Tunisie: les SDF aux temps du coronavirus

Tunisia
AA / Tunis / Malèk Jomni
Parue en 1897, la dénomination "Sans domicile fixe" (SDF) venait remplacer les termes "vagabond" et "clochard" afin de désigner une personne qui, ne jouissant pas d'un arbi, se trouve dans la rue ou dans l'un des centres d'accueils adaptés. Privés de leurs droits au logement, à l'alimentation, à l'eau, à la santé et à l'hygiène, ces sans-abris se trouvent, en plus, sévèrement exclus de la société, de par leur statut.
Une situation assez précaire et très difficile profondément exacerbée par l'apparition de la pandémie de coronavirus, qui ne cesse de modifier le paysage socio-économique mondial, depuis mars 2020.
En se baladant dans l'avenue la plus connue de la capitale Tunis, Habib Bourguiba, on aperçoit de plus en plus de personnes accroupies au pied des murs ou allongées dans les coins des petites ruelles, les yeux caressant le sol, faisant la manche ou pas. Les uns auraient des problèmes de famille ou des soucis d'argent, les autres n'auraient pas réussi à décrocher une opportunité d'emploi qui leur offrirait une vie digne et d'autres encore se seraient livrés à la drogue... Nombreuses sont les raisons qui auraient violemment poussé ces gens, qui appartiennent à plusieurs tranches d'âges, dans les bras durs et épineux de la rue.
Initialement marginalisés, les SDF ont été, depuis bientôt deux ans, laissés à la traine des intérêts du Gouvernement -qui prenait des séries de décisions draconiennes au profit du secteur public et des familles à faible revenu- quand la Covid s'en est prise à tous les recoins du pays en pleine vague de froid.
Confinement général, couvre-feu et restrictions sanitaires, toutes ces nouvelles pratiques ont certes préservé du danger les personnes qui avaient des toits sous lesquels s'abriter mais ont, malheureusement, ôté tout espoir de survie à celles qui vivaient dans la rue et qui ne pouvaient pas se permettre de tomber malades, alors que la propagation remarquable du virus semait la panique et suscitait beaucoup d'inquiétude.
- La voix des oubliés se fait entendre
L'appel au secours silencieux de ces oubliés s'est fait tout de même entendre par nombre d'associations et de membres de la société civile ayant lancé d'innombrables initiatives pour les sauver des dents de ce nouveau virus, qui s'est souvent avéré mortel pour les personnes âgées, souffrant de maladies chroniques ou ayant une faible immunité.
Le Samusocial International, un ensemble d'associations non gouvernementales venant en aide aux personnes démunies, a, en effet, collaboré avec le ministère tunisien des Affaires Sociales dans le but d’appuyer la réflexion sur le phénomène d’exclusion et l’intégration des besoins spécifiques des SDF dans les politiques publiques.
Il soutient, dans ce sens et depuis 2017, le développement du Samusocial du Grand Tunis -membre du réseau international des Samusociaux et service public tunisien d’aide mobile d’urgence pour les personnes qui vivent dans la rue, à la capitale-. Ce dernier est également le projet pilote du ministère.
Composé d’une équipe de travailleurs sociaux, d’un éducateur et de deux soignants, le Samusocial du Grand Tunis intervient cinq soirs par semaine, dans les quatre gouvernorats de la zone en question, auprès des personnes majeures et mineures en situation de grande exclusion, pour leur offrir un accompagnement médico-psychosocial.
Développé à partir du Centre d’encadrement et d’orientation sociale de Tunis, le dispositif y oriente les personnes les plus vulnérables rencontrées, pour une prise en charge adaptée à leurs besoins, de jour comme de nuit. Elles y bénéficient de bonnes conditions d'hygiène, d'une consultation médicale, d'une écoute psychosociale et d'un logement digne.
Ayant des relations privilégiées avec les acteurs publics de la santé, des affaires sociales et de la justice, le dispositif n'a aucune difficulté pour mener à bien sa mission liée à la prise en charge et à l'accompagnement des personnes sans domicile fixe.
- Vaccination de rue pour les SDF
Bien qu'elle constitue aucunement une priorité pour les SDF qui rêvent uniquement d'un toit et d'un repas chaud, la vaccination est la seule préoccupation des équipes de l'organisation non gouvernementale médicale de solidarité internationale, Médecins du Monde, qui vont, quand même, à leur rencontre pour les convaincre de se faire inoculer.
L'équipe de vaccination mobile administrent des vaccins aux sans-abri, aux migrants, aux sans-papiers et à d’autres personnes qui n’ont pas accès au système de vaccination régulier et qui ont peur de s'afficher ou d'être identifiées.
Pour plus d’efficacité dans la lutte contre le coronavirus, elle a choisi d'opter pour le vaccin à dose unique du laboratoire Johnson & Johnson, la population cible étant trop mobile pour pouvoir imposer un second rendez-vous pour recevoir une deuxième dose.
Créée en 1980, Médecins du Monde, seule organisation non-publique autorisée à vacciner la population contre la Covid, a aussi obtenu l’autorisation de délivrer des cartes de vaccination aux personnes ne disposant pas de pièce d’identité.
Les équipes mobiles des projets «Personnes en Rue» et «Santé et Migration» ont également permis à la population migrante de s’inscrire sur le site internet du ministère tunisien de la Santé, pour prendre un rendez-vous pour la vaccination.
En parallèle, les équipes de Médecins du Monde ont mené des actions de sensibilisation à la vaccination dans plusieurs régions tunisiennes. Médecins, psychologues et bénévoles ont répondu à toutes les questions, en majorité liées aux risques des vaccins notamment pour les femmes enceintes.
Par ailleurs, cette tranche sociale "désocialisée" a besoin d'une intervention efficace des structures de l’Etat pour lutter contre ce phénomène qui fait désormais partie du paysage quotidien tunisien ainsi que d'une application stricte des dispositions de la Constitution de 2014 qui consacre le droit humain universel au logement digne et décent, en évoquant les conditions d'une vie décente dans son article 21, l'inviolabilité du domicile dans son article 24, le droit à l'eau dans son article 44 et le droit à un environnement sain dans son article 45.