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Tunisie / Présidentielle / Mohsen Marzouk : «Le palais de Carthage n'est pas un aboutissement»

Anadolu continue sa série d'entretiens avec les candidats à la course au palais de Carthage qui partent en campagne officielle lundi, pour observer un «silence électoral» le 14 septembre, le vote étant prévu le lendemain.

Lassaad Ben Ahmed  | 01.09.2019 - Mıse À Jour : 02.09.2019
Tunisie / Présidentielle / Mohsen Marzouk : «Le palais de Carthage n'est pas un aboutissement»

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AA / Tunis / Slah Grichi

Parmi les 26 prétendants à la présidence, il est certainement le plus aguerri à l'action et au militantisme politiques, l'un des plus expérimentés et des plus éloquents aussi.

Issu d'une famille démunie du village côtier de Maharès (à 300 km de Tunis) et précocement orphelin, Mohsen Marzouk -c'est de lui qu'il s'agit- s'est engagé très jeune dans les mouvements protestataires lycéens, ce qui lui a valu d'être renvoyé des bancs scolaires.

Loin du cartable et du tablier, il exerce quelques petits métiers (marchand ambulant de jasmin, couturier...) pour venir en aide à sa mère qui avait du mal à assurer le vital à ses deux autres enfants.

Toujours est il qu'au bout de trois ans, il réintègre l'école, obtient son bac et s'inscrit à l'Université de Tunis, plus exactement à la Faculté des Lettres de la Manouba.

Très vite, il rejoint la gauchiste et «dure» Union générale des étudiants (UGET) où il devient membre du Bureau exécutif, et s'active en parallèle au sein d'«Al âmel attounsi» (l'ouvrier tunisien), un mouvement opposant à Habib Bourguiba dont la santé et le régime étaient en déclin.

Cela lui vaudra un procès et la prison, mais sera gracié par Ben Ali, fraîchement installé à Carthage et désireux de montrer tolérance et sollicitude envers les militants politiques des autres bords.

Le verbe facile, le background riche et le sens du contact ainsi que de l'entretien des relations développées, Mohsen Marzouk ne trouve aucune difficulté, une fois son cursus universitaire bouclé et la page de la gauche pure et dure tournée, après lui avoir apporté une légitimité de militant politique, à être recruté dans plusieurs organisations et institutions arabes internationales oeuvrant pour la promotion de la démocratie et des droits de l'homme.

Après janvier 2011 et la destitution de Ben Ali, il rentre au pays où il prend part à l'élaboration de ce qui est appelé la 2ème République.

Mais son coup de maître qui l'installera comme un visage incontournable du paysage politique, il le réalise en rejoignant Béji Caïd Essebsi, en tant, que membre constituant, de «Nidaa Tounès» (l'appel de la Tunisie), créé en 2012.

Dynamique et efficient, il se voit confier par Caïd Essebsi (entre autres) la direction de sa campagne pour la présidentielle et les législatives de 2014, puis le poste de ministre conseiller lorsqu'il accède au palais de Carthage.

De profonds différends avec le fils du Président quant à la gestion des affaires du parti, l'amèneront à démissionner de toutes ses responsabilités et à créer, en 2017, son propre parti «Machrou' Tounès» (le projet tunisien).

Mohsen Marzouk qui est un candidat sérieux à la présidentielle et dont le parcours mérite le détour, est notre invité. Ecoutons-le.


Nous voyons dans votre bureau, les portraits de Bourguiba, du leader syndicaliste Ahmed Tlili... Cela étonne de la part de quelqu'un qui a été emprisonné du temps du premier président de la République...

Des syndicalistes comme Tlili, Farhat Hached ou Habib Achour ont été de grands patriotes. Tout comme Bourguiba qui a bâti les fondements de la Tunisie post-coloniale sur les principes de la souveraineté, la dignité et le développement qui sont justement le credo de «Machrou' Tounès».

Les déviations totalitaires n'enlèvent rien au mérite de son approche qui constitue notre référence. La présence de sa photo est une reconnaissance à son oeuvre et à ses réalisations en matière de santé, libération de la femme, démocratisation de l'enseignement, rayonnement de la Tunisie...

A vous écouter, on a l'impression que vous parlez de «Nidaa Tounès». Nous ne voyons pas en quoi «Al machrou'» diffère.

