
Tunisia
AA/Tunis/Fatma Ben Dhaou
« Le machin qu’on appelle l’ONU… » Dans son discours prononcé à Nantes le 10 septembre 1960, Charles de Gaulle, désapprouvant l’intervention de l’ONU au Congo, et refusant de participer aux frais engagés pour l’opération onusienne, ne croyait peut-être pas si bien dire. Ou si.
Structurée autour d’un noyau dur de cinq Etats considérés comme les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale (les USA, la France, l’URSS puis la Russie depuis 1991, la Chine et le Royaume-Uni), l’organisation des Nations unies, enfant légitime de l’Après-guerre, perd au fil des années le Sens. Et l’essence.
Depuis ce 24 octobre 1945, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. La décolonisation a permis à plus de 80 colonies de se joindre aux Etats souverains, l’effondrement du communisme et l’implosion de l’URSS ont changé la face du monde, la mondialisation et internet ont réduit le monde à un village global où les menaces et les défis sont interconnectés et de nouveaux acteurs sont apparus sur la scène internationale. Mais les murs de l’imposante bâtisse de Manhattan semblent imperméables et ses coulisses plus impénétrables que les voies du Seigneur.
Plus de sept décennies après sa création sur les ruines de la Société des Nations -ancêtre disparu parce que justement trop incapable à enrayer les crises majeures de ce début du XXe siècle et à anticiper les grands changements- l’ONU a de plus en plus l’air d’un mammouth sorti d’un vieux monde. « Le vieux monde se meurt. Le nouveau tarde à apparaître. Et c’est dans ce clair-obscur que surgissent les monstres », disait Antonio Gramsci. Du fond du clair-obscur du IIIe millénaire, l’ONU peine toujours à prouver le contraire.
- Une configuration d’un autre temps
Au fil des guerres, des chamboulements géopolitiques et des versions actualisées de l’échiquier mondial, le problème de la pertinence de la structure et du fonctionnement de l’ONU ne cesse d’être remis sur la table.
On reproche à l’unique instance planétaire chargée du maintien de la paix et de la sécurité dans le monde de fonctionner selon une configuration obsolète. Le Conseil de sécurité, épine dorsale du système onusien parce que doté d’un pouvoir exclusif et extrêmement important, celui d’autoriser le recours à la force armée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations unies, souffre, en fait, de déséquilibres structurels flagrants et de plus en plus décriés.
L’Europe qui compte 747 544 000 habitants, soit 9% de la population mondiale (chiffre au 1er janvier 2021), selon un rapport de l’ONU même en date du 11 juillet 2022, est représentée au sein du Conseil de sécurité par trois membres permanents (Royaume Uni, France, Russie), une sur-représentation qui excède largement son poids démographique. Une faveur dont ne bénéficie pas l’Afrique avec ses 1,31 milliard d’habitants (selon le même rapport).
Sur le plan économique, le japon, troisième sur le classement des pays les plus riches (5 383 mds $/Classement PIB) n’est pas non plus membre permanent du CS contrairement au Royaume-Uni (3 442 mds $ / Cinquième sur la liste) et à la France (3 140 mds $/Septième).
L’Inde, ce pays continent, véritable puissance démographique (1,2 milliard d’habitants), économique et militaire, qui depuis son tournant économique majeur en 1991 oscille entre 6 et 8% de taux de croissance, a entamé en 2021 un mandat de deux ans en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité. C’est la huitième fois que l’Inde est élu pour un tel mandat alors que ses tentatives de devenir membre permanent -comme celles de l’Allemagne, du Japon et du Brésil- se sont toujours heurtées aux inféconds discours de bonne volonté dans lesquels le mot « réforme », comme tous les tonneaux vides, fait grand bruit. Sans plus.
Le 31 juillet 2015, le président de l'Assemblée générale de l'ONU a, pour la première fois, proposé un projet de résolution sur l’élargissement du Conseil de sécurité. C’est ce qu’a affirmé à « Sputnik », six semaines plus tard, Ashok Sajjanhar, ancien ambassadeur d'Inde au Kazakhstan, en Suède et en Lettonie. Selon lui, ce projet s’est heurté à la position des Etats-Unis, de la Russie et de la Chine selon laquelle avant de lancer des pourparlers sur l'élargissement du Conseil de sécurité, il est essentiel de créer un Comité intergouvernemental de négociation afin d'examiner cette question sans toutefois présenter de projets par écrit. Autrement dit des pourparlers sous la table. L’Inde, ainsi que les trois autres candidats ont, bien évidemment, refusé une telle démarche, insistant, selon la même source, sur la nécessité de consigner toutes les négociations dans un document officiel.
