Analyse

Canada/Récentes attaques islamophobes en Ontario : Le spectre de London et de Québec plane toujours*

Fatma Bendhaou  | 20.04.2022 - Mıse À Jour : 20.04.2022
Canada/Récentes attaques islamophobes en Ontario : Le spectre de London et de Québec plane toujours*

Canada

AA / Montréal / Hatem Kattou


- Hassan Guillet, membre de la Table interreligieuse de Concertation du Québec : « Les Musulmans canadiens, à l’instar des citoyens de ce pays, disposent de droits et ont des devoirs, et comme ils respectent la Loi, ils doivent être protégés par cette même Loi ».


- Samer Majzoub, président du Forum musulman canadien (FCM) : « Il ne s’agit plus d’actes isolés, cela relève du terrorisme islamophobe ».


La fusillade, qui a fait cinq blessés graves, survenue, samedi, aux abords d’une mosquée à Scarborough, district-est de la ville canadienne de Toronto, et l’agression, environ vingt jours plus tôt, de fidèles musulmans à l’intérieur même d’une mosquée du Mississauga, autre ville de l’agglomération de la ville reine, ont suscité les inquiétudes de la communauté musulmane du pays de l’érable, pour la replonger dans la hantise des attentats de London (juin 2021) et de Québec City (janvier 2017).
Entre le mois de janvier 2017 et samedi dernier, les attaques islamophobes, bien que disparates et espacées dans le temps, ont alimenté les polémiques, mais ont surtout provoqué les inquiétudes d’une communauté musulmane bien intégrée, sans pour autant être assimilée, dans sa société d’adoption, suscitant effroi et frayeur sur le moment, ainsi que hantise, préoccupation et perplexité, une fois le choc passé.
Ce sentiment est alimenté surtout par une série de facteurs et de faits, au premier rang desquels figure la propagation sur les réseaux sociaux d’insultes racistes gratuites, d’attaques xénophobes injustifiées et d’autres invectives et injures islamophobes.
Sans pour autant verser dans l’alarmisme ou l’exagération outrancière, il convient d’avancer que ce phénomène existe bel et bien et la tentative de certains dirigeants politiques canadiens d’en minimiser la portée ne fait que le banaliser davantage, aux yeux d’une partie de l’opinion publique canadienne.
C’est dans ce cadre que s’inscrivent d’ailleurs les appels lancés par plusieurs acteurs influents de la Société civile canadienne, qu’ils soient musulmans ou autres, à l’endroit des autorités pour sévir contre les obtus hérauts du racisme en tout genre, qui propagent des idées destructrices, incompatibles avec l’idéal d’un pays basé sur l’immigration et édifié en majeure partie par les immigrants venus des quatre coins du globe.
Les appels se focalisent, notamment, sur le nécessaire durcissement des textes de lois pour que, tout en garantissant la liberté d’expression de tout un chacun à afficher ses points de vue dans un climat sain de critique constructive et de débat fécond, il devient impératif de sanctionner les auteurs d’insultes islamophobes et xénophobes avant qu’ils ne passent à l’acte, et que l’on aurait atteint ainsi le palier du rédhibitoire, comme cela fut le cas en janvier 2017, lorsqu’un jeune de 27 ans, s’était introduit dans la salle de prière de la mosquée de la ville de Québec pour commettre l’irréparable, un forfait sanguinaire (six morts et cinq blessés).
Afin de contrer cette tendance grandissante, le moyen le plus efficace serait de promulguer des textes de loi qui punissent sévèrement et convenablement toute illustration et attaque islamophobe ou acte haineux ; un terme aussi galvaudé qu’usité, utilisé par les autorités et les médias locaux lorsque l’on souhaite éviter de parler ouvertement d’actes islamophobes.


- Actes isolés ou courant « terroriste » islamophobe ?


