Analyse, Afrique

Un nouveau Conseil de Souveraineté au Soudan : Un ballon d’essai ou la fin du dialogue ? (Analyse)

- Des observateurs estiment que cette mesure a barré la voie à un futur dialogue avec les Forces de proclamation de la Liberté et du Changement, deuxième partie du Document constitutionnel et ancien partenaire du pouvoir intérimaire

Adel Abdelrheem Humaida Elfadol  | 15.11.2021 - Mıse À Jour : 15.11.2021
Un nouveau Conseil de Souveraineté au Soudan : Un ballon d’essai ou la fin du dialogue ? (Analyse)

Sudan


AA / Khartoum / Adel Abderrahim

La phase transitoire au Soudan a entamé un nouveau tournant après l'annonce par le commandant de l'armée Abdelfattah al-Burhan, jeudi, de la formation d'un nouveau Conseil de Souveraineté qu’il préside et avec comme vice-président Mohamed Hamdan Dogolo alias « Hemidti ».
Cette décision a aggravé la crise, qui perdure dans le pays depuis plusieurs mois, et l’a rendue susceptible d’être davantage compliquée selon des analystes.
Ces analystes ont estimé, également, que cette mesure a bloqué la voie à tout futur dialogue avec les « Forces de proclamation de la Liberté et du Changement », deuxième partie du Document constitutionnel et ancien partenaire du pouvoir intérimaire.
D’autres observateurs ont considéré que l’espoir est toujours permis de voir un dialogue organisé après la réactivation par al-Burhan des articles suspendus dans le Document constitutionnel, tandis qu’un troisième camp a qualifié cette décision d’un « ballon d’essai ».
Al-Burhan a publié, jeudi, un décret constitutionnel portant formation du nouveau Conseil de Souveraineté intérimaire qu'il préside et a désigné Hemidti au poste de vice-président, à côté de 11 autres membres. Il a, par ailleurs, reporté la nomination d'un représentant de la région de l'Est du Soudan en attente de mener davantage de consultations.
Depuis le 25 octobre dernier, le Soudan souffre d'une crise aiguë après qu'al-Burhan a décrété l'état d'urgence et dissous les Conseils intérimaires de Souveraineté et des ministres, tout en limogeant les gouverneurs des provinces.
Il a également arrêté des ministres, de hauts responsables et des dirigeants de partis politiques, au moment où la protestation s'intensifie et se poursuit pour rejeter ces décisions, considérées comme étant un « putsch militaire ».
Avant la prise de ces décisions, le Soudan évoluait, depuis le 21 août 2019, au rythme d'une phase transitoire devant se poursuivre initialement pendant 53 mois et qui aurait dû être couronnée, à l'orée de l'année 2024, par l'organisation d'élections générales. Le pouvoir était partagé, durant cette phase, par l'armée, des forces civiles et des mouvements armés, signataires d'un Accord de paix avec le gouvernement en 2020.


- La domination d’al-Burhan et de son armée


Des analystes ont estimé que la nomination d'un nouveau Conseil de Souveraineté confirme, si besoin est, la prise de contrôle par l'armée et de son commandant al-Burhan de l'avenir de la phase transitoire et qu'ils iront de l'avant en s'emparant du pouvoir et en mettant sur pied, de manière unilatérale, les institutions de la phase transitoire à tous les niveaux, législatif et exécutif.
L'autre point qui a soulevé de nombreuses interrogations consiste en les modalités qui ont été prises en compte dans la constitution du nouveau Conseil, dans la mesure où les dirigeants de l'armée n'ont pas clarifié la méthode et les critères adoptés dans le choix des membres du Conseil de la souveraineté, en particulier, les civils parmi eux.
Selon plusieurs observateurs, le fait de ne pas clarifier les critères de choix des membres du Conseil de Souveraineté soulève des doutes et permet d’avancer qu'al-Burhan est le véritable détenteur du pouvoir actuellement et qu’il souhaite surtout continuer à tirer, seul, toutes les ficelles et devenir à l’avenir le dirigeant suprême.


