L’armée libyenne ferme "Al-Djabal al-Gharbi" en prélude à la libération du Sud (Analyse)
Le contrôle par l’armée libyenne de la principale voie d’approvisionnement des milices de Haftar éradiquera leur présence dans la région occidentale du pays.

Turkey
AA / Istanbul / Mustapha Dalaa
À un moment où tous les regards étaient dirigés vers la bataille de Syrte, l'armée libyenne relevant du gouvernement légitime est parvenue à prendre le contrôler de l’une des principales voies d'approvisionnement des milices de Haftar, d'une longueur de 350 kilomètres, et à libérer la plupart des localités de la région sud de la Région de Tripoli sans mener de combats.
Les forces gouvernementales ont annoncé, jeudi, avoir pris le contrôle d’une principale voie d’approvisionnement reliant le sud à l'ouest du pays, voie utilisée par les milices de Haftar pendant une année pour appuyer l'agression contre Tripoli en acheminant mercenaires, armes, munitions, matériel et carburant.
En examinant la carte publiée par les forces gouvernementales sur la page « Opération Volcan de la Colère », nous observons que plusieurs localités situées sur cette voie sont désormais sous leur contrôle, à l’instar de Marsit, située au sud de la ville d'Al-Assabia (120 km au sud de Tripoli), d’Al-Qurayat, qui constitue un croisement des routes vers al-Djabal al-Gharbi, et de la ville de Béni Walid (180 Km au sud-est de Tripoli), tandis que Nessma est située sur la route menant à Béni Walid.
Les ravitaillements des milices de Haftar à Qurayat et à Nessma ont été soumis à de nombreux raids aériens menés par des drones gouvernementaux, tout au long de l’année écoulée, pour couper les voies d'approvisionnement des milices, et ce avant la chute de Béni Walid et de la ville de Tarhouna (90 km au sud-est de Tripoli), et l’échec total de l’attaque menée contre la capitale Tripoli.
** Couper les approvisionnements des groupuscules de Haftar dans al-Djabal al-Gharbi
Cependant, la principale ville qui se trouve sur la voie d'approvisionnement, récemment contrôlée, est celle d’al-Chouiref (420 km au sud-est de Tripoli). Il s’agit de la dernière ville dans le sud de la région de Tripoli de même qu’un point de liaison avec la Région du Fezzan au sud.
En contrôlant Al-Chouiref, les forces gouvernementales ont réussi à bloquer l’accès sud des approvisionnements provenant de la base aérienne d'Al-Jofra (650 km au sud-est de Tripoli) et de la base aérienne de Tamenhat, relevant de la ville de Sabha (750 km au sud de Tripoli).
Les milices de Haftar qui ont fui de la base aérienne d'Al-Wattia (140 km au sud-ouest de Tripoli), libérée le 18 mai dernier, sont toujours déployées, fortes de leurs armes lourdes et légères, dans les villes d’al Jabal al-Gharbi, tels que Zentan et Rejban (170 km au sud-ouest de Tripoli) et Al-Assabia (120 km au sud de Tripoli).
Ces milices continueront à constituer une menace continue contre les villes et localités d’al-Djabal al-Gharbi, voire contre la base d’al-Wattia et les villes du littoral ouest bien que de nombreux miliciens aient fui vers l’est, ce qui a ainsi facilité l'entrée des forces gouvernementales dans plusieurs localités du sud de la région ouest sans combats.
Sans ravitaillement, ces milices vont se disloquer et s'effondrer et ses éléments pourraient tenter de fuir vers l’est ou se fondre dans la foule et dans leur milieu populaire.
C'est ce qui s'est d’ailleurs passé au Zentan où les forces de la région Ouest, dirigées par Oussama Jouili, ont réussi à étendre leur contrôle sur le siège du Conseil de direction de la mairie de la ville et s’emploient actuellement à mettre fin, de manière progressive, à la présence des éléments armés de Haftar.
** al-Chouiref..Vanne de l’eau et du pétrole
Bien qu'il ne s'agisse que d'une localité que certains considèrent comme étant un village, il n’en demeure pas moins que l’importance d’al-Chouiref réside dans sa position, étant traversée par la rivière artificielle qui alimente la capitale en eaux ramenée de l’extrême sud du pays.
Se trouve à al-Chouiref une importante vanne des eaux de la rivière artificielle, longtemps utilisée par la tribu des M’gerhah, alliée au régime de Mouammar Kadhafi, pour faire chanter le gouvernement à Tripoli. Pour faire libérer un des membres de la tribu, ses chefs n’ont pas hésité à couper l’eau laissant plus de 2,5 millions d’habitants de la capitale sans eau courante.
L'eau n'est pas l’unique point fort de cette ville désertique reculée, elle dispose également d’une vanne du pipeline du pétrole provenant des champs d’al-Cherara (plus grand champ pétrolier du pays) et d’al-Fil (à plus de 1000 Km au sud-ouest de Tripoli), pipeline qui a comme point d’arrivée la raffinerie d'al-Zawiya (50 km à l'ouest de Tripoli).
