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France / Abaya : Un style vestimentaire médiatisé pour occulter les vrais problèmes de l'éducation nationale

- L'Exécutif français continue d'emprunter les thèmes chers à l'extrême droite, en faisant fi des défis plus larges auxquels est confrontée l'Éducation nationale, et en manquant d'apporter des solutions aux priorités des Français.

Ümit Dönmez  | 06.09.2023 - Mıse À Jour : 09.09.2023
France / Abaya : Un style vestimentaire médiatisé pour occulter les vrais problèmes de l'éducation nationale

France

AA / Paris / Ümit Dönmez


Cette rentrée a été marquée par l'interdiction du port des abayas et qamis dans les établissements scolaires de France, ces tenues d'origine orientales étant considérées comme des signes religieux par le Gouvernement français.

Parmi les 12 millions d'élèves du pays, 298 élèves se sont présentées à leur établissement scolaire vêtues d'une abaya, dans l'ensemble de l'Hexagone, pour cette rentrée. 67 d'entre elles ont refusé d'enlever le vêtement honni par les autorités, selon le ministre de l'Éducation nationale française, Gabriel Attal.

Bien que la question de l'abaya ne soit pas récente, cette actualité fait la Une de la presse française depuis l'interdiction annoncée par le ministre, le 28 août dernier.

Selon les syndicats enseignants, la mise en exergue de ce thème, estimé prioritaire pour l'Exécutif français, ne vise qu'à occulter les défis les plus graves auxquels est confrontée l'Éducation nationale, notamment à un manque de personnel, à l'insuffisance des salaires des professeurs, aux inégalités d'accès à une éducation de qualité ou encore au harcèlement scolaire.

Cette dernière manœuvre du gouvernement s'inscrit, par ailleurs, dans une stratégie de plus long terme, d'emprunt des thèmes de l'extrême droite, afin d'éclipser les questions socio-économiques — auxquelles il peine à trouver des solutions — en stigmatisant une partie de la population française, en l'occurrence, les Musulmans

- Un thème hautement médiatisé


Dans un article publié ce lundi, le journal « Libération » fait état d'un texto envoyé, le 2 septembre, par le ministère de l'Éducation à divers médias français.

"Bonjour, si vous avez prévu de faire un reportage dans un établissement lundi, sachez que nous avons ouvert les portes de huit établissements partout en France qui sont confrontés au problème de l’abaya. Dites-moi si vous êtes intéressée", peut-on lire dans le message.

"Ainsi, ce message, qui vient du cabinet du ministre de l’Education, invite, pour ne pas dire incite, les médias à suivre la rentrée scolaire de 12 millions d’élèves par le prisme de quelques jeunes filles portant l’abaya, cette tenue traditionnelle couvrant le corps venue du Moyen-Orient et que Gabriel Attal a décidé d’interdire dès ce lundi 4 septembre", lit-on dans les colonnes du journal.

"Alors qu’il faut habituellement plusieurs jours pour obtenir (quand ça marche) des autorisations de reportage dans les établissements scolaires, tout à coup, c’est porte ouverte du jour au lendemain. Ah, mais pas partout ! Seulement dans les collèges et lycées « confrontés au problème de l’abaya », constate le quotidien.

Dans son recours déposé au Conseil d'État face à cette interdiction d'abaya, l’association Action droits des musulmans estime que "l’absence d’indication permettant de définir les tenues incriminées pourrait viser principalement les enfants présumés musulmans, créant ainsi un risque de profilage ethnique à l’école".

Comme le Conseil français du culte musulman (CFCM), l’association conteste le caractère religieux de cette tenue qui peut refléter "l’attachement" des élèves "à une culture ou à une région" géographique, ce qui n'entre pas dans le cadre de la loi du 15 mars 2004 qui interdit dans les établissements scolaires publics français, le port de signes ou tenues "par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse". Ces vêtements, donc, ou le fait de les porter, "ne porte nullement atteinte à la laïcité", rappelle Action droits des musulmans.

En somme, le Gouvernement français sollicite une attention médiatique quasi totale sur un sujet qui ne concerne qu'un(e) élève sur 40 000, qui est musulman(e) ou perçu(e) comme tel(le), alors que d'autres thèmes concernant des pans importants de la société française sont relégués aux oubliettes.

- Des sujets éclipsés


Interrogée par France Inter le lundi 28 août, jour de l'annonce par Gabriel Attal de l'interdiction des abayas et des qamis, Sophie Vénétitay, secrétaire générale du syndicat Snes-FSU souligne que "le sujet principal de cette rentrée n'est pas le port de l'abaya".

"Il ne faudrait pas que ça vienne masquer l'ensemble des problèmes de l'école à cette rentrée", ajoute la syndicaliste qui précise notamment que cette rentrée est marquée par un "manque de professeurs" avec "des classes surchargées".

Selon les chiffres du ministère de l’Éducation nationale, sur plus de 23 800 postes ouverts en 2023 dans le public, 3 163 n’ont pas été pourvus. Le nombre de postes non pourvus s’élève à 1 315 dans le premier degré (maternelle et élémentaire) et 1 848 dans le second degré (collèges et lycées).

Le Président français, Emmanuel Macron, et son ministre de l'Éducation Gabriel Attal n'ont pourtant eu de cesse de répéter qu'"il y aura un enseignant devant chaque élève" pour cette rentrée. Or, comme le rapportent les syndicats, c'est loin d'être le cas sur le terrain, notamment dans les établissements de quartiers populaires où se focalise l'attention médiatique invitée par Gabriel Attal.