- Le Dialogue : C’est fini


Des observateurs considèrent que la formation du Conseil de Souveraineté par al-Burhan est une sorte de clap de fin à toute initiative de dialogue.
Néanmoins, l’expert stratégique Amine Ismail Majdhoub, un général à la retraite, affiche son optimisme en indiquant qu’une lueur d’espoir existe de voir la tenue d’un Dialogue après qu'al-Burhan a réactivé les articles suspendus du Document constitutionnel.
Il a ajouté, dans un entretien accordé à l'Agence Anadolu, que « tant que le Document a été réactivé cela signifie la possibilité du retour des Forces de la Liberté et du Changement à travers un nouveau dialogue qui aura comme fondement le parachèvement des autres structures de pouvoir intérimaire, principalement, le Conseil législatif ».
« La mesure prise par le commandant de l’armée portant constitution d’un nouveau Conseil de Souveraineté est intervenue pour pallier aux revendications grandissantes des deux camps, la composante militaire et les Forces de proclamation de la Liberté et du Changement », a-t-il encore dit.
Il a relevé que la crise politique qui a secoué le pays a généré une vacance constitutionnelle, sécuritaire et sociale, ce qui a poussé al-Burhan à mettre sur pied le Conseil de Souveraineté, première étape de parachèvement de la constitution des institutions du pouvoir intérimaire.
« La crise pourrait être encore plus complexe au cas où la polarisation aiguë dans la Rue se poursuivrait et c’est pour cela qu’un Dialogue sur des bases saines, nouvelles et solides est la meilleure voie à emprunter par le pays » , a-t-il poursuivi.
Le Conseil militaire avait signé, le 17 août 2019, un Document constitutionnel avec les Forces de proclamation de la Liberté et du Changement aux fins de gérer le pays durant une phase transitoire de 39 mois.
A l’issue de la signature d’un Accord de paix avec les Mouvements armés, le 3 octobre 2020, ces Mouvements ont été associés au pouvoir aux côtés des militaires et des civils, selon des quotas déterminés par ledit accord, en vertu duquel la phase transitoire a été prolongée jusqu’au mois de janvier 2024.


- Les réfractaires investissent la Rue


La mise sur pied d’un nouveau Conseil de souveraineté, qui fait officie d’une Présidence de la République, simultanément avec une phase transitoire qui n’a pas connu de stabilité économique et politique tout au long des deux années écoulées, sera à même d’anéantir la stabilité du pays, selon des observateurs locaux, d’autant plus que cette mesure a été largement rejetée par des forces qui « ont pignon sur rue » au Soudan.
Il s’agit, essentiellement, du Rassemblement des Professionnels soudanais, des Forces de proclamation de la Liberté et du Changement, du Parti communiste soudanais et des Comités de Résistance.
Les forces qui occupent la Rue, et malgré leurs divergences, sont motivées et réunies par leur rejet, depuis le 25 octobre écoulé, des décisions d’al-Burhan, et depuis jeudi de l’annonce du nouveau Conseil de Souveraineté.
Ce rejet et cette union sont à même d’assurer la poursuite de leurs mouvements sur le terrain à travers des protestations, des sit-in et des manifestations qui pourraient s’inscrire dans la durée et générer une instabilité durant la période à venir.
La décision d’al-Burhan de mettre sur pied un nouveau Conseil de Souveraineté qu’il préside en nommant Hemidti comme vice-président, a provoqué un rejet local et une inquiétude onusienne, au milieu d’appels lancés pour libérer les prisonniers et abroger les décisions prises en date du 25 octobre dernier.
Les Forces de proclamation de la Liberté et du Changement, le Rassemblement des Professionnels (leader de la protestation), et d’autres partis soudanais ont annoncé leur rejet des décisions d’al-Burhan portant création d’un Conseil de souveraineté, les qualifiant « d’illégales et sans fondement constitutionnel ».
Au niveau onusien, Stéphane Dujarric, porte-parole du Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a indiqué, en point de presse, jeudi, que l’annonce de la formation d’un nouveau Conseil de Souveraineté au Soudan est « extrêmement inquiétant », appelant à rétablir la phase transitoire « dans les plus brefs délais ».
Pour sa part, le représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies au Soudan et Chef de la Mission intégrée des Nations Unies pour l'assistance à la transition au Soudan (MINUATS), l’ambassadeur Volker Perthes, a notifié au Conseil de sécurité que la fenêtre du dialogue et de la solution pacifique au Soudan est « désormais close ».


