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Tunisie : l'eau du nord peut-elle résoudre la crise de la sécheresse ? (Rapport)

- Tunisie : relance du projet de transfert des eaux du Nord vers l’intérieur, dont Kairouan, pour atténuer la pénurie. Long de 400 km, financé à plus de 2,5 Mds TND, il vise à sécuriser l’eau potable et renforcer l’irrigation

Adel Bin Ibrahim Bin Elhady Elthabti  | 05.12.2025 - Mıse À Jour : 05.12.2025
Tunisie : l'eau du nord peut-elle résoudre la crise de la sécheresse ? (Rapport)

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AA / Tunis / Adel Bin Ibrahim Bin Elhady Elthabti

Le débat est revenu ces derniers jours en Tunisie autour du projet de transfert du surplus des eaux du Nord vers les régions de l’intérieur, en particulier vers le gouvernorat de Kairouan (centre). L’objectif est de réduire la pression sur les ressources hydriques et de faire face aux coupures fréquentes, dans un contexte de sécheresse sévère et de forte baisse du niveau des nappes phréatiques.

Selon la radio publique Monastir, citant des responsables officiels, le projet s’étend sur 400 kilomètres, traverse 8 gouvernorats et se compose de 4 volets. Le quatrième, destiné à la région de Kairouan, doit relier les barrages de Nebhana et Sidi Saad sur 84 kilomètres, en passant par Sbikha, Aïn Jeloula, Chébika, Hafouz et Menzel Mehiri.

La même source précise que le projet s’inscrit dans un plan directeur supervisé par le ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche, pour un coût dépassant 2,5 milliards de dinars (environ 850 millions de dollars), financé par l’État tunisien, la Banque allemande de développement (KfW) et la Banque européenne d’investissement. L’appel d’offres pour la première phase doit être lancé prochainement.

- Une idée remontant aux années 1970

Houcine Rahili, universitaire spécialisé dans le développement et la gestion des ressources hydriques, a déclaré à Anadolu que l’idée du projet n’est pas nouvelle. Les premières réflexions remontent aux années 1970, parallèlement au projet du « Canal Medjerda–Cap Bon », qui repose sur le transfert du surplus des eaux du Nord via un système interconnectant les barrages.

Rahili explique que les barrages pleins dans le Nord déversent leurs eaux dans d’autres barrages, jusqu’aux stations de pompage de Nabeul (Nord-Est) et de Sousse, Kalâa Sghira et Kalâa Kebira, puis vers Sfax (220 km au sud-est de Tunis).

Il indique qu’une partie du canal, qui acheminait les eaux du Nord vers Sfax, sera redirigée vers Kairouan, où les nappes phréatiques sont exploitées à 140 % de leur capacité et où le gouvernorat est désormais le troisième du pays en matière de coupures répétées d’eau potable.

- 14 gouvernorats alimentés par les barrages

Toujours selon Rahili, seuls les surplus seront transférés, sachant que 14 gouvernorats sur 24 dépendent actuellement de l’eau des barrages pour la consommation humaine.

Les gouvernorats du Grand Tunis (Tunis, Manouba, Ariana, Ben Arous), ainsi que Nabeul, Sousse, Monastir, Mahdia et Sfax, sont tous partiellement alimentés par les barrages.

Le chercheur rappelle que le taux de remplissage des barrages ne dépasse aujourd’hui pas 25 %, alors qu’il atteignait 100 % il y a quelques années. La priorité est désormais donnée à l’eau potable, au détriment de l’irrigation.

Il met en garde contre les effets de la sécheresse persistante des cinq dernières années, qui a profondément modifié les équilibres hydriques en Tunisie : il n’existe plus de volumes excédentaires suffisants pour l’agriculture, et les prélèvements quotidiens sont aujourd’hui principalement destinés à l’eau potable.

De son côté, Mohamed Salah Glaied, ancien responsable au ministère de l’Agriculture, affirme que le transfert des surplus d’eau du Nord « n’est possible que lorsque les barrages sont pleins ».

Il rappelle que, certaines années, les eaux du barrage de Sidi El Barrak (Nord-Ouest) ont été déversées en mer, et qu’en une occasion près de 67 millions de m³ y avaient été rejetés.

Des études ont été menées pour réorienter ces eaux vers l’intérieur via des stations de pompage, au lieu de les perdre en mer.