Du fait de cette situation de classes sans professeurs ou surchargées en nombre d'élèves, des personnels de l'Éducation nationale ont voté la grève pour ces prochains jours, notamment à Nantes (Loire-Atlantique), Montreuil, Pierrefitte et Stains en Seine-Saint-Denis (Île-de-France), nombre d'entre eux dénonçant des inégalités d'accès à une éducation de qualité selon la géographie dans laquelle on vit.

Les syndicats dénoncent également l'insuffisance des salaires du personnel enseignant, alors que la dernière revalorisation - après plus d'une décennie de gel des salaires - actée par Pap Ndiaye, prédécesseur de Gabriel Attal au ministère de l'Éducation nationale, n'est que de 90 euros sans contrepartie selon le SNUIPP-FSU.

Selon un rapport publié à la rentrée 2022, le salaire moyen d'un enseignant français après 15 ans de carrière est inférieur de 19 % à la moyenne de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques incluant 38 pays des plus développés du monde).

Outre ces défaites du système éducatif français, les syndicats enseignants dénoncent également l'insuffisance de l'action mise en place par le gouvernement contre le harcèlement scolaire, le décrochage scolaire, ou l'accueil des élèves handicapés ou à besoin éducationnels spécifiques.

- Une thématique vouée à la récurrence


En 2017, lors du premier tour de l'élection présidentielle, l'extrême droite (Rassemblement national de Marine Le Pen et Debout La France de Nicolas Dupond-Aignan) cumulait un quart des suffrages exprimés et Marine Le Pen se qualifiait pour le second tour, menant la majorité des autres candidats à apporter leur soutien à Emmanuel Macron pour faire barrage à l'extrême droite.

Lors du premier tour de la présidentielle de 2022, l'extrême droite cumulait désormais un tiers des suffrages exprimés. L'histoire se répétait alors que l'extrême droite se renforçait.

Nombre d'analystes politiques ont démontré que durant son premier mandat (2017-2022), Emmanuel Macron et ses gouvernements ont largement emprunté les thèmes chers à l'extrême droite française [1], tels que l'immigration ou le communautarisme replacé au centre du débat public sous un nouvel usage du terme "séparatisme", qui faisait spécifiquement référence à la communauté musulmane française.

L'objectif du Président français était simple : se faire réélire coûte que coûte en 2022, en avoir Marine Le Pen pour adversaire au second tour, ce qui provoquerait la formation d'un énième "barrage républicain" ou "barrage à l'extrême droite". L'usage récurrent des thèmes chers à l'extrême droite pendant le quinquennnat, ainsi que l'apparition d'Éric Zemmour à la droite de l'extrême droite, avait permis de "dédiaboliser" le RN.

Mission accomplie pour Emmanuel Macron qui se faisait réélire, faut-il reconnaître, mais cela a eu un prix exorbitant pour la cohésion nationale en France, avec une islamophobie qui s'est renforcée chaque année [2]. On ne peut, non plus, ignorer le rôle des médias publics et privés dans leur mise à la Une de façon répétitive de ces thèmes (séparatisme, burkini, abaya etc.)

L'autre objectif atteint à travers ce tour de passe-passe a été l'évitement de thèmes qui préoccupent les Français, mais qui n'intègrent pas le programme idéologique libéral (dans le sens économique du terme) d'Emmanuel Macron, tels que les droits et minima sociaux, la qualité du service public (éducation, santé notamment), l'imposition des plus riches, ou les thèmes auxquels le gouvernement se trouve incapable d'apporter ses solutions dans le cadre de cette matrice libérale, tels que le pouvoir d'achat, l'inflation ou le réchauffement climatique.

Par ailleurs, en stigmatisant les Musulmans pour les vêtements qu'ils portent, notamment à travers la réinterprétation de loi de 2004 sur la laïcité, Emmanuel Macron et ses gouvernements successifs piochent dans un thème voué à la récurrence, un thème recyclable et durable à volonté.

"L’ingéniosité combinée des prêtres et des tailleurs aurait tôt fait de créer un vêtement nouveau, qui ne serait plus une soutane", déclarait Aristide Briand, lors du débat sur la laïcité en 1905.

Cet artisan de loi sur la laïcité expliquait, en somme, qu'il était absurde d'essayer d'interdire certains vêtements à sémantique ou connotation religieuse, estimant que quiconque le voudrait, trouverait toujours une tenue lui permettant de se distinguer tout en respectant la loi.

Notes :

1. « Emmanuel Macron cherche-t-il à « faire monter le RN » et Marine Le Pen pour être réélu ? », Public Sénat, 31 octobre 2019

https://www.publicsenat.fr/actualites/non-classe/emmanuel-macron-cherche-t-il-a-faire-monter-le-rn-et-marine-le-pen-pour-etre-reelu


2. « 2021 : « Une année très difficile pour les Musulmans Français » (ONG) », Anadolu, le 22 septembre 2022

https://www.aa.com.tr/fr/journal-de-lislamophobie/2021-une-ann%C3%A9e-tr%C3%A8s-difficile-pour-les-musulmans-francais-ong/2692503


3. « Élections : les sujets prioritaires des Français », Midi Libre, le 21 octobre 2021
https://www.midilibre.fr/2021/10/21/elections-les-sujets-prioritaires-des-francais-9880847.php




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