Le 15 avril 1980, disparaissait J.P Sartre...Le penseur qui a dit 'Non' au Nobel (Analyse)*
Philosophe, romancier, nouvelliste [...] Jean Paul Sartre aura marqué le 20è s. par un œuvre foisonnant, riche et brillant d'un penseur et d'un homme engagé [...] tournant le dos aux honneurs, ceux de l'Académie française et du Nobel compris...

Tunisia
AA Tunis / Slah Grichi
Si le monde des lettres françaises apparente le IXXème siècle à Victor Hugo, il ne peut logiquement qu'apparenter le XXème à Jean Paul Charles Aymard Sartre, tant leurs écrits, leur engagement, émergent du lot où les talents, de grands talents ne manquaient pourtant pas.
Destiné à être libre
Orphelin de père dès sa tendre enfance, Sartre n'a pas connu l'autorité parentale, sa mère et son grand'père qui l'a pris sous son aile, le ménageant, tout en l'orientant, sans le forcer, vers les études puis vers un cursus de Lettres, ce dernier le prédestinant à une carrière professorale, étant lui même enseignant. De l'absence du père, il dira, beaucoup plus tard, qu'il n'a point souffert. "Cela m'a sûrement apporté un sentiment de liberté". Le mariage de sa mère, alors qu'il avait douze ans, avec un patron d'usine et les rapports difficiles avec lui le poussent à contester l'ambiance bourgeoise et douillette dans laquelle il est né et continuait à se trouvait, sans aller jusqu'à la rébellion ou la révolte. Quoi qu'il en soit, il ne décevra pas son grand'père, puisqu'en 1929, à l'âge de 24 ans, le natif du 21 juin 1905, sera major de promotion du concours d'agrégation en philosophie. Juste devant une certaine Simone de Beauvoir, sa benjamine de trois ans, à laquelle son destin allait -librement- être à jamais lié.
Un parcours sans remous ni la manifestation de fait saillant, sauf que sa pensée était en cogitagion, imprégnée des approches de Descartes, Spinoza, Heidegger, Kant, Bergson, Kierkegaard et autres Marx. Professeur au Havre dès 1931 puis à l'Institut français de Berlin, en 1933, ses penchants, d'un côté pour le socialisme et de l'autre pour la phénoménologie, cette philosophie qui, loin de toute body_abstraction, est astreinte à l'analyse des phénomènes perçus, s'affirmaient, transperçaient ses cours académiques et filtraient à travers ses articles et contributions dans divers revues spécialisées, sans qu'il ne ressente le besoin d'accoucher de vrais essais philosophiques. Peut être n'était-il pas encore prêt... Car Jean Paul Sartre commencera son réel répertoire livresque par le roman et la nouvelle , publiant entre 1937 et 1938, "La nausée" et "Le mur". Sa mobilisation en 1939 et le camp où il a été emprisonné en 1940, l'amèneront à s'essayer au théâtre. Il y écrit et met en scène, pour et avec "les camarades", la pièce "Bariona ou le fils du tonnerre". Quand il est libéré, il retournera à Paris en intellectuel définitivement engagé à gauche, là où l'Homme peut, selon lui, être le plus libre, ou le moins assujetti. Il portera, en même temps, au fond de lui le désir de plonger dans le monde du 4ème Art pour lequel il écrira notamment, entre 1943 et 1948, "Les mouches", "Huis clos" puis "Les mains sales", des pièces d'actualité, fortes, incisives et créatives. Il s'y montre critique à tout ce qui est conventionnel et établi et condamnant toute forme d'asservissement de l'Homme. Soit l'essence même de la revue politico-littéraire, "Les temps modernes", qu'il a créée en 1945.
