Chili : Quelles conséquences peut-on tirer de l´élection de Gabriel Boric et de la victoire de la gauche ? *
- L'ancien leader des contestations étudiantes a pu et su rassembler les forces de gauche et de centre gauche. A 35 ans, il devient le plus jeune président élu du Chili.

Dubai
AA/ Mohamed Badine El Yattioui**
Au Chili, Gabriel Boric a obtenu 56% des voix, lui permettant de l’emporter sur José Antonio Kast qui n´a recueilli que 44%. L'ancien leader des contestations étudiantes a pu et su rassembler les forces de gauche et de centre gauche. A 35 ans, il devient le plus jeune président élu du Chili. Entre les deux tours il s´est voulu rassembleur et a promis « plus de droits sociaux », « tout en restant fiscalement responsables », ce qui lui a permis de convaincre les abstentionnistes du premier tour. Précisons que la participation est passée de 47% à 55% entre le premier et le second tour. Gaspard Estrada, directeur exécutif de l'Observatoire politique de l'Amérique latine et des Caraïbes (OPALC) à Sciences Po Paris (France) précise que « pour la première fois dans l'histoire électorale du Chili, on dépasse les huit millions de votants dans une élection, et c'est cette hausse de la participation par rapport au premier tour qui explique le score très confortable de Gabriel Boric, qui, de fait, a contribué à ce que José Antonio Kast reconnaisse très vite sa défaite face à son rival de gauche ».
Son adversaire José Antonio Kast était pourtant arrivé en tête du premier tour de cette élection présidentielle, le mois dernier. Il est le fils d’un ancien officier de la Wehrmacht, réfugié d’abord en Argentine puis au Chili après la Seconde Guerre mondiale. En 2017, lors de sa première élection à la présidentielle, il avait assuré que si le général Pinochet « avait été en vie, il aurait voté pour lui». Ricardo Penafiel, spécialiste de l'Amérique latine et professeur à l’UQAM (Canada) dit de lui que « c’est un ultralibéral dans un pays ultralibéral ». Son slogan de campagne, « Oser faire du Chili un grand pays », ressemble d’ailleurs au « Great Again » de Donald Trump.
- Victoire générationnelle
Cette victoire de Boric vient de loin et peut être qualifiée, en partie, de générationnelle. En 2011, lors de son premier mandat (2010-2014), Sebastian Piñera a du faire face à une contestation étudiante très importante. En 2019, lors de son second mandat (2018-2022), le même Piñera doit affronter des mouvements sociaux impressionnants, qui ont eu comme conséquence la création d’une Convention constitutionnelle, afin de tourner la page de l’actuelle Constitution rédigée en 1980, durant la dictature de Pinochet (1973-1990). Elisa Loncon, une indienne Mapuche, la préside et doit en remettre les conclusions durant le premier semestre 2022. En juin 2021, lors des élections municipales, la capitale Santiago a été gagnée pour la première fois par le parti communiste, permettant à Iraci Hassler, 30 ans, d´en devenir maire. L´élection de Gabriel Boric est une forme d´aboutissement pour lui et pour une génération de moins de 40 ans.
A partir de cette présidentielle chilienne, nous pouvons pousser la réflexion sur l'Amérique Latine plus globalement. Comment expliquer les évolutions idéologiques et leurs conséquences électorales dans la région ? A la fin des années 1990 avec l'élection de Chavez au Venezuela puis durant la première décennie des années 2000, l'Amérique latine avait basculé à gauche, avant de revenir fortement à droite à partir de 2015 et l’arrivée au pouvoir de Mauricio Macri en Argentine. Sebastian Piñera revient au pouvoir au Chili en 2018. Ivan Duque (héritier politique d´Uribe) est élu président de la Colombie en 2018. Jair Bolsonaro est lui le président du Brésil depuis 2019 et Luis Alberto Lacalle Pou est élu président de l’Uruguay en 2020.
- Assiste-t-on à un nouveau basculement à gauche ?
Plusieurs dirigeants de gauche et de centre-gauche arrivent au pouvoir tout au long des années 2000 (Lula et Rousseff au Brésil, le couple Kirchner en Argentine, Michelle Bachelet au Chili, Rafael Correa en Equateur, Evo Morales en Bolivie ou encore Tabare Vasquez et Victor Mujica en Uruguay). N’ayant pas réussi à transformer profondément les économies et beaucoup ayant été touchés par des enquêtes de corruption (Cristina Kirchner, Dilma Rousseff), ils ont permis le retour de la droite, comme nous l´avons écrit plus haut.
Les contestations populaires qui ont lieu dans de nombreux pays d’Amérique Latine depuis 2019, plus les conséquences économiques et sociales de la pandémie de Covid-19 mènent la région vers la gauche en Bolivie. Luis Arce, dauphin d’Evo Morales, a été élu fin 2020. Au Pérou, Pedro Castillo a été élu il y a quelques mois. Sans oublier le Mexique avec Andres Manuel Lopez Obrador depuis 2018, et l’Argentine, avec Alberto Fernandez depuis 2019. Désormais le Chili.
- Quelle place pour l´Amérique latine dans la géopolitique mondiale ?
En Amérique latine, l'influence des Etats-Unis est en retrait depuis plusieurs années. L´émergence de la Chine est à souligner car elle s'impose notamment en tant que partenaire économique et commercial. Au Chili par exemple, la Chine est le premier partenaire commercial que le gouvernement soit de droite ou de gauche. La perte d'influence de Washington dans la région est historique car la doctrine Monroe, définie en 1823, a longtemps été la matrice de sa politique étrangère. Aujourd´hui, elle semble désuète alors qu´elle a fonctionné aux XIXe et XXe siècle. Cette doctrine définit trois principes. Le premier est que le continent américain doit être complètement fermé aux éventuelles tentatives de colonisation des puissances européennes. Le deuxième est que toute tentative européenne sera considérée comme une intervention inamicale envers les Etats-Unis. Le troisième et dernier est que Washington s’engage à ne jamais intervenir dans les conflits intra-européens. L´incapacité des Etats-Unis à reformuler une doctrine nouvelle, adaptée aux nouveaux enjeux post Guerre Froide en Amérique latine se fait sentir. La fin des dictatures militaires dans les années 1980, les transitions démocratiques des années 1990, la “vague rose” des années 2000 et le retour de la droite récemment ont continué d´être analysés par Washington avec le logiciel de la doctrine Monroe, qui fêtera bientôt ses 200 ans. Sa stratégie pour maintenir les pays d’Amérique latine dans son giron ou sa zone d’influence semble avoir échoué.
* Les opinions exprimées dans cette analyse n'engagent que leur auteur et ne reflètent pas forcément la ligne éditoriale de l'Agence Anadolu.
** Dr. Mohamed Badine El Yattioui, Professeur de Relations Internationales à l´Université des Amériques de Puebla (Mexique).
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