Vous n'avez pas tort. Je vous dis mieux, vous trouverez le même discours chez tous les partis démocratiques centristes, comme «Tahya Tounès» de Youssef Chahed, «Al Badil» de Mehdi Jomâa, «Amal Tounès» de Salma Elloumi... Excepté Jomâa en tant qu'individu, nous sommes tous (avec nos équipes) des «Nidaaistes» éparpillés.

Pourquoi alors cet éparpillement qui, vous seriez d'accord, affaiblit le bloc moderniste et démocrate?

Disons que c'est à cause de la volonté de mainmise sur les structures du Nidaa de la part de Hafedh Caïd Essebsi, sans aucune légitimité sauf celle d'être le fils du Président, feu Si El Béji.

C'est d'ailleurs à cause de cela que j'ai démissionné et du parti et de mon poste de ministre conseiller politique à la présidence et que j'ai créé «Al Machrou'».

Sur les 26 candidats, vous serez plusieurs à défendre le même projet. Cela ne favoriserait-il pas d'autres camps?

Justement et c'est pourquoi je n'ai pas cessé d'appeler la famille centriste à s'unifier, afin de contrer le camp, homogène, au référentiel théologique. Mais l'égo et le désir de leadership de nombreux «chefs» a bouché les oreilles et brouillé les vues.

Vous ne pouvez pas renier vos propres velléités de meneur et de chef suprême?

Si vous parlez de présidence de la République ou du Gouvernement, sachez que s'il y avait eu entente avec les partis qui partagent nos objectifs et notre programme, j'aurais pu ne pas me porter candidat.

Les postes m'intéressent beaucoup, moins que faire partie d'un projet salvateur pour le pays qui sera retenu par l'Histoire. Je ne suis nullement gêné de rester dans l'ombre, comme je le dis au cours de la campagne de 2014 ou lorsque j'ai préparé (avec d'autres) la visite exceptionnelle que feu Béji Caïd Essebsi à effectuée aux États Unis...

Toujours est-il que vous êtes aujourd'hui candidat et que vous allez au devant d'un scrutin où les électeurs en ont marre des partis traditionnels. La montée des indépendants et des nouveaux partis populistes le prouve, d'ailleurs.

Les réseaux sociaux d'un côté et l'incapacité de l'État à améliorer les conditions de vie du citoyen, ont élevé le seuil des attentes chez ce dernier et ouvert la porte à toutes les spéculations, ainsi qu'à des mouvements associatifs qui se sont insidieusement convertis en partis politiques. C'est ce qui explique leur montée.

Ma crainte, s'ils réussissent, c'est qu'ils fassent perdre au pays cinq nouvelles années. Car à l'exercice du pouvoir, tout le monde se rendra compte qu'entre les promesses et leur réalisation, il y a un monde.

Vous n'étiez donc pas contre les amendements apportés à la loi électorale et que le défunt président a fait tomber à l'eau?

Venus tard, ils ont pris l'allure d'une exclusion concertée d'un favori qui a effectivement profité d'une action de bienfaisance pour la transformer en propagande politique. Cela a quand même révélé les failles de la loi électorale qui viennent s'ajouter à d'autres dans la Constitution.


Disons les choses clairement. Vous semblez vous attendre à ce que Nabil Karoui qui a sauté des oeuvres de charité à la politique, passe le premier tour.

Cela reste possible. Les séismes arrivent en politique, car ils sont, comme pour la terre, une forme de recherche d'un équilibre, ce que la Tunisie est justement en train d'essayer de faire.

Quels sont les candidats qui, selon vous, ont de grandes chances d'être au second tour?

Un seul: le candidat d'Ennahdha parce qu'il a derrière lui un bloc homogène et discipliné qui profitera de l'éparpillement des voix des autres. J'espère qu'au deuxième tour, il aura face à lui un candidat de la famille démocratique qui puisse rassembler le reste de l'électorat.

Si vous vous retrouvez à Carthage, quelles seront vos principaux projets ou décisions?

Proposer un changement du système politique vers un régime, soit parlementaire soit présidentiel, fort avec un contrôle réel et efficient des députés.

Renforcer la lutte contre le crime, le crime organisé, le terrorisme et l'évasion fiscale, ce qui relève de la sécurité nationale.

Promouvoir la politique économique étrangère, à travers une collaboration entre le ministère des Affaires étrangères et le ministère de l'Investissement extérieur.

Entourer et soutenir les jeunes doués à travers une fondation qui les préparera aux métiers d'avenir.

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