Sartre dérange
En parallèle, ses essais philosophiques versaient dans le même cours. En témoigne, entre autres, "L'être et le néant" (1943), l'œuvre de la quintessence de la période phénoménologique de Sartre, centrée sur l'individu et transcendant son égo, ou "L'existentialisme est un humanisme" où il place la liberté humaine au dessus de tout, affirmant que l'existence précède l'essence. C'est que le philosophe, le dramaturge, le romancier et l'homme sont en parfaite symbiose. En effet Sartre est celui qui s'est opposé à la guerre d'Algérie, provoquant la furie de Charles de Gaulle. Il est celui qui s'est rangé du côté du tiers-monde, narguant une France schizophrène, qui se prévaut d'être le pays des droits de l'Homme, de la justice, de la liberté et de la fraternité et qui se comporte en puissance colonisatrice...esclavagiste. C'est encore lui qui fustigeait ouvertement les intellectuels, les écrivains et les artistes qui ne se positionnent pas pour les causes humaines justes, qui ferment les yeux ou qui soutiennent le pouvoir. Il n'hésitait pas à leur rappeler le courage et l'honnêteté des Hugo, Zola, Voltaire ou Gide qui dénonçaient haut et fort les injustices. Cela dérangeait plus d'un et c'est pourquoi il y avait toujours quelqu'un pour lui chercher noise, sur le plan littéraire, philosophique et même dans la vie, des activistes de l'extrême droite étant allés jusqu'à dynamiter sa maison. Sartre dérangeait davantage parce qu'il ne ménageait personne quand ses valeurs étaient en jeu, ni n'accordait de l'importance aux honneurs "descendants ou condescendants". N'a-t-il montré qu'il tournait le dos à l'Académie français qui se serait fait un honneur de l'accueillir parmi ses membres? N'a-t-il pas refusé le Prix Nobel de littérature en 1964, "pour ne pas être récupéré par la classe dirigeante", comme il disait, en ajoutant "je ne vois pas pourquoi une cinquantaine de messieurs âgés, qui font de mauvais livres, me couronneraient. C'est au lecteur de dire ce que je vaux" ?
Ce côté de Sartre, jugé par certains subversif, dédaigneux et même arrogant, peut être parce qu'ils n'ont pas saisi qu'il plaçait la liberté au-dessus de sa vie, amènera un Jacques Julliard, historien et essayiste jusqu'à la déraison quand, des années après la mort du maître-penseur, il écrira à propos de son oeuvre et de son parcours : "mauvais romancier, dramaturge injouable, philosophe prolixe mais sans originalité qui a encensé toutes les dictatures...justifié tous les massacres, pourvu qu'ils se réclament du socialisme. C'est un imposteur qui a réservé sa sévérité, parfois sa rage aux régimes libéraux" (sic!). La meilleure réponse réside peut être dans un excellent article de l'universitaire et journaliste Anne Mathieu où elle reprend les propos du romancier Guy Hockenghem qui s'adressait aux détracteurs et aux jaloux qui récusent Sartre : "vos âmes, avaricieuses et pauvres, puritaines et théoristes, ont cent fois voulu tuer Sartre...et plus vous le reniez, plus vous le ranimez... Plus vous le repoussez, plus il vous étreint; il vous entraîne avec lui dans la mort. Le vrai Sartre échappe au tombeau de respect renégat et de trahison où vous avez voulu l'enfermer".
Cela résume Sartre et sa pensée, Sartre et sa vie, Sartre et son sens de la liberté. Simone de Beauvoir, son alter-égo, son âme-soeur, sa compagne de toujours, elle, savait... Elle a vécu sa liberté, l'a laissé vivre la sienne jusqu'au delà des limites imaginables et inimaginables, tout en étant toujours liés, sans contrat, ni accord humain ou céleste. Six ans après le 15 avril 1980, elle est allée le retrouver dans le cimetière de Montparnasse à Paris, pour se reposer l'éternité...à ses côtés.
* Les opinions exprimées dans ce papier n'engagent que leur auteur et ne reflètent pas forcément la ligne éditoriale de l'Agence Anadolu.
**Slah Grichi, ancien rédacteur en chef de La Presse de Tunisie.
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