France : les discriminations fondées sur la religion s’ancrent dans le quotidien
- Une hausse silencieuse mais continue
Istanbul
AA / Istanbul / Seyma Erkul Dayanc
En France, les discriminations fondées sur la religion progressent de manière régulière, dans un climat marqué par la montée des tensions identitaires et la banalisation des discours de rejet. C’est le constat dressé par la Défenseure des droits, Claire Hédon, dans son rapport « Les discriminations fondées sur la religion – Constats et analyses », qui s’appuie notamment sur la nouvelle édition 2024 de l’enquête Accès aux droits, publiée en 2025.
Selon cette étude, 7 % des personnes interrogées déclarent avoir été discriminées en raison de leur religion au cours des cinq dernières années, contre 5 % en 2016, traduisant une aggravation mesurable d’un phénomène longtemps sous-estimé.
Cette évolution s’inscrit dans un contexte plus large de durcissement du climat social. Entre 2021 et 2023, le nombre de personnes rapportant des faits de discrimination a augmenté d’environ 78 %, avec une part significative de situations liées non seulement à l’origine et à la couleur de peau, mais également à la religion réelle ou supposée. La Défenseure des droits souligne que les périodes de tensions politiques ou électorales exacerbent ces dynamiques, comme en témoigne le pic de 53 % d’appels enregistrés sur la ligne antidiscriminations lors des élections législatives de 2024, principalement pour des signalements de propos racistes, antisémites et anti-musulmans.
Derrière ces chiffres, le rapport met en lumière des parcours individuels marqués par le silence et la peur de ne pas être entendus. De nombreuses victimes expliquent avoir attendu plusieurs années avant de témoigner, par crainte d’être stigmatisées ou de ne pas être crues.

La religion, un motif spécifique dans une société de plus en plus sécularisée
Le rapport insiste sur un paradoxe français. Alors que la société connaît une désaffiliation religieuse massive – plus de la moitié des Français se déclarent désormais sans religion – la visibilité des appartenances religieuses suscite des crispations croissantes. Le catholicisme reste la première religion du pays, suivi par l’islam, devenu la deuxième confession en France. En parallèle, le paysage religieux s’est diversifié, notamment avec l’essor du protestantisme évangélique. Cette recomposition transforme les rapports sociaux et nourrit, selon l’institution, un climat de suspicion à l’égard de certaines expressions religieuses visibles.
Dans le débat public, la laïcité est de plus en plus mobilisée comme un argument d’exclusion. Si une large majorité de Français continue de percevoir la laïcité comme une valeur positive, près d’un quart d’entre eux l’interprètent désormais comme une interdiction des signes religieux dans l’espace public, une lecture juridiquement erronée qui alimente des pratiques discriminatoires.
Le rapport relate le témoignage d’une lycéenne à qui l’on a reproché une tenue jugée « trop religieuse ». « On m’a dit que la laïcité m’interdisait cette tenue », rapporte-t-elle, décrivant un épisode vécu comme humiliant devant ses camarades et qui a durablement entamé son sentiment d’appartenance à l’école de la République.
Des discriminations massivement concentrées sur les personnes perçues comme musulmanes
L’un des enseignements les plus marquants du rapport est la concentration des discriminations sur les personnes se déclarant musulmanes ou perçues comme telles. Selon l’enquête, 34 % d’entre elles déclarent avoir subi une discrimination fondée sur la religion au cours des cinq dernières années, un taux sans commune mesure avec celui observé chez les personnes chrétiennes, dont seules 4 % rapportent une telle expérience. Les personnes relevant d’autres confessions, notamment juives et bouddhistes, se situent à un niveau intermédiaire, mais restent plus exposées que la population se déclarant sans religion.
Le rapport ne se limite pas à des chiffres globaux. Il met en lumière la répétition des faits pour certaines catégories de population. Les personnes musulmanes sont non seulement plus nombreuses à déclarer avoir été discriminées, mais également plus nombreuses à évoquer des situations récurrentes, qualifiées de « fréquentes » ou « systématiques ». Cette expérience du rejet se déploie dans des espaces ordinaires de la vie sociale : établissements scolaires, entreprises, administrations, commerces, logements.
Dans l’emploi, une jeune diplômée raconte qu’un recruteur lui a clairement indiqué qu’elle ne serait embauchée qu’à condition de retirer son voile. « On ne m’a jamais parlé de mes compétences. Seulement de ce que je portais », confie-t-elle dans le rapport, décrivant une scène qui a provoqué un profond sentiment d’injustice.
La visibilité religieuse comme facteur de vulnérabilité
La Défenseure des droits identifie un facteur déterminant : la visibilité de l’appartenance religieuse. Les personnes portant un signe religieux, qu’il s’agisse d’un voile, d’une kippa, d’un turban sikh ou de bijoux discrets à connotation religieuse, sont davantage exposées aux discriminations que celles ne portant aucun signe distinctif. Le rapport montre que ces personnes déclarent non seulement plus de discriminations liées à la religion, mais également davantage de discriminations fondées sur d’autres critères, révélant un phénomène de cumul des vulnérabilités.
