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Bétharram: Des victimes de pédocriminalité dans l’Eglise, souhaitent que la responsabilité de l’Etat soit engagée

« L’Etat français n’a rien fait et doit donc payer » clame Arnaud Gallais cofondateur de l’association Mouv’Enfants, pour qui l’ampleur et la gravité des faits font qu’il s’agit d’un « crime contre l’humanité tel qu’il est défini par la CPI »

Feïza Ben Mohamed  | 18.04.2025 - Mıse À Jour : 18.04.2025
Bétharram: Des victimes de pédocriminalité dans l’Eglise, souhaitent que la responsabilité de l’Etat soit engagée

Pau

AA/Pau/Feïza Ben Mohamed

Si François Bayrou est incontestablement l’homme par qui le scandale de Notre-Dame de Bétharram a éclaté, un militant, Arnaud Gallais, lui-même violé de ses 8 ans à ses 11 ans par un prêtre, est devenue l’une des figures médiatique de cette lui contre la pédocriminalité dans l’Eglise.

Cofondateur de l’association Mouv’Enfants, il est à l’origine de plusieurs actions coups de poing, dont un sit-in organisé à Bétharram en février dernier, et qui a amené le Premier Ministre François Bayrou à ouvrir le dialogue avec le collectif des victimes de Notre-Dame de Bétharram.

Infatigable activiste, Arnaud Gallais, fait partie des diverses figures auditionnées par la commission d’enquête parlementaire sur le contrôle de l’Etat et les violences faites aux enfants en milieu scolaire.

Dans un entretien à Anadolu, il dresse un constat alarmant de la situation, et accuse l’Etat « de n’avoir rien fait » et d’avoir attendu que François Bayrou soit nommé à Matignon alors que son nom est largement cité au coeur de l’affaire Bétharram, pour « enfin se dire qu’il faut agir ».

Il rappelle à cet effet que « le rapport de la commission nationale sur les abus sexuels dans l’Eglise a été rendu public fin 2021 » et établissait « qu’il y a eu 330 000 victimes de pédocriminalité dans l’Eglise en 70 ans, ce qui est énorme » et « représente 13 enfants par jour alors que 2/3 des auteurs sont des prêtres ».

Il précise que « sur ces 330 000, 108 000 ont été victimes de violences sexuelles dans des établissements privés » et que malgré des chiffres vertigineux, rien n’a été fait au niveau des autorités étatiques, provoquant une montée de la colère des victimes, restées dans l’attente d’une action ou d’une réaction du Président de la République.

« Tout ça sommeillait. Entre 2021 et 2025 la France n’a rien fait. Il a fallut attendre que Bayrou soit nommé pour qu’on se dise qu’il y a un problème » grince le président de Mouv’Enfants pour qui « l’Eglise bénéficie d’un traitement particulier ».

Et de poursuivre: « Aucune autre religion en France n’aurait pu avoir ce traitement. Je n’ose même pas imaginer si à la place du mot catholique on mettait le mot juif ou musulman. Il y aurait eu une fermeture administrative immédiate. C’est deux-poids deux mesures, alors qu’il y a des établissements intégristes au niveau catholique, notamment le village d’enfants de Riaumont où il y a une adoration de l’Allemagne Nazie qui a été prouvée, avec des dérives sectaires de la religion et c’est encore un établissement qui est ouvert aujourd’hui. Il y a effectivement un grave problème ».

Aujourd’hui, alors que les projecteurs médiatiques sont clairement tournés vers le sujet, Arnaud Gallais attend « de la commission d’enquête parlementaire, qu’elle fasse des préconisations et que ces préconisations soient appliquées » mais estime que « le problème avec Bétharram et d’autres c’est que les grands absents autour de la table c’est l’Etat et la justice » ce qui montre qu’il existe « des dysfonctionnements qui sont majeurs ».

De fait, il attend « que l’Etat soit aussi mis en cause » car « il y a une responsabilité étatique là-dedans, et une responsabilité de la Justice qu’il ne faut pas non plus perdre de vue ».

