forme de colère populaire et de pressions internationales. C’est la raison pour laquelle il s’est précipité pour conclure un accord avec le gouvernement de D’beibah afin de rouvrir les installations pétrolières en contrepartie de la nomination d’un des hommes qui lui sont loyaux à la tête de la Compagnie pétrolière.
Les détails de cet accord et de ces arrangements n’ont pas encore apparu, à l’exception de la nomination Ben Kdara, gouverneur de la Banque centrale de Libye à l’époque de Kadhafi et considéré actuellement comme un proche du camp de Haftar. Toutefois, nombre d’observateurs estiment que ces arrangements ne devraient pas être différents de ceux conclus lors de l’été 2020 entre Saddam Haftar et le vice-président du Conseil présidentiel à cette époque, Ahmed Maatig.
Haftar veut obtenir sa quote-part des recettes pétrolières et ne peut pas résister davantage face aux pressions populaire et internationales sous la houlette des Etats-Unis qui veulent voir le pétrole et le gaz libyens s’acheminer vers l’Europe pour alléger les retombées des sanctions occidentales sur le brut russe et la hausse des cours de l’énergie sur le marché mondial.
A l’opposée, D’beibah sait pertinemment que le fait de ne pas résoudre rapidement la crise de l’électricité ou du moins en réduire le nombre d’heures de coupures au quotidien est de nature à provoquer la chute de son gouvernement sous la pression des manifestations et du mécontentement populaire.
L’accord conclu avec Haftar pour le déblocage des installations pétrolières est de nature à assurer l’acheminent du gaz vers les stations de production d’électricité ce qui contribuera à alléger la crise des délestages et des longues coupures.
** Bachagha : L’offrande?
Après le limogeage par D’beibah, à la fin du mois de juin dernier, du Conseil d’administration de la Compagnie d’électricité, le tour est venu pour Mostapha Sanaallah à la tête de la Compagnie pétrolière, mais Bachagha serait la troisième offrande à sacrifier pour faire taire la colère de la Rue libyenne qui revendique le départ de l’ensemble des acteurs de l’échiquier politique.
L’accord conclu entre D’beibah et Haftar portant nomination d’un nouveau patron de la Compagnie pétrolière en contrepartie de la réouverture des vannes de la production et de l’exportation signifie que Bachagha et son gouvernement n’ont plus de rôle à jouer au cours de la prochaine phase.
Il s’agit d’une reconnaissance implicite du gouvernement d’Union qui a imposé sa décision en l’exécutant en limogeant le Conseil d’administration en dépit de l’opposition de Sanaallah, de la chambre des députés, du Conseil d’Etat et de l’ambassadeur américain.
Pour Haftar, Bachagha n’a pas réussi à accéder à Tripoli alors qu’il en avait fait la promesse plus d’une fois, et son attachement à un combat pacifique en rejetant l’idée de recourir à la force pour écarter le gouvernement de D’beibah ne servent pas les desseins du chef des forces de l’est du pays qui vise à affaiblir les unités armées de l’ouest et à créer la zizanie parmi les régiments de la ville de Misrata, en l’occurrence, la principale force qui avait déjoué la tentative de Haftar d’entrer à Tripoli entre 2019 et 2020.
De plus, les revendications populaires exigeant le départ d’aussi bien D’beibah que Bachagha signifient que ce dernier est désormais rejeté au plan populaire, nonobstant l’incapacité de son gouvernement d’exercer ses fonctions depuis le mois de mars dernier, et son installation dans la ville de Syrte alors qu’il n’a pas reçu de fonds de la part de la Banque centrale libyenne aux fins de mettre en œuvre son programme.
En cas de confirmation du consensus entre D’beibah et Haftar sous la férule des Emiratis, afin de faire face au « danger populaire » commun, Bachagha fera face à un dilemme cornélien, ou bien se résigner et capituler face au fait accompli et annoncer sa démission et partant la fin de son gouvernement éphémère, ou bien tenter de changer ce fait accompli à travers la prise de contrôle de la capitale Tripoli par la force des armes et renégocier avec Haftar.
Cette dernière option est assimilée à un choix suicidaire qui aura des retombées dangereuses sur la sécurité de la Libye.
** Refus d’envahir Tripoli
Bachagha sait mieux que quiconque qu’il ne sera en mesure de gouverner la Libye que depuis Tripoli et son entrée dans la capitale sera synonyme d’effusion de sang. C’est pour cette raison qu’il parie sur sa capacité à convaincre les chefs des phalanges de Tripoli de changer leurs loyautés et allégeances, afin d’éviter le scénario le scénario catastrophe qui verra couler beaucoup de sang même en cas de victoire.