- Un acheminement à travers 8 gouvernorats

Glaied explique que le transfert se déroule en deux étapes : la première vers la région de Belli (Nabeul), la seconde vers Zaghouan et Kairouan, en passant par Bizerte et Manouba.

Selon les études préliminaires, le projet, estimé à environ 3 milliards de dinars (près d’un milliard de dollars), se compose de quatre parties.

La première concerne la construction du barrage El Malah à Bizerte. La deuxième porte sur des stations de pompage reliant les barrages Sidi El Barrak et Sejnane (gouvernorat de Bizerte).

- La troisième vise la réalisation de canaux d’acheminement vers Belli à Nabeul.

La quatrième, destinée à Kairouan, doit commencer en premier par la connexion entre les barrages Sidi Saad et El Houareb, une phase déjà en cours.

L’une des étapes prévoit d’acheminer l’eau vers le barrage de Nebhana via pompage. Les études d’exécution ont été lancées, incluant l’évaluation du coût d’acquisition des terrains accueillant les stations de pompage, et la coordination avec leurs propriétaires dans 8 gouvernorats.

- Une réponse au déficit hydrique de Kairouan

En ce qui concerne le manque d’eau dans le gouvernorat de Kairouan, Glaied explique que les barrages de Nebhana, El Houareb et Sidi Saad seront interconnectés afin de sécuriser l’eau destinée à l’irrigation. Le raccordement entre El Houareb et Sidi Saad est actuellement en cours.

Selon lui, le gouvernement semble avoir commencé par la quatrième phase du projet, après la mobilisation de financements initiaux, afin de stocker au moins 20 millions de m³ durant l’hiver et de les redistribuer ultérieurement pour les besoins d’alimentation en eau potable et d’irrigation.

Le gouvernorat souffre d’un déficit aigu en eau d’irrigation, et le projet constitue une solution stratégique inscrite dans les études d’exécution, dont la mise en œuvre pourrait durer plusieurs années.

- Dépendance aux saisons pluvieuses

Glaied précise que le fonctionnement à pleine capacité du système dépend du surplus hydrique dans le Nord. Le barrage de Nebhana pourrait devenir un réservoir majeur d’une capacité de 60 millions de m³ si deux saisons pluvieuses successives se confirmaient.

En 2024, le barrage de Sidi El Barrak a pompé environ 161 millions de m³ vers le Grand Tunis, Nabeul et le Sahel, et jusqu’à Sfax avant la mise en service de l’usine de dessalement.

- Le dessalement comme source alternative

Glaied souligne que l’État se dirige vers la diversification des sources d’approvisionnement via les usines de dessalement, tout en exploitant les ressources superficielles lorsqu’elles sont disponibles, à moindre coût.

Il estime que le projet ouvrira de nouvelles perspectives économiques, citant le succès du « Canal Medjerda–Cap Bon » dans le transfert des eaux de Bizerte vers Saïda, puis vers Belli (Nabeul).

Le barrage de Kalaâ Kebira (Sousse) a une capacité de 33 millions de m³, tandis que le barrage de Nebhana pourrait devenir un immense réservoir de 60 millions de m³ une fois intégré au système de transfert.

- Des projets coûteux nécessitant des emprunts

Glaied rappelle que les projets de transfert d’eau sont extrêmement coûteux et exigent un recours à des financements extérieurs, puisque 90 % du budget de l’État est consacré aux dépenses de fonctionnement. Seuls 7 à 10 % restent disponibles pour le développement, une proportion insuffisante pour des projets stratégiques de grande ampleur.

Selon lui, le changement climatique oblige la Tunisie à innover, à diversifier ses sources d’eau et à mobiliser des financements via la diplomatie économique. Il cite l’exemple de l’usine de dessalement de Sfax, estimée à près d’un milliard de dinars (333,3 millions de dollars), financée par le Japon.

Selon les chiffres de la Direction générale des barrages et des grands ouvrages hydrauliques (publique), le stock des barrages en Tunisie a atteint 777 millions de m³ au 8 août 2025, soit un taux de remplissage de 32 %, contre 599 millions de m³ à la même date en 2024, où le taux ne dépassait pas 25 %.

*Traduit de l'arabe par Wafae El Baghouani

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