L’observateur de la scène canadienne est en mesure de s’interroger s’il s’agit vraiment de l’intolérance caractérisée et généralisée ou est-ce juste des actes isolés renforcés et amplifiés par l’existence de foyers islamophobes, alimentés à leur tour par une tendance active sur les réseaux sociaux ?
Il convient de rappeler, dans ce cadre, que selon Ibrahim Hindy, imam de la mosquée « Dar al-Tawheed » au Mississauga attaquée le 24 mars dernier, « l’assaillant avait diffusé sur les réseaux sociaux des messages « islamophobes ».
A ce propos, Samer Majzoub, président du Forum musulman canadien (FCM), a souligné que « sans doute, les actes islamophobes suscitent inquiétude et peur ».
Dans un entretien accordé au correspondant de l’Agence Anadolu, Majzoub a indiqué qu’il « ne s’agit plus d’actes isolés, cela relève du terrorisme islamophobe qu’on a vu se développer, que ce soit en Nouvelle Zélande, ou au Canada à London et à Québec City ».
« Ces violentes agressions et ce terrorisme islamophobe, insiste-t-il, inquiètent et provoquent la peur dans les rangs de la Communauté musulmane », estimant que « l’on ne parle plus d’actes isolés quand cela devient permanent et que ces actes s’inscrivent dans le temps, cela se transforme en un courant ».
« Après chaque acte islamophobe, le standard téléphonique de notre Forum explose sous le coup des dizaines d’appels de personnes qui expriment leur inquiétude à l’égard de cette violence qui devient parfois sanguinaire », a dit le président du FCM pour illustrer cette angoisse d’une partie de la communauté.
Il a, toutefois, tenu à relever que « Ce ne sont pas seulement les Musulmans qui subissent cette violence, mais c’est plutôt la société canadienne toute entière qui est affectée, dès lors que les Musulmans canadiens font partie intégrante de cette société ».
Pour sa part, Hassan Guillet, membre de la Table interreligieuse de Concertation du Québec, a souligné que « même si ces actes sont isolés comme certains l’indiquent, il n’en demeure pas que cela reste inquiétant et triste » et que « même si l’agression est isolée, et c’est ce qui semble jusqu’à maintenant, de sérieux motifs islamophobes se dégagent ».
Guillet a ajouté que « la Communauté musulmane manque de sérénité et de tranquillité », tout en tenant à souligner « objectivement et logiquement », que « le Canada n’est pas moins sûr qu’ailleurs » dans le monde.
L’imam et avocat de son état a relevé que « de pareils (tristes) évènements nous incitent à réfléchir, à se concerter pour identifier les voies et moyens à même de protéger la vie des Musulmans dans ce pays, que ce soit dans les mosquées ou partout ailleurs ».
Evoquant les mesures pratiques devant être prises pour contrecarrer les dernières agressions, Hassan Guillet s’est interrogé quant à la pertinence pour les mosquées « d’engager des vigiles ou des gardiens pour protéger les lieux de culte ». « Tout est posé sur la table », a-t-il dit.
Il a ajouté qu’au-delà des attaques armées qui se sont produites dans des endroits divers du pays (London, Québec, Scarborough…), il convient de ne pas omettre les « agressions verbales et physiques », survenues de manière plus fréquente, et qui bien que moins médiatisées, elles restent tout de même révélatrices d’un état d’esprit et d’un état de fait.
« Ce qui est rassurant et apaisant tout de même, c’est que les dernières agressions n’ont pas fait de martyrs heureusement, mais il n’en demeure pas moins que c’est effrayant », a-t-il précisé.
Après avoir dressé le tableau assez sombre et cerné l’ampleur du fléau de l’islamophobie, nous tenterons de mesurer le degré d’efficacité de la réponse engagée par les autorités, aussi bien fédérales que provinciales, pour endiguer la hausse des actes islamophobes.


- Réaction des autorités : Belles paroles, bonnes intentions et gestes symbolique…en attendant les lois


