Analyse

La Constitution tunisienne a sept ans, un long parcours qui n'a rien de tranquille

-La troisième Constitution -et cinquième Loi fondamentale- de l'histoire de la Tunisie vient de fêter, sans célébrations et encore moins de manifestation de fierté, ses sept ans d'existence.

1 23  | 27.01.2021 - Mıse À Jour : 28.01.2021
La Constitution tunisienne a sept ans, un long parcours qui n'a rien de tranquille

Tunis

AA/Tunis / Slah Grichi

Adoptée il y a sept ans, un certain 26 janvier, jour-symbole historique du premier soulèvement populaire, diligenté par l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), contre le régime de Bourguiba (1978), la nouvelle Constitution tunisienne devait abolir le totalitarisme et l'hégémonie d'un seul parti qui accaparait de fait le Législatif et l'Exécutif, dans un système pourtant -théoriquement- basé sur la séparation des pouvoirs.

Elle devait également jeter les fondements d'une transition démocratique pérenne, d'un Etat s'appuyant sur un équilibre et sur une séparation des pouvoirs, garantissant les libertés et les droits de l'Homme, soutenu par de hautes instances constitutionnelles indépendantes, chargées de contrôler la transparence, la légalité et la constitutionnalité de tout ce qui touche aux affaires de l'État et à ses institutions... De jouer aussi le rôle d'arbitre, en cas de conflits et pouvant même destituer le président de la République -bien qu'élu au suffrage universel-, quand il enfreint la Constitution.

L'hégémonie change de camp

Ce sont, en tout cas, là les principales revendications de la majorité des partis et des mouvements politiques qui, dès la défection du président Ben Ali, le 14 janvier 2014, se sont "ligués" pour une rupture totale avec la constitutionnalité du pays, amenant le chef du Gouvernement transitoire de l'époque, Béji Caied Essebsi, à promulguer, le 23 mars 2011, un décret loi dissolvant les deux Assemblées, le Conseil constitutionnel et le Conseil économique et social, tout en annonçant des élections pour une Assemblée constituante, avant la fin de la même année, appelée à écrire une nouvelle Constitution.

Cette Assemblée, sitôt élue et dominée par une Troïka composée d'Ennahdha qui récolta la présidence du gouvernement, Ettakattol qui obtint celle du Parlement et le Congrès pour la République (CPR) dont le leader fut désigné chef d'État, s'empressa d'écrire une sorte de petite Constitution pour organiser les pouvoirs publics. Avec la bénédiction de la quasi-majorité des élus, on limitera, dès ce premier "brouillon", au strict minimum, les prérogatives du président de la République, la volonté générale étant non seulement d'en finir avec le régime présidentiel, mais aussi d'éviter à jamais la concentration des compétences politiques au sein de l'Exécutif. L'Assemblée constituante fera plus, puisqu'elle réservera le vrai pouvoir au seul Parlement et cadenassera la Constitution de sorte qu'il soit, en pratique, presqu'impossible de le dissoudre. La phobie d'un nouveau Bourguiba ou d'un autre Ben Ali n'a fait que transposer l'hégémonie de camp.

Mais il convient de rappeler ici, qu'avant l'adoption de la copie finale de janvier 2014 (promulguée le 10 février), trois avant-projets avaient été présentés par les commissions constituantes qui ont commencé leurs travaux dès le 13 février, soit respectivement les 14 août et 14 décembre 2012, puis le 22 avril 2013. Tous ont été rejetés par beaucoup de politiques et par, surtout, les composantes de la Société civile. Entretemps, le pays est entré dans une crise politique et sociale sans précédent, accentuée par la montée de l'extrémisme et l'assassinat de la figure de proue de la Gauche Chokri Belaïd, le 6 février 2013. Le va-et-vient conflictuel entre l'Hémicycle et la Société civile et une bonne partie de l'opposition, allait être assoupli par une commission ad-hoc, composée de dix-huit personnalités chargées de rapprocher les divergences et de dégager un consensus autour du projet de la Constitution, afin que l'on ne se retrouvât pas dans un cas de blocage qui aurait nécessité le recours à un incertain référendum.

Le processus de l'écriture de la Constitution et de toute la transition démocratique connaîtra un véritable séisme avec l'assassinat de Mohamed Brahmi, un autre leader de la Gauche, le 25 juillet de la même année. En effet, 70 députés suspendaient immédiatement leur activité et entamaient un sit-in, poussant Mustapha Ben Jaâfar, le président de l'Assemblée, à geler les travaux de cette dernière. Les faucons d'Ennahdha ont jugé la décision du chef d'Ettakattol, comme une trahison d'un "faux allié", évoquant même l'éventualité de le révoquer.

Ce qui sauva la Constitution

Dans un climat en ébullition dans tout le pays, un Quartet (futur Prix Nobel de la Paix), composé des Centrales, syndicale et patronale, de la Ligue des droits de l'Homme et de l'Ordre des avocats, apaisera les tensions en proposant le 5 octobre, un Dialogue national qui sera mené à un rythme effréné pour aboutir la fin du même mois, à une feuille de route signée par vingt partis dont ceux au pouvoir -sans le CPR-.

Il y est notamment stipulé la désignation immédiate d'une personnalité indépendante pour diriger un Gouvernement provisoire de technocrates sans appartenance politique, qui aura à charge de préparer des élections, présidentielle et législatives, pour octobre 2014. La feuille de route accordait, également, un délai de trois mois à l'Assemblée constituante pour parachever la Constitution, sous la houlette de la Commission ad-hoc des consensus, dont l'existence a non seulement été légalisée, mais elle a vu ses décisions devenir contraignantes, en cas de litige entre blocs parlementaires et ce, après avoir annoncé, le 28 décembre 2013, la fin de ses travaux. L'achèvement de la nouvelle Constitution n'était dès lors qu'une formalité, d'autant que tous les intervenants étaient empressés de voir la crise désamorcée, même au prix de concessions importantes, allant jusqu'à la cession du pouvoir, comme ce fut le cas pour Ennahdha.

C'est ainsi que le 26 janvier 2014, lors d'une plénière et par 200 voix pour, 12-contre et quatre abstentions, la Tunisie se dotait de sa troisiéme Constitution, après celles de 1861 et de 1959. Elle consacre un régime parlementaire hybride, avec un Exécutif à deux têtes, avec un chef d'État au pouvoir limité et un chef du Gouvernement aux compétences énormes, mais dont la nomination et la fin de l'exercice, qui peut intervenir à n'importe quel moment et sans aucun recours possible, que du Parlement et de sa majorité qui décidément, elles aussi et exclusivement des cinq grandes Instances constitutionnelles indépendantes, dont la Cour constitutionnelle qui n'a pas encore vu le jour.

La troisième Constitution tient et tiendra encore, malgré son inachèvement et ses coins de faiblesses et de flous qui se révèlent au fil des accrocs qui surviennent ici et là et qui défient les voix qui s'élèvent pour la révision de certains de ses articles. Mais tant que la Cour constitutionnelle fera défaut, l'Assemblée des représentants du peuple détiendra le vrai pouvoir et ne rendra de compte à personne, même pas aux électeurs qui ne pourront "sanctionner" que par le scrutin...suivant.


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