Politique, Analyse

Gaza : Un retour d’Israël à la politique des assassinats ? (Analyse)

Daoud Chiheb, dirigeant au Jihad islamique : Nous avons transmis un message à Israël en vertu duquel le retour à la politique des assassinats est une ligne rouge

18.08.2022 - Mıse À Jour : 19.08.2022
Gaza : Un retour d’Israël à la politique des assassinats ? (Analyse)

AA / Gaza / Nour Abou Aicha


-Ahmed Rafik Awadh, analyste politique : Israël ne renoncera pas à la politique des assassinats
-L’analyste politique Wadi’ Abou Nassar : La reprise par Israël de la politique des assassinats est possible mais cela demeure peu probable pour l’instant au moins


Des experts considèrent que l'assassinat, récemment, par Israël de deux dirigeants des « Brigades al-Quds » (branche armée du Mouvement du Jihad islamique) ne sera pas l'épilogue du feuilleton des liquidations, estimant que l'Etat hébreu poursuivra cette politique malgré les risques qui en découlent.
Au cours de la dernière opération militaire lancée par Israël sur la Bande de Gaza (du 5 au 7 août courant), son armée a assassiné deux dirigeants de premier plan des « Brigades al-Quds », en l'occurrence Teycir Jaabari et Khaled Mansour.
En réaction à cela, le Mouvement du Jihad islamique a tiré des centaines de missiles en direction des zones israéliennes juxtaposant l’enclave palestinienne.
Les factions palestiniennes estiment avoir contraint Israël à suspendre le large recours à la politique des assassinats, à travers l'imposition de nouvelles « règles d’engagement » et en brisant celles établies par Israël auparavant.
La dernière opération d'assassinat perpétrée par Israël, avant celle de Jaabari et de Mansour date du mois de novembre 2019, lorsque Tsahal avait liquidé le dirigeant de premier plan de la branche armée du Mouvement du Jihad, Baha’ Abou Al-Ata’.
Depuis la fin de la quatrième guerre israélienne contre la Bande de Gaza (en 2014), Israël n'a pas commis d'opérations d'assassinats publiques ciblant des dirigeants palestiniens.
Lors de l'Intifada (soulèvement populaire) d’al-Aqsa, entre 2002 et 2005, Israël avait lancé une série d'assassinats à large échelle, qui a touché la majorité des principaux dirigeants du Mouvement Hamas, et à leur tête le chef historique du « Mouvement de la Résistance islamique », Ahmed Yacine.
La campagne d’assassinats a touché, également, des dirigeants majeurs des autres factions palestiniennes, dont Abou Ali Mustapha, leader du Front populaire de la libération de la Palestine (FPLP).


- Les règles d'engagement


Malgré les deux assassinats récents commis par Israël, il n'en demeure pas moins que Daoud Chiheb, dirigeant du Mouvement du Jihad islamique, considère que la « Résistance est encore capable de contraindre Israël à respecter les règles d'engagement ».
Dans une déclaration faite à l'Agence Anadolu, Chiheb a souligné qu’Israël a « tenté, à travers le dernier affrontement de briser les règles d'engagement établies à Gaza et de retourner à nouveau au carré des assassinats ».
« La première réaction des Brigades al-Quds a été lancée le 5 août à 9h pour adresser un message à l'occupation, en vertu duquel la politique des assassinats n'est plus valable face à la force de la Résistance et à sa position constante ».
Il a ajouté que la « Résistance a réussi à asseoir les règles d'engagement mises en place au cours de la bataille de « Seif al-Quds » (Sabre de Jérusalem) du mois de mai 2021 qui a consacré l'unité des scènes » (palestiniennes).


- Les assassinats : Une ligne rouge


Chiheb a souligné que le récent affrontement n'était pas « une réaction à l'interpellation du dirigeant du Mouvement Bassem Saadi, le 1er août, mais plutôt en réponse à l'assassinat de Jaabri et à l'attaque contre la maison de la famille de Kaddoum Charfi dans la ville de Gaza, le 5 du même mois ».
« Le combat a été imposé à notre mouvement au moment où nous menions des discussions avec l'Egypte pour mettre un terme à l'état de mobilisation annoncée par les Brigades al-Quds, après l'interpellation de Saadi, dès lors que son sort était inconnu à ce moment-là », a-t-il ajouté.
« Lors de l'arrestation de Saadi et de son agression, son sort était inconnu mais après que nous avons eu obtenu des informations rassurantes par le truchement d'intermédiaires quant à son état de santé, nous avons débattu avec l'Egypte des voies et moyens de mettre un terme à la mobilisation et nous n'avions pas l'intention de se diriger vers l'affrontement », a-t-il expliqué.
Chiheb a rappelé qu’Israël « après avoir assassiné Jaabari, a commencé à quémander le cessez-le-feu en prenant attache avec des intermédiaires ».
« Notre mouvement a refusé de s’emmurer dans le silence et a décidé de réagir et de s'engager dans une bataille qui a duré plusieurs jours, afin que l'ennemi saisisse que le retour à la politique d'assassinat est une ligne rouge », a-t-il averti.
Il a ajouté que les « efforts déployés par plusieurs intermédiaires, égyptien et onusien, pour stabiliser le cessez-le-feu à Gaza et la réalisation des engagements portant sur la libération des deux prisonniers Khalil Awawda et Bassem Saadi, se poursuivent encore ».
L'Egypte est parvenue à conclure un accord de cessez-le-feu entre le Mouvement du Jihad islamique et Israël, au soir du 7 août, en vertu duquel Le Caire s'engage à œuvrer à libérer Saadi et Awawda, qui observe une grève de la faim depuis 157 jours.
Chiheb a ajouté que son mouvement a « obtenu des engagements clairs de la part des Nations unies et de l'Egypte pour œuvrer à sauver la vie de Awawda et à mettre un terme à l'arrestation de Saadi ».
« Notre Mouvement a mis en garde l'Occupation contre toute atteinte à la vie de Awawda, dès lors que sa mort sera considérée comme une exécution, chose qui aboutira à une nouvelle confrontation », a-t-il assuré.
S’agissant de la libération de Saadi, Chiheb a relevé que « le Mouvement du Jihad islamique suit de près ce dossier et nous prendrons, le moment opportun, la position appropriée sans anticiper ».


