Analyse

Canada : un gouverneur général, pour quoi faire? * (Analyse)

La démission/limogeage, il y a trois mois, de la controversée Julie Payette, Représentante de la Couronne britannique au Canada, depuis 2017, a soulevé des interrogations sur l’utilité de garder ce poste honorifique.

Lassaad Ben Ahmed  | 21.04.2021 - Mıse À Jour : 30.04.2021
Canada : un gouverneur général, pour quoi faire? * (Analyse)

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AA / Montréal / Hatem Kattou

Julie Payette, gouverneur générale du Canada depuis 2017, a démissionné de son poste, le 21 janvier dernier. Ce qui apparait, légalement et à première vue, comme étant une démission, n’est en réalité qu’un limogeage déguisé, dès lors que la très controversée Représentante de la Couronne britannique au pays de l’érable, a été poussée à la sortie par l’exécutif, afin d’éviter que la situation, déjà complexe et tendue, ne s’enlise davantage.

En effet, l’astronaute québécoise avait annoncé son départ, quelques jours après la publication d’un cinglant Rapport indépendant qui l’accablait sur le climat de travail « toxique » qu’elle a installé à Rideau Hull (résidence officielle du gouverneur général à Ottawa).

« Pour le bien de notre pays, pour l'intégrité de ma fonction vice-royale et de nos institutions démocratiques, je suis arrivée à la conclusion qu’un nouveau gouverneur général devrait être nommé », avait souligné, dans un communiqué rendu public à la fin du mois de janvier dernier, le « génie du mal », pilote professionnelle, scientifique, astronaute et musicienne, âgée de 58 ans.

La démission de la 29ème détentrice du poste, intervenue au terme d’une enquête indépendante diligentée sur les allégations de « harcèlement » et les accusations de création d’une atmosphère de travail « toxique » portées à l’encontre de la gouverneure générale, a provoqué un débat dans le pays sur l’utilité de cette fonction honorifique.

En effet, l’image de l’Institution mise en place depuis 1867, date de la création de la Confédération du Canada, s’est trouvée ternie quand bien même le poste demeure protocolaire et sans influence concrète, aussi bien sur la vie des Canadiens que sur la scène politique.

Trois mois se sont écoulés depuis la démission de Payette et aucune personnalité n’a été nommée pour lui succéder. Le poste est assuré, actuellement et à titre intérimaire, par Richard Wagner, en sa qualité de juge en chef de la Cour Suprême, dont le titre officiel est « administrateur du Canada, chargé des fonctions de gouverneur général ».

Le gouvernement du Premier ministre Justin Trudeau a mis en place, le 12 mars écoulé, soit plus d’un mois et demi après le fracassant départ de Payette, un comité qui sera chargé de sélectionner le prochain gouverneur général, en cernant des postulants potentiels pour évaluer les candidatures reçues et soumettre une « liste restreinte de Canadiens exceptionnels ».

Co-présidé par le ministre des Affaires intergouvernementales et le président du Conseil privé de la Reine pour le Canada, le groupe consultatif n’a toujours pas rendu ses conclusions et ne semble pas pressé de le faire, prolongeant ainsi la vacance du poste.

Il se dégage de cette attitude et de cette lenteur, motivée quelque part par la prudence, des suites des critiques acerbes adressées à Trudeau, qui a pesé de tout son poids dans la nomination de Payette, il y a de cela quatre ans, que l’occupation de ce poste n’est pas une priorité absolue et que sa vacance n’empêche pas le pays d’évoluer normalement.

Certaines voix dans le pays sont allées encore plus loin et se sont élevées pour réclamer l’abolition pure et simple de cette fonction, et de rompre le lien qui unit le Canada à la Couronne Britannique, estimant que ce cordon ombilical n’a plus de véritable raison d’être.

Les défenseurs de cette option avancent comme argument que la majorité des anciennes colonies britanniques et membres du Commonwealth ne reconnaissent plus la Reine d’Angleterre comme chef de l’Etat.

Ainsi, pour eux, le Canada pourrait envisager de suivre la voie empruntée par ces pays, sans pour autant provoquer un tollé ou un changement majeur au pays de l’érable, d’autant plus que le rôle du gouverneur général est au demeurant symbolique.

L’attachement des Canadiens à leur passé britannique, aux liens qui les unissent à la Couronne, et partant à la fonction de gouverneur général semble s’étioler et s’effriter.

Les appels qui étaient timorés et timides pendant longtemps sont devenus désormais publics et frontaux.

Peter Donolo, le directeur des communications et très proche de l’ancien Premier ministre, l’emblématique Jean Chrétien, qui a été aux commandes du pays pendant une décennie (1993-2003) et qui a consommé trois gouverneurs au passage, a appelé à un « Rexit ».

Selon lui, les institutions héritées de la monarchie ne correspondaient plus aux valeurs que véhiculent le Canada au XXIe siècle.

Cette opinion est partagée par 60% des Canadiens qui estiment, selon un sondage d’opinion commandé par le réseau de télévision d’expression anglaise « Global News », en janvier 2020.

Il convient, toutefois, de souligner que l’adhésion à ce « divorce » avec la monarchie diffère d’une province à une autre; le Canada étant composée de dix provinces et de trois territoires.

Les provinces qui sont le plus favorables à cette idée sont le Québec (70%), le Manitoba et le Saskatchewan dans l’ouest du pays.

La position des Québécois s’inscrit dans le droit fil des choses, au vu des péripéties vécues par la région francophone et la domination qu’elle avait subie pendant des siècles par la monarchie britannique.

Cette majorité hostile atteinte dans ces provinces ne l’est pas dans l’Ontario, en Alberta, en Colombie britannique ou dans les trois provinces atlantiques, où le pourcentage oscille entre 42 et 49 %.

Rappelons que, nommé par la Reine d’Angleterre sur recommandation du Premier ministre fédéral canadien, pour un mandat de cinq ans, le Gouverneur général, qui se doit d’être non-partisan et apolitique, occupe également la position de commandant en chef des Forces armées canadiennes et est gardien de la Constitution, une tâche qui revêt une certaine importance en présence de gouvernement minoritaire.


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