Blackout en Ibérie: une experte pointe la sortie du nucléaire ou une possible cyberattaque
- Une experte espagnole en énergie affirme que la cause de la panne ayant touché 60 millions de personnes en Espagne et au Portugal pourrait ne jamais être déterminée

Madrid
AA/Madrid/Senhan Bolelli/Asiye Latife Yilmaz
Une panne de courant massive ayant touché presque toute l’Espagne et le Portugal le 28 avril pourrait avoir été causée par une cyberattaque ou par la sortie progressive du nucléaire, selon une experte espagnole en énergie.
Yolanda Moratilla, présidente du Comité de l’énergie et des ressources naturelles de l’Institut des ingénieurs d’Espagne, a déclaré que la défaillance, qui a privé d’électricité quelque 60 millions de personnes pendant 10 heures, était « techniquement hautement improbable » et pourrait ne jamais être totalement expliquée.
« Cet événement est sans précédent en Europe », a-t-elle affirmé, soulignant qu’il s’agissait de la première fois que le continent connaissait une production d’électricité nulle sur une période prolongée.
Le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez et le gestionnaire du réseau électrique national, REE, n’ont donné aucun calendrier pour identifier la cause de la panne.
Selon l’Union européenne de l’énergie, l’enquête pourrait durer jusqu’à six mois.
Moratilla a rappelé que le gouvernement et le REE avaient auparavant assuré qu’un tel blackout était impossible en Espagne.
Elle affirme pourtant avoir alerté sur ce risque en raison du projet de fermeture de toutes les centrales nucléaires.
Elle explique que le réseau électrique espagnol dépend de l’inertie rotative fournie par les grandes turbines à vapeur, typiquement présentes dans les centrales nucléaires, hydroélectriques, à charbon et à gaz.
Avec la sortie du charbon et la capacité hydro limitée, la fermeture des centrales nucléaires aurait laissé le pays trop dépendant des centrales à cycle combiné au gaz, jugées insuffisantes pour stabiliser le système.
– 15 gigawatts perdus en 5 secondes
La crise aurait été déclenchée par une perte soudaine de 15 gigawatts – dont 10 gigawatts d’énergie solaire – en seulement cinq secondes.
« Le système ne disposait pas de réserves suffisantes », a déclaré Moratilla.
La première phase de la défaillance se serait produite en 3,5 secondes, et le réseau n’a pas pu se rétablir.
Les centrales nucléaires avaient été autorisées à s’arrêter en raison des bas prix de l’électricité, malgré des règles exigeant qu’au moins deux d’entre elles restent en fonctionnement.
Au moment de la panne, aucune centrale hydroélectrique ne fonctionnait, et les unités à cycle combiné ne suffisaient pas à couvrir la demande.
La fréquence étant descendue sous les seuils de sécurité, tous les systèmes de production se sont arrêtés automatiquement pour éviter des dégâts.
– Une possible cyberattaque
Moratilla n’exclut pas la possibilité d’une cyberattaque, jugeant incohérente la séquence technique de la panne.
Elle critique également la position du gouvernement espagnol, qu’elle juge « idéologique » et opposée au nucléaire, et appelle à s’inspirer du modèle énergétique français.
Elle met aussi en garde contre une trop grande dépendance au gaz naturel importé, qui exposerait le pays à d’autres vulnérabilités.
– Les énergies renouvelables pas responsables
Moratilla précise que les énergies renouvelables ne sont pas en cause, mais qu’elles doivent être intégrées de manière responsable.
« Les renouvelables ont beaucoup d’avantages », affirme-t-elle, tout en soulignant que l’Espagne a ignoré les avertissements à ne pas dépasser 70 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique. Au moment du blackout, elles représentaient 78 %.
Elle rappelle également que l’Espagne et le Portugal partagent un réseau électrique interconnecté : une perturbation en Espagne affecte donc toute la péninsule ibérique.
Si le réseau portugais, plus petit, peut absorber plus facilement les problèmes internes, une panne côté espagnol a un effet domino sur toute la région.
Moratilla explique que les 10 heures de coupure s’expliquent par la procédure de « black start » redémarrage du réseau à partir de centrales indépendantes (hydroélectriques et à gaz), puis reconnexion avec la France et le Maroc.
Les régions nord et sud de l’Espagne ont été réalimentées en premier, suivies du redémarrage progressif des centrales nucléaires une fois la stabilité retrouvée.
Moratilla affirme que les infrastructures électriques espagnoles restent solides, mais que la précipitation à démanteler leur socle pose problème.
« Un tiers du système énergétique devrait provenir du nucléaire avant toute transition complète vers les renouvelables », conclut-elle.
Traduit de l'anglais par Sanaa Amir