Politique, Analyse

La redistribution des cartes au Moyen-Orient, conséquence de l'invasion de l'Irak en 2003 ? (Analyse)

- Le 20 mars 2003, George W. Bush lance l'opération «Irak Freedom» sans l'aval du Conseil de sécurité de l'ONU. En 2005, un rapport officiel de la CIA parlera de «l'une des faillites du renseignement les plus préjudiciables de l'histoire américaine».

Fatma Bendhaou  | 20.03.2022 - Mıse À Jour : 20.03.2022
La redistribution des cartes au Moyen-Orient, conséquence de l'invasion de l'Irak en 2003 ? (Analyse)

Dubai


AA/ Mohamed Badine El Yattioui*

Le 20 mars 2003, les Etats-Unis interviennent en Irak, à la tête d'une coalition occidentale, sans mandat onusien. George W. Bush n'est pas parvenu à convaincre Jacques Chirac que Saddam Hussein détenait des armes de destruction massive. La France usa de la menace du veto. Le déclenchement de cette guerre allait changer la face de l'Irak mais également celle du Moyen-Orient et du monde.

La diversité ethnique et religieuse, sa position géographique et sa symbolique historique font que l’Irak est un pays très important au Moyen-Orient. Ses voisins sont la Syrie, la Jordanie, la Turquie, l’Arabie saoudite et l’Iran. Du critère ethnoreligieux dépendent les postes clés au sein de l’État. Le président de la République doit être kurde, le premier ministre chiite, et le président du Parlement, sunnite. Ces principes existent depuis la chute du régime de Saddam Hussein en 2003.


- Eradiquer des armes « qui n'existaient pas »

« Dans le cas de l'Irak, il y a eu une tentative de la part de certains pays d'éradiquer des armes de destruction massive qui n'existaient pas ». L´auteur de cette phrase sans appel est Hans Blix. En 2003, il dirigeait la commission de l'ONU chargée de rechercher la présence d'armes de destruction massive dans ce pays. Les néoconservateurs (le vice-président Dick Cheney, le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld et son adjoint Paul Wolfowitz) qui entouraient George W. Bush ont mis en place un argumentaire visant à montrer que Saddam Hussein était impliqué dans les attentats du World Trade Center. Le conseil de sécurité nationale, alors dirigé par Condoleezza Rice, confirme ce que tout le monde savait, à savoir qu´il n'y a aucun lien entre le régime baasiste de Bagdad et Al Qaida. Le fameux « Axe du mal » post 11 septembre n´a pas de cohérence idéologique et ressemble plus à un fourre-tout visant à lister les ennemis de Washington. Ce que confirme Paul Pillar, membre retraité de la CIA, actuellement en poste à l'université Georgetown de Washington DC : « Affirmer que tout le processus a été imperméable au climat politique n'est tout simplement pas crédible ». En 2007, dans son livre Le Temps des turbulences, Alan Greenspan, qui dirigea la Réserve fédérale durant près de 20 ans (1987-2006) donne clairement l´autre raison de cette intervention militaire et de ce changement de régime : « Ce que tout le monde sait : l'un des grands enjeux de la guerre d'Irak était le pétrole ».

Le premier ministre britannique Tony Blair est sur la même ligne et n´hésite pas à présenter un rapport “démontrant” que l'Irak développe toute une gamme d´armes de destruction massive (chimiques et bactériologiques), mais aussi des armes nucléaires. Devant le Conseil de sécurité de l'ONU, Hans Blix et Mohamed ElBaradei, à la tête des inspections, précisent n'avoir trouvé aucune preuve de ces allégations. Colin Powell, secrétaire d'État, s'appuie sur des photos satellitaires, des écoutes téléphoniques et agite une fiole contenant de l'anthrax selon ses dires. Il le regrettera et parlera de « tache dans ma carrière ». En 2005, un rapport officiel de la CIA parle de « l'une des faillites du renseignement les plus préjudiciables de l'histoire américaine ».

Le 20 mars 2003, malgré l´opposition de trois des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU (France, Russie et Chine), George W. Bush lance l'opération « Irak Freedom » sans l'aval du Conseil de sécurité et donc sans base légale. En quelques jours le régime de Saddam Hussein tombe, il sera exécuté quelques mois plus tard, mais l'Irak sombre dans le chaos.


- Conflit interne

Le conflit devient également interne et confessionnel. Les attentats, entre insurgés chiites et sunnites, se multiplient, tout comme ceux contre les forces de la coalition occidentale. Al-Qaida et ses groupes affiliés s´implantent rapidement en Irak. Il y a aussi Daech qui s´implante sur une partie significative du territoire irakien (et celui syrien) puis qui ira même jusqu´à proclamer le “califat”. Une coalition internationale est mise en place du fait de la faiblesse de l´armée irakienne, en 2014. En parallèle, la présence de milices chiites proches du régime iranien accroît les tensions et l´instabilité.

Le système politique mis en place par les Américains en 2003 est depuis largement sous influence iranienne, ce qui est paradoxal. Il ne fonctionne pas. L’Iran essaie donc d’instrumentaliser les mouvements sociaux selon ses intérêts. Le chercheur irakien Adel Bakawan parle “d’une cogestion américano-iranienne de l’Irak”.

En novembre 2021, le parti du chiite Moqtada Al Sadr a obtenu 73 sièges au Parlement sur les 329, ce qui lui permet d´être le premier parti en terme de représentation. Précisons deux choses. Premièrement, Al Sadr est un chiite qui rejette la mainmise iranienne en Irak. Deuxièmement, le Parlement est morcelé, car les six premiers partis réunis obtiennent 208 sièges, soit seulement 63 %. Les 121 sièges restants ont été partagés entre neuf partis et 60 parlementaires élus comme uniques représentants de leurs partis. Tout cela oblige Moqtada Al Sadr à des alliances avec des partis pro-Iran… La scène politique irakienne est fragmentée, y compris dans ses alliances géopolitiques, ce qui empêche toute stratégie nationale cohérente.

De son côté, l´armée irakienne n’a jamais pris forme car elle est composée de “miliciens“. En mai 2003, Washington a acté la « débaathification » et la dissolution de l’armée irakienne et de tous les appareils de sécurité de l’Etat. L´armée reconstituée par les Américains a intégré les partis politiques chiites qui disposaient d’organisations armées, financées par l’Iran et par les Etats-Unis contre Saddam Hussein. Cette “armée de miliciens” n´est pas efficace ni opérationnelle car ces derniers ont gardé leur autonomie organisationnelle. L’Etat irakien est donc assiégé par des milices. Adel Bakawan parle très justement d´”un Etat milicien”. La corruption et l´instabilité sont impressionnantes. Aujourd´hui, 40% des 40 millions d'habitants vivent sous le seuil de pauvreté.

La stratégie de George W. Bush en Irak est un échec. La « guerre contre le terrorisme » n’a pas reconfiguré la région conformément aux intérêts américains et l´Iran est devenue la principale menace pour les intérêts régionaux de Washington en s´appuyant fortement sur l´Irak.


*Dr. Mohamed Badine El Yattioui, Professeur de Relations Internationales à l´Université des Amériques de Puebla (Mexique).

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