- Le club fermé des vainqueurs de jadis
Sur le site des Nations unies, plus précisément dans la partie consacrée aux Etats non membres du Conseil de sécurité, on peut lire ce qui suit : « Tout État Membre des Nations unies qui n’est pas membre du Conseil de sécurité peut être convié à participer, sans droit de vote, à la discussion de toute question soumise au Conseil lorsque celui-ci estime que les intérêts de ce Membre sont particulièrement affectés ». Le « celui-ci », c’est le Conseil lui-même. Il possède seul le pouvoir discrétionnaire de décider si un Etat membre a les intérêts assez affectés ou pas pour être autorisé à assister aux discussions. Sans droit de vote.
Il est vrai que si le Conseil de sécurité peut assurer sa fonction exécutive, c’est parce que les États concernés par ses décisions ont accepté sa compétence en adhérant simplement à l’Organisation des Nations unies, mais évidemment, l’effectivité de l’égalité juridique des États est bien souvent -toujours pour être plus précis- amoindrie par leurs inégalités géopolitiques, militaires et surtout économiques. Soit. Sauf que le monde a changé. Les vainqueurs de jadis ont avancé-parfois à reculons- chacun à sa manière certes, mais tous avec des parcours pas vraiment exemplaires et des bilans mitigés. Les Etats Unis se sont embourbés dans les quatre coins de la planète, un coup au Vietnam, un coup en Afghanistan, un coup en Somalie, un coup en Irak. L’URSS elle aussi est passée par la case Afghanistan où elle a subi sa plus grande déroute militaire, avant que le colosse ne s’écroule quelques années plus tard tel un château de cartes, léguant son égo blessé et ses déboires à une Russie haletante mais toujours sur le ring. Au Royaume Uni, c’est depuis le troisième gouvernement de Winston Churchill -qui durera jusqu’à sa démission en 1955- que les crises de politique étrangère augurèrent du déclin déjà amorcé de l’armée britannique, du prestige et du pouvoir de l’empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais. La France, quant à elle accumule les fiascos - de la « sale guerre » en Indochine, à la guerre d’Algérie, jusqu’aux déboires et scandales de la Françafrique- perd du terrain en matière de diplomatie et s’embourbe dans la récession. Seule la Chine, première puissance économique mondiale, avance en silence sans trop de fracas, se concentrant sur la pénétration commerciale, la gestion de son discours à l’international et le rayonnement de sa soft power.
Et le financement de l’organisation dans tout ça ? Là aussi, hormis quelques constantes, notamment la part du lion pour les Américains, l’équation change et la bourse des bailleurs de fonds fluctue. Sur les 3,2 milliards de dollars, budget ordinaire de l’ONU pour l’année 2021 tel indiqué sur le site de l’organisation, les Etats Unis accaparent la tête du peloton avec une contribution s’élevant à un peu moins de 700 millions de dollars, suivis de la Chine avec près de 350 millions de dollars. Le Japon (environ 200 millions USD) et l’Allemagne (près de 175 millions USD), les vaincus de la Seconde Guerre mondiale dans une vie antérieure, devancent eux le Royaume Unis (Près de 150 millions USD) et la France (près de 145 millions USD). La Russie n’arrive qu’à la neuvième place, dépassée par le Brésil et le Canada. Même configuration pour la répartition du budget des opérations de maintien de la paix de l’ONU, force de frappe de l’organisation. Sur les 6,58 milliards USD (Budget 2020-2021), la contribution des USA atteint les 27,89%, suivie par celle de la Chine (15,21%). Le reste du classement se dresse comme suit : Japon (8,56%), Allemagne (6,09%), Royaume Uni (5,79%), France (5,61%), Italie (3,30%), Russie (3,04%), Canada (2,73%), Corée du Sud (2,26%) et le reste du monde (19,52%).
