Analyse, Afrique

Monnaie unique africaine: "Eco" permettra aux pays membres de « se réapproprier leur souveraineté »

Les pays de la ZMOA et ceux de l'UEMOA ont convenu de lancer une monnaie unique pour une meilleure intégration régionale

Mohamed Hedi Abdellaoui  | 29.03.2016 - Mıse À Jour : 30.03.2016
Monnaie unique africaine: "Eco" permettra aux pays membres de « se réapproprier leur souveraineté »

Brazzaville


AA/ Paris/ Arwa Barkallah

La monnaie unique « Eco » qui devrait naître de la fusion de deux zones monétaires africaines, permettra aux Etats membres d’échapper à la tutelle française pour ainsi se réapproprier leur souveraineté, soutient Hervé Lado, professeur des sciences économique à l’Université Paris-1, dans une déclaration à Anadolu.

La Zone monétaire ouest-africaine (ZMOA), initiatrice du projet et utilisatrice de monnaies nationales, et l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), utilisatrice du Franc CFA avaient prévu, en 2009, de lancer une monnaie unique appelée « Eco », en 2015. Mais cette étape de création et d'intégration a été reportée à 2020. Pourtant les avantages d’une telle démarche ne sont pas des moindres.

De l’avis de Lado, la nouvelle monnaie- toujours en phase d’accouchement-, aidera les pays de la ZMOA (Gambie, Ghana, Guinée, Sierra Leone, Nigéria, ndlr) et ceux de l’UEMOA (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo) à donner à la Banque Centrale des Etats d'Afrique de l'ouest (BCEAO) le même rôle régulateur que celui de la Banque Centrale Européenne (BCE) en Europe, plutôt que de rester sous le parapluie du Trésor français ainsi que celui des accords de coopération monétaire passé avec la France depuis 1945.

En vertu de ces accords, la Métropole impose, en effet, ses règles et conditions en matière de convertibilité. Tirent profits de cette politique monétaire régie par un Franc africain surévalué les entreprises françaises, détentrices du monopole dans les secteurs clés de l’économie.

Encourageant le nouveau projet, la Banque Africaine de Développement (BAD) s'inquiète, dans un récent rapport, du retard accusé pour ce qui est du lancement et de la possibilité réelle de maintenir cette échéance à 2020. Un retard, qui risque, commente le même document, de porter préjudice à la crédibilité du projet d'autant que les volontés politiques ont été maintes fois manifestées par les dirigeants des pays concernés.

* Avantages de la nouvelle monnaie unique

Selon l'institution panafricaine, la création de la monnaie « Eco » permettra aux pays membres de se soutenir mutuellement et de mieux poursuivre la réalisation de leurs objectifs communs et individuels. Elle permettra également de renforcer les canaux de transmission de la politique monétaire des pays concernés, présentement affaiblis.

L'instauration de cette monnaie unique facilitera, surtout, la libre circulation des biens et des personnes. Elle contribuerait, ainsi, à régler le problème de la quasi non-convertibilités des monnaies. «D'un côté, on sait que l'harmonisation fera du mal au Nigéria qui a un coût du travail de plus en plus élevé tandis que le Mali et le Togo en pâtiront aussi, mais pas pour les mêmes raisons. De l’autre Côté, ces pays gagneront en fluidité des échanges commerciaux, bénéfiques pour les entrepreneurs», assure l’analyste Hervé Lado, ancien responsable d'appui aux entreprises à l'ambassade de France à Yaoundé, au Cameroun.

Mais la fluidité des échanges commerciaux peut présenter un revers de médaille : celui de la compétitivité entre les pays, où le coût du travail et le salaire ne sont pas les mêmes d'un pays à l'autre, nuance-t-il.

* Disparités économiques des Etats membres

Pour Skandar Ounaies, professeur des sciences économiques et ancien conseiller au Fonds souverain du Koweït, le rapport de la BAD ne prend pas en compte certains aspects des variations sociétales, institutionnelles, tribales de la région. « La notion d'indépendance monétaire entre en jeu dans cette volonté de créer une monnaie unique. Et c'est ce qui rend les chefs d'Etats frileux quant à cette politique monétaire. Le fait de mettre en commun les réserves peut représenter un obstacle. Les dettes extérieures des pays ne sont pas non plus au même niveau. Enfin, les flux de capitaux sont différents selon les pays et ne concernent pas forcément les mêmes secteurs. »

Enfin, le manque de diversification des ressources économiques des pays pétroliers fait prendre des risques aux pays qui réalisent des entrées de capitaux de portefeuilles.


* Le temps et la sécurité sous-régionale, enjeux majeurs

Le non-respect de l'échéance du lancement de l'Eco en 2015 pose la question de la faisabilité du projet au sein de la CEDEAO. « On demande aux pays membres de la CEDEAO de faire en cinq ans, ce que l'Europe a bâtit en 50 ans ; entre la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) en 1951 et l'instauration de l'euro comme monnaie unique en 1999 il a fallu un demi-siècle», commente Skandar Ounaies rappelle.

Si le renforcement de la sécurité économique est le but recherché par ce projet, il est évident que la recherche de la paix entre en jeu dans la sous-région. Le Nigéria, présenté comme pays moteur se trouve dans un contexte où les dépenses militaires sont en augmentation et dédiées à la lutte contre Boko Haram, en partenariat avec ses voisins touchés par le groupe terroriste.

Il en va de même pour la lutte contre Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) pour le Mali ou le Burkina Faso. Les investissements étrangers dépendent directement de la stabilité géopolitique, sécuritaire et militaire des pays de la zone. Les flux de capitaux du Nigéria vont dans les hydrocarbures tandis que le Sénégal a misé sur le degré de diversification de son portefeuille c'est à dire de ses revenus issus de la bourse afin de garantir sa stabilité économique. Si le cours du pétrole continue sa chute, cela ne sera pas pour plaire aux économies qui ont travaillé sur leur stabilité.


* Impact sur les relations avec la France

Force est de constater, au demeuranr, que le Franc CFA est rattaché au Trésor Français. Skandar Ounaies estime que « les pays d'Afrique de l'Ouest n'ont pas intérêt à quitter à court terme le parapluie monétaire que la France offre grâce à son appartenance à la zone euro. Un défaut de paiement sur les dettes extérieures serait une catastrophe et le soutien de Bercy est indispensable dans ce cas de figure. »

Si la France tient à cet accord, cela reste principalement à des fins économiques et géostratégique pour garder un lien immédiat avec ces pays face à la Chine et l'Inde qui conquièrent le continent. Avec sa stratégie actuelle, la France reste le deuxième plus gros investisseur en Afrique.


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