- Israël poursuivra les assassinats


L'analyste politique, Ahmed Rafik Awadh, président du Centre pour les Etudes futures à l'Université al-Quds en Cisjordanie, croit qu’Israël « ne renoncera pas à la politique des assassinats ».
Dans une déclaration faite à l'Agence Anadolu, Awadh a déclaré qu’Israël « considère sa politique d'assassinat comme étant une constante, même si cela l'amènerait à payer un lourd tribut ».
Toutefois, notre interlocuteur estime que « le dernier affrontement a permis aux Palestiniens d'engranger une série d'acquis d’ordre politique et militaire ainsi que sur le terrain ».
« Cette bataille a réussi à stabiliser l'équation de l'unité des scènes entre les zones palestiniennes, l'unité des sentiments ainsi que l'unité des objectifs et des pertes », a-t-il expliqué.
Il a ajouté que « la Bande de Gaza a prouvé être un réel front capable de faire face et de réagir à l'armée israélienne, tout en semant le trouble aux plans de Tel-Aviv ».
« La Résistance a réussi, selon lui, à paralyser le front intérieur israélien pendant plusieurs jours ».
« De plus, Israël a échoué à atteindre les résultats escomptés de la politique d'assassinat des dirigeants des factions militaires de la Résistance, principalement, la paralysie des capacités de ces factions et l’atteinte de leurs ressources militaires et humaines », a conclu Awadh.


- Possible mais peu probable pour le moment


A son tour, Wadi’a Abou Nassar, expert spécialiste des Affaires israéliennes, a souligné que « le retour de Tel-Aviv à la politique d’assassinat de personnalités dans la Bande de Gaza est possible mais peu probable durant la phase actuelle du moins », d'autant plus que des élections générales seront organisées au mois de novembre prochain en Israël.
Dans une entrevue avec Anadolu, Abou Nassar a relevé qu’Israël « a des calculs d'ordre politique et sécuritaire, et par moment, les éléments et facteurs s’enchevêtrent pour aboutir à l'assassinat de personnalités, dont l'Etat hébreu est incapable de se débarrasser par les interpellations et recourt, le cas échéant, à l'élimination physique ».
« Israël pourrait recourir également aux assassinats s'il dispose d'éléments et des renseignements considérés comme graves, et préfère à ce moment, prendre l'initiative d’éliminer ses adversaires malgré des retombées majeures », a-t-il poursuivi.
« Cette mesure nécessité une validation par la partie politique israélienne qui hésite souvent à franchir le Rubicon pour des raisons sécuritaires et intérieures », selon Abou Nassar.
S’agissant des objectifs réalisés par Israël au cours du dernier affrontement à Gaza, Abou Nassar a indiqué qu’Israël a « réalisé une sorte de dissuasion » dans l’enclave.
Et notre interlocuteur de poursuivre : « Durant trois jours, et après l'arrestation de Saadi et peu avant le début de l'attaque israélienne, le Mouvement du Jihad islamique a tenté de dissuader Israël à travers la proclamation de la mobilisation militaire qui a causé une paralysie des zones israéliennes situées à proximité de l'enclave de Gaza ».

« Israël a voulu, selon Abou Nassar, adresser un message au Jihad qu'il n'accepte pas cette dissuasion et quiconque tenterait cette démarche sera attaqué ».
L'expert a ajouté que « l'affrontement a transmis également un message à d'autres parties, qu'il s'agisse du Hamas, du Hezbollah libanais ou de l'Iran, pour leur dire que Tel-Aviv est apte et capable de combattre ».
Il a indiqué aussi que « cet affrontement a porté des messages aussi aux amis d'Israël, qu'il s'agisse de l'Occident ou du Monde arabe, que Tel-Aviv est encore fort ».


- Faiblesse israélienne


Abou Nassar considère que « la dernière bataille a montré une faiblesse d'Israël, dans la mesure où un Etat puissant combat une faction palestinienne seule, et qui n'est pas la plus forte sur la scène ».
« C'est une défaite. Un grand Etat met à contribution ses moyens pour combattre une seule faction et sans combattre les autres », a-t-il ajouté, dans une référence à la tentative d'Israël de neutraliser le Mouvement Hamas, au cours de la bataille.
Abou Nassar a dit, par ailleurs, que le Jihad islamique a, à son tour, perdu ce round et n'a pas enregistré de réalisations, dès lors que les pertes et les dommages du côté israélien sont limités ».

*Traduit de l'arabe par Hatem Kattou

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