Analyse

La Francophonie, une influence qui dégringole (Analyse)

Alors que la 40ème session de la Conférence ministérielle de la Francophonie est lancée, ce mercredi, dans la capitale française, l’OIF et la langue de Molière semblent perdre du terrain.

Fatma Bendhaou  | 16.03.2022 - Mıse À Jour : 16.03.2022
La Francophonie, une influence qui dégringole (Analyse)

Kinshasa


AA / Kinshasa / Pascal Mulegwa

« Elle aurait dû rester une simple organisation culturelle », ne cesse de répéter le professeur Gaston Wetemwani de la faculté des lettres de l’Université de Kinshasa. Cloîtré dans un bureau dont les espaces s’immiscent avec l’afflux des ouvrages, cet enseignant au visage émacié, ne cache pas son « regret » à l’approche du vingtième jour du mois de mars consacré à l’organisation internationale de la francophonie (OIF).

« Que ce soit de l’organisation elle-même ou la langue française, le rayonnement n’est pas au rendez -vous », estime-t-il lorsqu’il sait que l’organisation comprend des pays « qui n’ont rien à faire avec la langue qui fait l’objet de l’organisation ». L'OIF regroupe 80 membres répartis en 54 Etats membres, 27 pays observateurs et 7 membres associés. L'Afrique comprend à elle-seule 28 pays membres dont un membre associé (le Ghana) et un membre observateur (le Mozambique).

Cette année, les présidents ou chefs de gouvernement de ces pays se retrouveront pour le sommet bisannuel du 19 au 20 Novembre à l'île tunisienne de Djerba. En attendant, c'est la 40ème session de la Conférence ministérielle de la Francophonie (CMF) qui est lancée ce mercredi 16 mars dans la capitale française.


- Une langue concurrencée

Au-delà des poignées de main des dirigeants, « les rencontres de la Francophonie ignorent le sort de la langue française, ciment des pays membres de l'OIF », regrette le professeur. Le français est la cinquième langue la plus parlée dans le monde derrière le mandarin, l'anglais, l'espagnol et l'arabe. La langue française, introduite par le système colonial est très bien implantée en Afrique, mais son usage effectif ne cesse de reculer. Selon les Nations unies, l'espace francophone devrait représenter 1,1 milliard d'habitants et devenir le 4e espace linguistique en 2050.

En Afrique, la langue française voit son influence reculer et est concurrencée jusque dans les programmes scolaires.

Même dans le pays d’origine de Louise Mushikiwabo, la secrétaire générale de l’OIF, le français est relégué au second rang. Le Rwanda a jugé que l'anglais permettait à ses ressources humaines d'être plus performantes. D’après le journaliste guinéen, Ibrahima Bayo, auteur de plusieurs tribunes, des 80 pays membres, seuls 11 pays africains ont adopté le français comme unique langue officielle.

« Dans le reste du continent, la langue française y côtoie des langues locales ou étrangères qui relèguent la langue de Molière au rang de langue d'apprentissage dans l'enseignement ou de complément linguistique », déclare-t-il.

« Au Tchad et à Djibouti, le français coudoie l'arabe en tant que langue officielle, au Rwanda l'anglais et le kinyarwanda, au Burundi, le kirundi, aux Comores l'arabe et le comorien, au Cameroun, l'anglais, aux Seychelles, l'anglais et le créole », poursuit-il, rappelant une triste réalité : « Le français en Afrique reste une langue qui constitue l'apanage d'une certaine élite quand il n'est pas noyé dans une sorte de néo-dialecte avec les langues nationales pour au final ne plus être parlé comme ses règles l'exigeraient ». L'attrait pour la langue de Shakespeare est porté sur le continent par l'influente de la culture américaine : les clips, films, séries n'étant pas disponibles tout de suite en français poussent les gens à se mettre au bilinguisme obligé, estime-t-il.


- Une organisation dont l’influence dépend de celle de la France

« Le mandarin réalise, quant à lui, une percée formidable à la faveur des investissements chinois sur le continent, souvent accompagnés de l'implantation de projets de promotion de la culture et de la langue chinoise », poursuit le journaliste.

Pour Alfred Musiwa, ancien diplomate congolais, l’influence de l’OIF dépend de l’influence même de la France. « En Afrique, l’influence de la France n’est qu’une façade. A commencer par les aides au développement qui sont minimes alors que les puissances anglophones comme les Etats-Unies ou le royaume-Uni sont plus influentes dans les pays francophones plus que la France », note-t-il.

Pour cet expert, l’OIF n’a jamais été influente même si elle s’occupe généralement dans ses pays membres de l’audit des fichiers électoraux avant les scrutins.

« Je ne connais pas un seul pays qui peut trembler face aux résolutions de cette organisation. Sa faiblesse est qu’elle n’intervient presque pas économiquement, ni dans le développement, encore moins sur des questions de défense », indique-t-il.

Il estime que pour qu’une organisation soit influente, « elle doit contrôler économiquement, politiquement ou militairement ses membres ».

En 2020, explique le diplomate, « le fait pour l’organisation internationale de la Francophonie de ne pas soutenir le processus électoral (en Guinée) en l’absence d’un consensus national sur le nombre d’électeurs, n’avait pas empêché la tenue des scrutins, ni la reconnaissance de la victoire controversée de Alpha Condé ».

En 2009, l'OIF a accru son rôle en posant sur sa table des questions liées à la lutte contre le terrorisme, la crise migratoire ou encore les transitions politiques pour repositionner l'espace francophone comme un espace d'influence par la multiplication des prises de positions devant les organismes internationaux notamment devant les Nations unies.

L’organisation a compris qu’elle ne pouvait pas agir que sur une des composantes de l’effet positif de la langue française. Cette langue pourrait néanmoins profiter d’une forte croissance démographique en Afrique francophone et d’un rattrapage économique de la région dans les prochaines décennies.

« L’OIF pourrait alors tirer profit de cette forte croissance à condition de pouvoir faire face à la concurrence grandissante de l’anglais dans la région », estime le professeur Gaston Wetemwani.

L’organisation des jeux de la francophonie, une compétition quadriennale combinant des épreuves sportives et des concours culturels, ouverts aux 18-35 ans afin de promouvoir les talents de la jeunesse francophone, « reste néanmoins le pivot actif de l’influence de l’OIF pour le monde sportif », d’après le professeur. La compétition sportive doit se dérouler à Kinshasa, en 2023.

Seulement une partie des dépêches, que l'Agence Anadolu diffuse à ses abonnés via le Système de Diffusion interne (HAS), est diffusée sur le site de l'AA, de manière résumée. Contactez-nous s'il vous plaît pour vous abonner.
A Lire Aussi
Bu haberi paylaşın