« Qu’on ait à faire à des tortionnaires qui s’en prennent à des enfants, il n’y a pas de sujet mais en fin de compte, qui est responsable des enfants? C’est l’Etat. On attend que de vraies actions soient mises en place à ce niveau là » grince le responsable associatif.

Selon lui « quand on dresse le constat chiffré qui montre l’ampleur du phénomène, on se dit que c’est un crime contre l’humanité tel qu’il est définit par la CPI (Cour Pénale Internationale) » ce qui justifierait, qu’il puisse y avoir « une condamnation, à un moment donné, même de l’Etat, et de l’Eglise d’ailleurs », pour son inaction « inacceptable ».

Et d’indiquer: « Ce qu’on doit faire en tant que victimes, c’est de lancer une action collective parce-qu’on est tous victimes d’un système qui n’a rien fait et nous a laissé aux mains de bourreaux, moi j’en fais partie, j’ai été violé entre l’âge de 8 ans et 11 ans par un prêtre. Pourquoi? Parce-que l’Etat a failli ».

Si à ce stade, il n’y a aucune plainte déposée contre l’Etat, l’association Mouv’Enfants sera reçue le 28 avril par un conseiller d’Emmanuel Macron sur ce sujet là.

Arnaud Gallais souligne, concernant la qualification pénale de ces faits pédocriminels, que « le professeur de droit nommé en tant que président de la commission de réparation des victimes de Bétharram, considère que ce qui s’est passé à Bétharram est un crime contre l’humanité ».

« Si le professeur de droit dit ça, alors comment accepter que ces affaires soient résolues par une commission mise en place par l’institution qui est elle-même responsable du crime contre l’humanité? Il y a un truc qui ne va pas. Qui il manque autour de la table? L’Etat et la Justice. Il faut absolument que leur responsabilité soit engagée. L’Etat français n’a rien fait et doit donc payer. C’est une évidence » martèle Arnaud Gallais.

Enfin, s’agissant de l’importante problématique des prescriptions, puisque la plupart des faits remontent à plusieurs dizaines d’années, le président de Mouv’Enfants relève que « la loi dit qu’elles sont levées s’il y a un système d’omerta qui est mis en place et c’est clairement le cas à Bétharram » mais souhaite qu’il puisse y avoir « une évolution législative qui permettrait une rétroactivité au niveau des faits comme ça a été fait en Belgique ».

« Des établissements comme Bétharram, il y en a plein sur le territoire national mais il faut rester focus sur les conclusions du rapport sur la pédocriminalité dans l’Eglise qui établit que 108 000 enfants ont été touchés par des violences sexuelles. Pour un prêche on ferme des associations musulmanes, et là on a laissé faire en dépit de l’ampleur et de la gravité des faits » conclut Arnaud Gallais, lui-même ancien membre de la CIVIISE (commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants).

À noter que l’affaire Bétharram, érigée au rang de scandale d’Etat, a mis en lumière un phénomène qui existe dans des dizaines d’autres établissements privés catholiques à travers la France. La commission d’enquête parlementaire, entendra le Premier Ministre François Bayrou le 14 mai prochain, et l’interrogera notamment sur son action et sur ce qu’il savait, alors que ses propres enfants y ont été scolarisés, et que son épouse y a enseigné le catéchisme.

En parallèle, alors que l’établissement Notre-dame de Bétharram a été contrôlé à la mi-mars, la ministre de l’Education Nationale Élisabeth Borne a décidé, suite aux conclusions faisant état de dysfonctionnements, de diligenter une inspection beaucoup plus poussée, de cette structure privée catholique sous contrat avec l’Etat.

Pour l’heure, 200 plaintes ont été déposées par des victimes de Bétharram devant le parquet de Pau, mais d’autres établissements sont également cités dans des plaintes, dont Notre-Dame de Garaison, qui fait l’objet de dizaines de plaintes déposées fin mars au tribunal de Tarbes.

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