Cette dynamique touche plus durement encore les femmes musulmanes. Elles sont la catégorie qui déclare le plus de discriminations fondées sur la religion. Leur exposition résulte à la fois de leur appartenance religieuse réelle ou supposée et de leur genre.
Plusieurs témoignages de femmes voilées font état de pressions répétées dans les entreprises. Certaines expliquent avoir été progressivement marginalisées : changement de poste, éloignement du contact avec la clientèle ou remarques insistantes de la hiérarchie sur leur apparence, au nom d’une « image de marque » de l’entreprise.
Une confusion persistante entre laïcité et interdiction du fait religieux
Au cœur des situations de discrimination analysées, la Défenseure des droits observe une interprétation erronée mais largement répandue de la laïcité. Le rapport rappelle que la laïcité est avant tout un principe de liberté, garantissant la neutralité de l’État et la liberté de conscience des individus. Elle n’impose pas une neutralité généralisée aux citoyens dans l’espace public.
Pourtant, dans les écoles, les universités, les entreprises et les services, la laïcité est souvent invoquée pour justifier des restrictions qui excèdent largement le cadre juridique. Le rapport évoque des cas concrets : interdictions abusives de certaines tenues, refus de menus de substitution dans les cantines scolaires, restrictions injustifiées lors des sorties scolaires, ou encore refus de port de signes religieux lors de cérémonies de remise de diplômes.
Une mère témoigne s’être vu reprocher d’avoir demandé un repas sans porc pour son enfant. Elle explique avoir été convoquée par la direction de l’établissement, qui y voyait une remise en cause de la neutralité de l’école, alors qu’il s’agissait, selon elle, d’une simple demande liée aux convictions familiales.
Monde du travail : entre clauses de neutralité et soupçons infondés
Dans le secteur de l’emploi, le rapport décrit un écart marqué entre le secteur public, soumis à une stricte obligation de neutralité, et le secteur privé, où la liberté religieuse demeure le principe. Malgré cela, de nombreuses entreprises instaurent des clauses de neutralité internes sans fondement légal ou en application excessive, conduisant à des décisions discriminatoires.
La Défenseure des droits documente des refus d’embauche à la suite de questions posées sur la religion lors des entretiens, des craintes non fondées de radicalisation, et des cas répétés de harcèlement moral discriminatoire dans l’environnement professionnel. Des salariés racontent des blagues répétées, des mises à l’écart ou des pressions visant à les contraindre à retirer un signe religieux, transformant le climat de travail en environnement hostile et humiliant.
Logement, services et loisirs : des discriminations plus diffuses mais réelles
Les discriminations ne se limitent pas au monde du travail. La Défenseure des droits relève de nombreux cas dans l’accès au logement, où des propriétaires ou agences immobilières refusent de louer à des personnes perçues comme musulmanes ou juives.
Une femme raconte avoir appelé une agence pour un appartement. Tout semblait possible lors du premier échange. Après l’envoi de son dossier, contenant son prénom et sa photo, elle n’a plus jamais reçu de réponse. Elle décrit ce silence comme une « violence invisible », impossible à prouver mais vécue comme évidente.
Dans les commerces et services, des refus d’accès sont rapportés, parfois fondés sur des règlements internes prétendument neutres, mais produisant des effets discriminatoires.
Vie citoyenne et forces de l’ordre : un sentiment de traitement différencié
Le rapport aborde également la relation entre les citoyens et les institutions. La Défenseure des droits retrace des cas de refus de dépôt de plainte, de contrôles d’identité répétés et de fouilles ciblant des personnes portant des signes religieux. Les données montrent que les personnes portant un signe religieux déclarent plus fréquemment des refus de prise de plainte que la population générale.
Un homme interrogé explique avoir renoncé à porter plainte après une agression verbale à caractère religieux, convaincu qu’il ne serait ni cru ni protégé. Ce sentiment d’abandon revient régulièrement dans les récits recueillis.
Dans la vie associative, les associations à caractère religieux se heurtent à des refus de location de salles municipales et à des interprétations restrictives du « contrat d’engagement républicain ». Ces pratiques contribuent, selon l’institution, à un sentiment d’exclusion et à une fragilisation du lien entre les citoyens et les institutions publiques.
Au-delà du constat, la Défenseure des droits revendique une posture volontairement pédagogique. Le rapport affirme vouloir « rappeler le droit, tout le droit, rien que le droit », afin de lutter contre les interprétations erronées et les pratiques illégitimes qui se sont progressivement banalisées.
En documentant de manière détaillée les parcours de vie des personnes discriminées – à l’école, au travail, dans le logement, les services et la vie publique – l’institution entend fournir aux acteurs publics et privés une base de référence fiable pour prévenir les discriminations et garantir l’effectivité des droits fondamentaux.
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Le nouveau rapport de la Défenseure des droits montre qu’elles touchent surtout les personnes perçues comme musulmanes
➡️ Elles s’expriment à l’école, au travail ou dans la recherche de… pic.twitter.com/d84wbhsPrd— Anadolu Français (@anadolufrancais) December 12, 2025