A la suite de chaque attaque islamophobe, notamment, celles qui ont fait des morts, les condamnations sans équivoque et sans appel pleuvent et pullulent, notamment au plan fédéral.
Le Premier ministre, Justin Trudeau, n’a d’ailleurs jamais raté une occasion pour exprimer son indignation et sa condamnation de tout acte lâche ciblant la Communauté musulmane et afficher sa solidarité.
De même, le Premier ministre fédéral, en poste depuis novembre 2015, salue lors de ses traditionnelles et symboliques allocutions prononcées, à l’occasion du mois sacré du Ramadan ou des Fêtes de l’Aid al-Fitr et de l’Aid al-Idha, « les contributions extraordinaires des Canadiens musulmans » au sein de la société.
Dans son dernier message prononcé à l’occasion de l’avènement du présent mois béni du Ramadan, Trudeau est allé jusqu’à dire que « chaque jour, les Musulmans canadiens enrichissent le Canada en pratiquant la zakat pour redonner aux moins fortunés, en faisant du bénévolat pour des causes importantes et en posant de nombreux gestes bienveillants envers leurs communautés et leurs voisins ».
De plus, et toujours sur le plan fédéral, le Canada a organisé, en juillet dernier, un « Sommet national d’urgence sur l'islamophobie », à l’occasion duquel Trudeau a souligné sans ambages que « l’islamophobie n’a pas sa place au Canada ».
Au niveau provincial néanmoins, et même si les condamnations sont unanimes, il n’en demeure pas moins qu’elles sont nuancées.
A titre d’exemple, dans la province francophone du Québec (deuxième plus importante des dix provinces du pays), la reconnaissance mitigée, par les autorités, voire le déni de l’existence du racisme systémique provoque des remous au sein de la Société civile et des personnalités influentes et représentativités, porte-voix de la communauté musulmane.
Toutefois, là où le bât blesse sérieusement, c’est au niveau concret des législations et des sanctions réservées aux auteurs des attaques islamophobes, notamment, ceux qui déversent leur fiel sur les réseaux sociaux sans vergogne ni aucun scrupule, et pratiquement, dans l’impunité quasi-totale, formatant une partie, aussi minime soit-elle de l’opinion publique.
Nos deux interlocuteurs se sont penchés sur cet aspect en livrant leurs opinions et points de vue qui abondent quasiment dans le même sens.
Samer Majzoub a qualifié la réponse apportée, au début, par les autorités fédérales de « très positive » dans le traitement de cette question. « Il y avait une reconnaissance et des intentions, je dis bien des intentions, pour traiter l’islamophobie », a-t-il affirmé.
Mais récemment, a-t-il déploré, nous constatons que « le traitement sécuritaire réservé par les gouvernements fédéral et provinciaux demeure insuffisant ».
« La sécurité du citoyen canadien est mise à l’épreuve, et il n’y a pas de traitement sérieux de ce phénomène en particulier au plan sécuritaire », a-t-il renchéri.
Il a souligné : « Nous sommes engagés actuellement dans une autre phase de l’islamophobie ».
En effet, a-t-il poursuivi, « nous sommes passés de la haine qui déferle sur les réseaux sociaux, de la privation des Musulmans de certains postes d’emploi et fonctions et du traitement ségrégationniste qui leur est réservé, au stade des agressions et des attaques armées ».
Le président du FCM a conclu son intervention en soutenant que « les autorités politiques voyaient la violence arriver et la haine se propager sans limites contre les Musulmans », mais la réaction n’a pas été à la hauteur du danger.
Corroborant ces mêmes positions, Hassan Guillet a indiqué, concernant la réponse apportée par les autorités pour tenter de contrecarrer le fléau de l’islamophobie, qu’il s’agit de « belles paroles », alors que « nous avons besoin d’une action sérieuse et de longue haleine ».
Le membre de la Table interreligieuse de Concertation du Québec a tenu à dire que les réactions au niveau fédéral, provincial et municipal demeurent « bonnes » pour condamner les agressions islamophobes « au niveau des paroles ».
Il a toutefois, dit, qu’une « protection sécuritaire renforcée dans les mosquées et aux alentours est nécessaire mais tout en veillant à ne pas transformer nos lieux de culte en casernes ».
« Les fidèles ont besoin d’être rassurés et apaisés par un renforcement de la présence policière dans les périmètres des mosquées », a-t-il insisté.
S’agissant des législations, une des dimensions cruciales du traitement de cette question, Guillet a relevé que « les textes diffèrent entre les gouvernements fédéral et provinciaux et d’une province à une autre ».
Cet état de fait entraîne une « disparité », a-t-il dit, dans la reconnaissance de l’existence de l’islamophobie, ce qui influe par la suite sur le traitement et la réponse apportée à ce fléau.
Néanmoins, a-t-il lancé, nonobstant ces dissemblances, « l’action doit se poursuivre pour que les politiques, fédéraux, provinciaux et municipaux, sachent que l’islamophobie représente un danger et une menace » des plus sérieuses.
Notre interlocuteur a tenu, par ailleurs, à souligner que « les gens en général (au Canada) ne nourrissent pas des sentiments contre l’Islam, mais qu’il existe une minorité très dangereuse, qui œuvre en catimini et qui frappe fort ».
Et c’est justement pour lutter contre cette minorité qui nuit à la cohésion de la société canadienne que les autorités « se doivent d’œuvrer inlassablement pour criminaliser l’islamophobie ».
Hassan Guillet a conclu son propos en martelant que « les Musulmans canadiens, à l’instar des citoyens de ce pays, disposent de droits et ont des devoirs, et comme ils respectent la Loi, ils doivent être protégés par cette même Loi qui s’applique à tous sans distinction géographique, ethnique, religieuse ou autre ».


*Les opinions exprimées dans cette analyse n'engagent que leur auteur et ne reflètent pas forcément la ligne éditoriale de l'Agence Anadolu.

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