France : Peut-on encore enrayer les violences policières ?
- Après l’indignation et la récupération politique, les affaires retombent souvent dans l’oubli, avant d’être confrontées à un déni de justice.

France
AA/Nice/Feïza Ben Mohamed
La question des violences policières occupe régulièrement la scène médiatique française depuis que la diffusion d’images, notamment sur les réseaux sociaux, a permis de mettre en lumière un fléau qui frappe en grande majorité les jeunes issus de l’immigration.
Mais souvent, après l’indignation et la récupération politique, les affaires retombent dans l’oubli, avant d’être confrontées à un déni de justice.
Si le Président français, Emmanuel Macron, a reconnu, en mai dernier dans une interview au media en ligne Brut, l’existence de violences policières, estimant qu’il « faut sanctionner » les auteurs, la politique menée par l’Exécutif montre souvent l’inverse.
- Des violences ancrées dans l’Histoire
On pourrait croire qu’il s’agit d’un phénomène relativement récent, tant les retentissements médiatiques ont été rares sur les dernières décennies, mais l’Histoire prouve l’inverse.
Dans un ouvrage intitulé « 100 portraits contre l’Etat policier » publié par le collectif « Cases rebelles », visant à rendre « visible le flux permanent de personnes qui meurent victimes de l’Etat policier français » depuis 1947, on découvre les visages de certaines de ces victimes.
De Fatima Bedar, à Adama Traoré, en passant par Lahouari Ben Mohamed ou encore Malik Oussekine, ce livre, paru en 2017, revient sur les destins tragiques d’une centaine de figures, abattues par la police française.
Le collectif y souligne que ces victimes « ont été étouffées, abattues, percutées, battues à mort, lors de contrôles, d’arrestations, d’expulsions, de mouvements sociaux ou de manifestations, par les forces de l’ordre ».
Au travers de ces portraits, les auteurs de l’ouvrage ont souhaité que les lecteurs puissent « saisir comment toutes ces petites histoires, souvent tombées dans l’oubli, forment la grande histoire de la domination policière en France et son caractère à la fois de classe, raciste et colonial ».
- Des techniques d’interpellation controversées
En janvier 2020, le décès du livreur, Cédric Chouviat, après une clé d’étranglement a suscité un vif tollé dans l’opinion publique, forçant le ministre de l’Intérieur de l’époque à annoncer l’abandon de cette technique d’intervention.
En principe, cette méthode d’interpellation ne doit être utilisée que pour mettre un individu en position allongée au but de le menotter. Mais souvent, elle est suivie par un plaquage ventral prolongé, qui peut provoquer une asphyxie mortelle pour la personne qui le reçoit.
C’est précisément ce qui est arrivé à Cédric Chouviat en 2020, à Adama Traoré en 2016, mais aussi à Merter Keskin, dont les images exclusives du décès ont été révélées par l’Agence Anadolu début juin.
« Depuis le début, nous avons toujours dit que c’est une clé d’étranglement et un plaquage ventral qui a tué Cédric Chouviat malgré la version de la préfecture de police à savoir qu’il était mort d’un malaise cardiaque », expliquait en janvier dernier Maître Arié Alimi, avocat de la famille de Cédric Chouviat, à l’antenne de France 3.
Ce constat sur la dangerosité du plaquage ventral est partagé par de nombreuses organisations dont Amnesty International qui souligne que « selon des experts, l'asphyxie positionnelle se produit lorsque l'on serre le cou d'une personne, ce qui rend la respiration difficile, ou lorsqu'on la maintient allongée sur le ventre afin de l'immobiliser ou de la transporter ».
L’ONG rappelle que « cette position empêche de respirer correctement » et que « le fait de menotter une personne derrière le dos restreint également sa possibilité de respirer ».
- Controverse autour de l’usage des armes à feu
Il est d’usage qu’un policier soit désarmé et qu’une enquête de l’IGPN (Inspection générale de la police nationale) soit systématiquement ouverte dès lors qu’il fait usage de son arme de service.
Mais dans les faits, au-delà de l’usage légitime de leurs armes lorsque leur vie est mise en danger, la question des tirs lors des refus d’obtempérer constitue une grande inquiétude du côté des associations et militants des droits humains.
« En tant que collectif de familles qui avons été touchées par ce drame, on alerte sur l’article L435-1 de la loi de 2017 qui permet aux policiers de tirer sur des voitures », indique Amal Bentounsi, dont le frère Amine a été abattu d’une balle dans le dos par un policier le 21 avril 2012.
Dans un entretien à l’Agence Anadolu, elle « considère que depuis quelques années il y a une nette augmentation de l’usage des armes à feu qui a fait de nombreuses victimes ».
La fondatrice du collectif « Urgence notre police assassine » plaide « pour que les policiers ne bénéficient plus de cet usage » et milite « pour une réforme de la loi ».
« Comment peut-on encore accepter que dans un État de droit, on puisse accepter le rétablissement de la peine de mort ? » interroge la mère de famille.
- Les vidéos, seul espoir d’obtenir justice
Avec l’avènement des réseaux sociaux, et la possibilité pour chacun de diffuser en temps réel des interpellations, les cas de violences policières portées à la connaissance de l’opinion publique sont de plus en plus nombreux.
C’est en effet après un appel à témoin de Maître Arié Alimi sur les réseaux sociaux, que des internautes se sont manifestés pour signaler qu’ils ont filmé l’arrestation qui a conduit à la mort de Cédric Chouviat.
Pour permettre au plus grand nombre de victimes d’obtenir justice, Amal Bentounsi a créé, en 2020, une application qui permet de filmer des interventions policières et d’enregistrer instantanément les images sur un serveur sécurisé.
L’application « Urgence Violences policières », disponible sur IOS et Androïd, permet ainsi à quiconque de filmer une intervention ou un contrôle en étant assuré du stockage des images.
« Les images sont directement envoyées sur notre serveur et ne peuvent plus être effacées », détaille Amal Bentounsi, à l’origine du projet.
Elle rappelle, à cet effet, que bien souvent les vidéos sont les seuls éléments de preuves dont disposent les victimes pour obtenir justice.
« Il faut qu’on s’organise pour faire cesser cette impunité » dont jouissent quasi-systématiquement les forces de l’ordre, plaide la militante, désormais étudiante en droit.
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