Ajoutons à cela la présence des champs pétroliers d'Al-Hameda Al-Hamra, situés à l'ouest d'Al-Chouiref, mais dont la production est limitée, ne dépassant pas les 8 mille barils/jour (statistiques de 2018), en comparaison avec les 300 mille barils produits quotidiennement par le champ d’al-Cherara.
La prise de contrôle par les forces gouvernementales de la ville d’al-Chouiref permettra de sécuriser le flux d’eau et de pétrole, sans entraves, à condition de contrôler, en amont, les champs pétroliers d’al-Cherara et d’al-Fil, au sud de la ville d’Oubari (sud-ouest).
**al-Chouiref, point de départ de la libération du sud
Al-Chouiref est devenu le point le plus proche, où les forces gouvernementales sont stationnées, par rapport à Sebha et à sa base aérienne de Tamenhant, n’étant séparés de ces deux sites que de 360 kilomètres.
Néanmoins, parvenir à Sebha implique la prise de contrôle de la base aérienne de Barak al-Chati’ (300 km au sud de Tripoli), actuellement contrôlée par les tribus des M’gerhah sous la direction de Mohamed bin Naiel, commandant du 12ème régiment.
Le 12ème régiment fait partie des régiments les mieux équipés du sud libyen, ayant réussi en 2017 à accéder aux bases d'Al-Jofra et de Tamenhant après avoir pris le contrôle de la base de Barak al-Chati’, un an auparavant (2016).
Ce régiment représente également la principale force de Haftar dans la région du Fezzan, à côté du régiment de « Khaled Ibn al-Walid » dirigé par Hussein al-Tibaoui (des tribus africaines des Toubous).
Si les forces gouvernementales prennent le contrôle des deux bases de Barak al-Chati’ et de Tamenhant, la chute des autres villes du sud devient inéluctable, au premier rang desquelles figure la ville de Sabha, chef-lieu de la province de Fezzan, d'autant plus que cette ville dispose de plusieurs régiments qui lui sont fidèles dans le sud parmi les Touareg et les Toubous, et qui sont déployés dans les villes de Oubari, de Ghat et de Murzug.
** Un objectif facile
Cependant, il existe un objectif facile proche d’al-Chouiref,. Il s’agit de la ville de Ghadamès, qui dispose d’un aéroport civil. Située dans le triangle frontalier à proximité de la Tunisie et de l’Algérie, Ghadamès est considérée comme neutre, raison pour laquelle elle a été choisie par les Nations Unies au mois d’avril 20198 pour accueillir la Conférence de Ghadamès.
Par ailleurs, l'influence des milices de Haftar à Ghamadès est plus forte et Abdullah al-Thani, le chef du prétendu gouvernement intérimaire, en est issu, mais sa population est pacifique.
La troisième unité de Misrata avait neutralisé un avion civil émirati à l'aéroport de Ghadamès en 2014, car Abu Dhabi pensait que l'aéroport était soumis au contrôle des milices de Haftar, dans le but d’acheminer des approvisionnements aux régiments du Zentan (alliés à l’époque de Haftar).
Mais une force supérieure à celle de Misrata avait précédé les éléments armés du Zentan à l'aéroport, et réussi à neutraliser l’avion et son équipage, avant de laisser partir l’avion à la faveur de négociations avec des responsables à Abu Dhabi.
** Une deuxième option…La base d’al-Jofra
L'un des desseins de la prise de contrôle de la ville de Syrte (450 km à l'est de Tripoli) est de progresser vers la base aérienne d’al-Jofra (300 km au sud de Syrte), mais Syrte n'est pas l’unique chemin vers al-Jofra.
al-Chouiref constitue la deuxième option, étant plus proche d’al-Jofra que Syrte, étant séparée de la base de 280 kilomètres en direction de l’est.
Indépendamment de la chute ou non de Syrte, l'attaque sur la base d’al-Jofra à partir d’al-Chouiref, représente l’une des options disponibles dans tous les cas.
Cependant, tout mouvement sur ce front nécessite une couverture aérienne ou une défense anti-aérienne par missiles, étant une terre saharienne ouverte, qui est difficile à défendre.
Il s’agit de la principale faiblesse de Haftar et l’une des raisons de l’effondrement de ses milices dans le sud de la capitale et tout au long des voies d’approvisionnement, ayant été longuement ciblés par les drones.
En résumé de tout ce qui précède, nous pouvons avancer que la prise de contrôle par l'armée libyenne de la principale ligne d'approvisionnement des milices de Haftar va réduire voire éradiquer la présence de ces milices dans la région ouest, de même que cela permettra aux unités gouvernementales de disposer de plusieurs options pour lancer une campagne de libération des villes du sud et leurs bases aériennes, principalement celle d’al-Jofra, tout en sécurisant les deux vannes d’eau de la rivière artificielle et du pipeline du pétrole vers le nord.
*Traduit de l'Arabe par Hatem Kattou