En effet, et après l’échec de trois tentatives d’accéder à Tripoli ou d’installer son gouvernement à Tripoli, dont la dernière avait couté la vie à l’Un de ses hommes, Bashagha a décidé de s’installer dans la ville stratégique de Syrte, tout en la proclamant capitale provisoire de son gouvernement. Toutefois, le 9 juillet, il est revenu sur cette position en déclarant qu’il exercera son mandat à partir de la capitale Tripoli « au cours des prochains jours ».
Bachagha a justifié le changement de sa position de ne pas accéder à Tripoli au fait que « les forces qui étaient opposées ont changé leurs positions et veulent que nous entrions dans la capitale et nous comptons le faire ».
Quant à l’éventualité d’accrochages armés avec les phalanges soutenant le gouvernement d’Union, Bachagha a dit : « Il n’y a pas une véritable et forte opposition, il y a une opposition de la part de certaines forces qui ont reçu des fonds de la part du précédent gouvernement ».
Cette déclaration reflète l’épuisement de la patience de Bachagha qui s’apprête à affronter les phalanges appuyant le gouvernement de D’beibah.
C’est pour cette raison que plusieurs chefs des régiments sécuritaires et militaires de la région ouest du pays ont mis en garde qu’ils sont résolus à « faire face à quiconque tenterait à créer l’anarchie à l’intérieur de Tripoli », dans une allusion claire aux menaces proférées par Bachagha.
De même, des activistes du Hirak civil ont rendu public un communiqué dans lequel ils ont fait part de leur refus de tout envahissement de la capitale et de voir s’engager de nouvelles phases transitoires, évoquant implicitement en cela le gouvernement de Fethi Bachagha.
Face à ce refus sécuritaire, militaire et populaire, indépendamment de son poids, la mission de Bachagha ne sera pas de tout repos, d’autant plus que les habitants de Tripoli n’ont pas encore oublié les tragédies et les plaies causées par l’attaque perpétrée par les forces de Haftar contre leur ville.
** D’autres acteurs
Jusqu’à présent, l’accord conclu entre D’beibah et Haftar n’a pas dépassé la sphère du pétrole et aucun consensus n’a été trouvé au sujet de la reconnaissance par l’homme fort de l’est du pays du gouvernement d’Union, pour éliminer radicalement le gouvernement de Fethi Bachagha.
Il convient de noter que D’beibah et Haftar ne sont pas seuls à déterminer l’avenir et le destin du pays. Il existe d’autres qui sont capables de renverser la table et de peser de tout leur poids pour changer le cours des événements, tels que la Chambre des députés et le Conseil d’Etat qui pourraient convenir d’installer un nouveau gouvernement qui ne sera pas présidé par D’beibah et encore moins par Bachagha.
Ajoutons à cela le rôle du Conseil présidentiel qui ne doit pas être ignoré et qui pourrait décréter l’état d’urgence parallèlement à la dissolution aussi bien du parlement que des deux gouvernements qi se disputent le pouvoir, pour ainsi faire table rase et remodeler le paysage politique de nouveau.
Sur un autre plan, la Russie qui sera mécontente du retour du pétrole libyen sur le marché mondial, pourrait recourir aux services de la compagnie paramilitaire privée Wagner, le bras armé de Moscou dans le pays, afin d’exercer des pressions sur les protagonistes libyens afin d’atteindre certains intérêts.
C’est dans ce cadre que la chaîne de télévision libyenne « Panorama » a rapporté, en citant une source sécuritaire, que « les mercenaires russes de Wagner ont effectué un exercice de mobilisation avec des munitions réelles dans le périmètre de la base aérienne d’al-Jofra en direction de Syrte, en utilisant de manière intensive des avions de chasse de type Mig-29 mais sans la participation des milices de Haftar.
En cette phase, chacun des protagonistes impliqués dans la scène libyenne attend le prochain pas qui sera effectué par l’autre, compte tenu de la multiplication des acteurs politiques et militaires dans le pays et des acteurs internationaux également, tout en évitant de ne pas prendre en considération les mésalliance et alliances interchangeables qui peuvent se nuer et se dénouer, les atouts et les cartes pouvant être joués et abattus et la montée de personnalités qui n’étaient pas dans le viseur.