- Les manifestations, un indice


La première réponse est venue, durant la soirée du jeudi, lorsque des manifestations éparses ont été organisées dans plusieurs quartiers de la capitale Khartoum, après l’annonce faite au sujet de la création du Conseil de Souveraineté. Il s’agit d’un indice, selon les analystes, que des manifestations et des rassemblements plus imposants auront lieu ultérieurement.
La capacité des manifestants à investir la Rue en continu est l’un des principaux outils qui ont tracé le sillon de la transition depuis la chute du Président déchu, Omar el-Béchir, au mois d’avril 2019.
Les différentes et nombreuses manifestations laissent les observateurs estimer que la Rue soudanaise a préservé, tout au long des deux années passées de la transition, sa flamme allumée, et est capable de renverser la vapeur en faveur du pouvoir civil.
La prise de contrôle par les forces politiques et le Rassemblement des Professionnels soudanais des mouvements de la Rue en imposant une nouvelle réalité éloigne les militaires du pouvoir, de manière irréversible. De même, l’annonce de la formation du Conseil de Souveraineté a pour conséquence d’embraser une Rue qui est déjà tendue et gonflée à bloc, selon les observateurs.


- Un Ballon d’essai


L’analyste politique Youssef Sarraj a estimé que l’annonce par al-Burhan d’un nouveau Conseil de Souveraineté est une sorte de ballon d’essai afin de déterminer ses prochaines mesures à prendre. Il s’agirait soit de continuer sur la voie de la constitution des autres structures du pouvoir soit se rétracter sous le poids de la pression populaire, régionale et internationale.
Dans un entretien accordé à AA, l’analyste a indiqué que former un nouveau Conseil de souveraineté signifie que la porte est encore ouverte à l’enclenchement du Dialogue, d’autant plus que le Conseil de Souveraineté n’est pas la principale entrave mentionnée par les « Forces de proclamation de la Liberté et du Changement » mais plutôt la désignation d’un nouveau Chef de gouvernement pour succéder à Hamdok.
Il a ajouté que « la réactivation du Document constitutionnel après l’abrogation des articles suspendus montre que les Forces de la Liberté et du Changement font toujours partie de l’équation ».
« La prise par al-Burhan et son groupe – qui semble désorientée et perplexe - d’une deuxième mesure en mettant sur pied une autre structure du pouvoir empirera la situation et placera le pays sur la voie du coup d'Etat », a-t-il encore dit.
Le commandant de l’armée soudanaise, Abdelfattah al-Burhan, avait publié, jeudi, une décision portant levée de la suspension et réactivation de plusieurs articles du Document constitutionnel, à l’exception du terme « Liberté et Changement » (ancienne coalition au pouvoir ».
Les principaux articles dont la suspension a été levée sont relatifs aux missions et aux prérogatives du Conseil de Souveraineté, aux missions du Conseil des ministres et au partenariat avec les « Forces de proclamation de la Liberté et du Changement ».
Les Forces de proclamation de la Liberté et du Changement sont composées de forces politiques et civiles, au premier rang desquelles figurent « L’Unanimité nationale », « L’Appel du Soudan », « Le Rassemblement unioniste », « Le Rassemblement des Professionnels » et le Rassemblement des Forces civiles ».

*Traduit de l'arabe par Hatem Kattou




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