Afrique

Vindictes populaires à Madagascar: Manipulation politique ou crise de confiance ?

Crise de confiance envers la Justice, corruption,tentative de déstabilisation du pouvoir ou pacte coutumier, les facteurs ne manquent pas et convergent, d'après des experts et des politiques, pour laisser faire et encourager ces exécutions populaires

Nadia Chahed  | 22.11.2016 - Mıse À Jour : 24.11.2016
Vindictes populaires à Madagascar: Manipulation politique ou crise de confiance ?

Antananarivo

AA/Antananarivo/Sandra Rabearisoa

Les cas de vindictes populaires se sont multipliés durant la dernière période à Madagascar, suscitant l'inquiétude aussi bien des autorités que des citoyens.

Une situation jugée "préoccu­pante" et "effrayante" par la Commis­sion nationale indépendante des droits de l’Homme (CNIDH).

Recensant une dizaine de cas ayant fait 46 morts en deux mois, la Commission évoque dans un communiqué publié le 17 novembre dernier, un "fléau délétère qui secoue la société", interpellant les autorités quant à l'urgence d'agir pour arrêter de tels recours.

La Grande Île dispose d'un système appelé "dina", une forme de pacte entre les villageois qui consiste à prévoir des sanctions contre les bandits pris en flagrant délit. Selon la loi 2001- 004 du 21 octobre 2001, l’application de ce pacte doit recevoir l’homologation préalable du tribunal.

Parmi les "dina" les plus connus, figure, par exemple, le "Dinan’I Melaky Tsy Mipoly", caractérisant la région de Melaky (Ouest) et homologué par la justice en 2011. En vertu de ce pacte, les habitants assurent eux-mêmes la sécurisation de leur village. Ils effectuent des tours de patrouille, la nuit comme le jour, et les bandits arrêtés sont systématiquement remis aux forces de l’ordre.

Néanmoins, l’application de ce "dina" a donné lieu à une polémique étant donné les exactions commises à l'occasion de son application; agressions physiques, demandes de rançons aux suspects, exécutions de suspects, etc.

En outre, malgré la loi de 2001, beaucoup de régions confectionnent leur propre "dina" et l'appliquent sans homologation. Dans ce cas, le contrôle des sanctions échappe à la justice et favorise davantage les vindictes populaires.

Le 5 novembre, deux malfaiteurs accusés de meurtre ont été arrêtés à Mampikony, dans le Nord-Est du pays, a rapporté la correspondante de Anadolu. La foule a, alors, réclamé la tête des suspects qui lui avaient été soustraits pour ne pas subir de lynchage.

Furieuse d’avoir perdu la trace des deux bandits, la foule a alors pris d’assaut la brigade de la gendarmerie locale et agressé des gendarmes qui ont été obligés de s’enfuir avec leurs familles. Trois maisons de gendarmes ont été incendiées alors que la prison de Mampikony a été vandalisée lors de ces émeutes.

Quelques jours plus tard, deux individus suspectés de vol ont fait l'objet d'une exécution sommaire à Beroroha, dans le Sud de Madagascar. Même scénario, les deux hommes, la trentaine, ont été lynchés par la foule. Ils ont succombé à leurs blessures avant même que les forces de l’ordre n'aient pu intervenir.

Interpellées, les autorités ont aussitôt réagi en rejetant ces recours à la violence.

Ainsi au lendemain de l’incident de Mampikony, le premier ministre malgache, Mahafaly Olivier Solonandrasana, a vigoureusement dénoncé ces agissements.

"Nous ne tolérerons pas la montée de la violence. Les personnes responsables de ces vindictes populaires ne resteront pas impunies", avait-t-il affirmé.

Se voulant convaincant, le chef du Gouvernement est allé jusqu'à reconnaître "certaines défaillances au niveau de la Justice et des officiers de police judiciaire" qui ne "justifient, nullement, le recours à la violence et la justice populaire", a-t-il soutenu, appelant la population à "laisser la justice faire son travail".

Les autorités ont, en outre, déjà attribué l'origine de ces comportements à l'opposition qui serait "en train de manipuler les gens pour déstabiliser le régime et provoquer sa déchéance". Une accusation d'autant plus sévère que le pays a éprouvé, depuis 2009, des périodes de graves turbulences politiques.

D'ailleurs, le premier ministre a parlé dans son discours de "facteurs politiques derrière cette montée de violences", notamment pour le cas de Mampikony, où des élus locaux auraient délibérément encouragé la population à opter pour la violence.

« Ils veulent remplacer le gouvernement actuel en incitant les gens à la désobéissance civile », a-t-il affirmé.

Des experts interrogés par Anadolu ont, néanmoins, estimé que ces comportements dénotent plutôt une "crise de confiance envers les structures juridiques en place".

Rappelant que «les vindictes populaires sont à la fois une violation des droits de l’Homme et de la loi», Imbiky Anaclet, juriste et ancien ministre de la Justice malgache, note que la recrudescence des vindictes populaires reflète "une crise de confiance des citoyens envers les institutions étatiques à savoir la justice, la gendarmerie et la police".

"Les gens ont besoin de réactions fermes (arrestation, enquête et procès) de la part des instances judiciaires en cas de crimes graves, sinon ils préfèrent faire justice eux-mêmes", a-t-il souligné dans une déclaration à Anadolu.

Ce juriste pointe également du doigt "une corruption trop ancrée qui enlève toute confiance des justiciables vis-à-vis de la justice". Selon lui, "la population se limite à une réaction instinctive, œil pour œil et dent pour dent" en guise d’autodéfense.

Un avis partagé par la CNIDH qui explique ces recours aux vindictes populaires par "la culture de l’impunité favorisée et protégée par la corruption, les interventions de hauts responsables civils et militaires, le corporatisme, le régionalisme et le tribalisme et la solidarité politique".

"Les représailles, les intimidations, le terrorisme politique et juridique", "la perte de confiance de la population envers les institutions étatiques, et particulièrement la justice et les forces de l’ordre", les "dina" non homologués qui permettent la mise à mort des présumés coupables", sont d'autres facteurs qui expliquent la recrudescence des vindictes populaires, selon le même communiqué du CNIDH.

Pour limiter ce fléau, la Commission" appelle les responsables étatiques à favoriser une bonne gouvernance, notamment à travers la lutte efficace contre la corruption et le renforcement de l’Etat de Droit.

Elle appelle, par ailleurs, les organisations de la société civile à "développer l’éducation citoyenne" et la sensibilisation "au respect et à la défense du droit à la vie". Elle demande, enfin, au ministère de la Justice d’associer la CNIDH à l’homologation des "dina".

Imbiky Anaclet préconise aussi, de son côté, des campagnes d'éducation citoyenne dans lesquelles pourront s'engager les associations œuvrant dans le domaine des droits de l’Homme et ce en vue de convaincre les gens du caractère inacceptable de la justice populaire.

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