Ainsi même en prenant en considération l’argument du financement, cher aux adeptes du « qui paye mieux aura le dernier mot »- argument discutable à plus d’un titre, l’ONU n’étant pas une simple entreprise familiale où les partenaires se partagent le pouvoir décisionnel chacun selon sa part- l’équation ne tient plus. Le club longtemps fermé des Cinq a été infiltré. Et ses membres qui détiennent en main toujours en exclusivité le destin du reste du monde ne sont plus les plus généreux. Le compte n’est plus bon.
- Autorité et crédibilité … l’usure du temps
Outre la configuration obsolète, l’efficacité même du système onusien a, au fil des années, été mise à rude épreuve, mettant l’organisation devant un défi quasi existentiel. To be or not to be. Regarder la vérité en face ou bien se contenter de la fuite en avant – c’est le cas pour les Cinq- et de la politique de l’autruche comme le fait avec brio la hiérarchie de l’institution.
Une crise d’autorité, mais surtout de crédibilité, grignote chaque jour davantage le crédit confiance dont est censé jouir l’organisation chargée du maintien de la paix et de la sécurité dans le monde.
A l’instar de la Société des Nations qui n’a pu empêcher ni la guerre civile espagnole, ni l’agression italienne contre l’Éthiopie, ni l'impérialisme japonais, ni l'annexion de l'Autriche par Hitler, ni la crise des Sudètes, ni enfin les menaces allemandes contre la Pologne, et on en passe, l’ONU est chaque fois confrontée aux limites de son autorité. Les principales interventions militaires des Occidentaux sans mandat de l’ONU- ou avec un mandat contesté- ne sont que le miroir de cette crise d’autorité. La campagne aérienne lancée en 1999 par l’OTAN contre la Yougoslavie de Slobodan Milosevic (la Russie et la Chine menaçaient d'opposer leur veto à une résolution de l'ONU), l’invasion américaine de l’Irak en 2003 sans mandat onusien (le projet est retiré avant le vote, faute de consensus/L’intervention a été autorisée par l’ONU a posteriori), ou encore l’interprétation abusive de l’OTAN de la résolution 1973 concernant la Libye en 2011 ne se limitant plus à la protection des civils mais en voulant la chute du régime de Kadhafi, ne sont peut-être que la partie saillante de l’iceberg. Celui de la totale impuissance de l’ONU à frapper sur la table. Une impuissance encore plus visible à travers le nombre interminables de résolutions onusiennes non respectées. Israël - s’il ne s’agit que de cet exemple- a ignoré 3 résolutions prises par l’Assemblée générale (en 1947, 1948 et 1949/L’AG avait alors fonction d’organe décisionnel) et 31 résolutions du Conseil de sécurité, selon un dossier publié par Le Monde diplomatique en février 2009.
Par ailleurs, et avec les intérêts de plus en plus divergents, voire contradictoires, des Cinq, au fil des grands changements géopolitiques, l’ONU est aujourd’hui quasi-bloquée. Réduite à une gigantesque machine à l’arrêt. Si l'ONU est au cœur de la diplomatie mondiale, c’est parce que les puissances sont disposées à lui sous-traiter la capacité d'agir au nom de la communauté internationale. C’est le cas lorsqu'elles trouvent un accord entre elles. Mais quand elles s’affrontent, guidées par leurs intérêts concurrents – et c’est quasi-systématique dans le nouvel échiquier- l'ONU est paralysée. Un grain de sable dans la machine ? Beaucoup plus même.
L’ONU a échoué à glisser du statut de coalition des nations victorieuses à celui d’organisation universelle. C’est un constat. Un triste constat qui pousse la communauté internationale à user d’une autre diplomatie, moins formelle, par l’intermédiaire des « Groupes » : le G20, le G8 ou encore les BRICS (Brésil, Russie, Chine, Afrique du Sud, Inde). La nature n’a-t-elle pas horreur du vide.
« Mes frères, mes sœurs, vous parlez, vous parlez, vous n’êtes là que pour la décoration », lance théâtralement Mouammar kadhafi le 23 septembre 2009 aux membres de l’Assemblée générale de l’ONU, à moitié endormis, lors d’un discours de près de deux heures censé ne durer que 15 minutes. Il fustigeait, entre-autres l’intervention militaire dans les conflits qui devrait, selon lui, être uniquement appliquée sur décision de l’ONU avec l’accord de tous les pays membres. Il est assassiné deux ans plus tard en plein Syrte par un bombardement de l’OTAN. L'ONU n'était alors que le dindon de la farce.
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