AA / Tunis / Adel ElThabti

En Tunisie, la saison des dattes connaît cette année des perturbations sans précédent malgré une production abondante, poussant de nombreux agriculteurs du sud-ouest à interrompre la récolte pour protester contre la chute des prix qui menace leurs revenus.

L'Agence de presse tunisienne indique que plusieurs agriculteurs de la région de Jemna, dans le gouvernorat de Kébili (sud-ouest), ont cessé la récolte des dattes dans leurs exploitations fin octobre.

Cette manifestation fait suite à la baisse du prix d'achat des dattes Deglet Nour (une variété) par certains collecteurs (agents), le faisant passer de 1,18 $ à 1 $ le kilogramme pour la première catégorie, et de 0,80 $ à 0,65 $ pour la seconde.

- Inquiétudes des agriculteurs face à la chute des prix

Hamad Hammadi, agriculteur et exportateur du district de Douz, dans le gouvernorat de Kebili, explique que les prix sont généralement soumis à la loi de l'offre et de la demande, mais que ces dernières années, la production a considérablement augmenté suite à l'arrivée d'investisseurs extérieurs à la région, au point de plus que tripler le volume des exportations.

Dans une interview accordée à Anadolu, il ajoute : « Nous exportons environ 130 000 tonnes de dattes par an, alors que la production a atteint près de 400 000 tonnes cette année, ce qui a incité les exportateurs à ne pas se conformer au prix de référence.»

Hammadi constate que l'application de la loi anti-monopole a limité l'activité des négociants sur le marché intérieur, car ils sont tenus de fournir des factures officielles lors du transport. Or, la plupart des agriculteurs n'émettent pas de factures, ce qui a complexifié la commercialisation intérieure.

Il souligne que la capacité de stockage limitée aggrave la crise, expliquant que « la capacité de stockage des agriculteurs ne dépasse pas 50 000 tonnes, alors qu'environ 100 000 tonnes sont destinées à l'exportation, laissant d'importantes quantités sans stockage adéquat ».

Il poursuit : « Les exportateurs ont hésité à acheter des dattes au prix de référence de 3,5 dinars (1,18 $), ce qui a entraîné un arrêt des achats et une chute des prix. Nous espérons toutefois que les récentes décisions du président tunisien Kaïs Saïed autorisant le stockage et la libre circulation des marchandises, contribueront à la stabilité du marché.»

- Difficultés de commercialisation et de financement

De son côté, l'agriculteur Omar Ben Ali, de Kebili, explique que les dattes sont un produit fragile qui ne se conserve pas longtemps car il se détériore rapidement. Il constate que le refus des banques de financer les exportations a aggravé la crise.

Il explique que les entrepôts frigorifiques sont saturés et que, par crainte de poursuites judiciaires pour pratiques monopolistiques, la commercialisation des dattes est devenue encore plus complexe.

Ben Ali ajoute que l'Association professionnelle conjointe des producteurs de dattes fixe un prix de référence annuel pour l'achat des dattes, mais que ce prix reste théorique, le marché étant soumis à la loi de l'offre et de la demande.

Il souligne que l'absence d'un organisme officiel représentant les producteurs de dattes les laisse affronter seuls leurs difficultés, qu'il s'agisse d'accès à l'eau, de commercialisation ou de relations avec les autorités.

- Intervention présidentielle pour protéger les agriculteurs

Cette situation a incité le président tunisien Kaïs Saïed à intervenir personnellement pour surmonter les obstacles qui ont perturbé les récoltes et la commercialisation.

Lors d'une réunion tenue jeudi avec les ministres de l'Intérieur et des Finances, Saïed a insisté sur la nécessité de faciliter la circulation des agriculteurs ainsi que le stockage et la commercialisation de leurs produits dans les meilleures conditions possibles. Il a souligné que de nombreuses procédures administratives sont dépourvues de fondement juridique et constituent un fardeau pour les petits exploitants.

Le président a également appelé à des mesures immédiates pour mettre fin aux abus et garantir la protection des agriculteurs contre les spéculateurs et les monopoles, rappelant que la politique de l'État repose sur le soutien aux petits producteurs à toutes les étapes de la production, du stockage et de la vente.

Lors d'une autre réunion avec plusieurs responsables des secteurs de l'agriculture et des fruits, Saïed a souligné que les baisses de prix délibérées imposées par les intermédiaires sur les dattes ont conduit les agriculteurs à abandonner la récolte dans plusieurs régions, telles que Jemna et El-Blida, malgré la qualité exceptionnelle de leurs dattes.

Il a ajouté : « La Tunisie est en pleine période de clarification, et la situation se précise de jour en jour, tant dans le secteur agricole que dans d'autres secteurs. L'État n'hésitera pas à protéger les agriculteurs et l'économie nationale.»

- Production record malgré les difficultés

Le ministre de l'Agriculture, des Ressources en eau et de la Pêche, Ezzedine Ben Cheikh, a déclaré, lors de sa supervision du lancement de la saison des récoltes le 23 octobre dans le gouvernorat de Kebili, que le pays enregistre cette année une production record, estimée à 404 000 tonnes.

Ben Cheikh a précisé que sur cette production, 347 000 tonnes sont de la variété « Deglet Nour » et 57 000 tonnes d'autres variétés.

Selon les données de l'Observatoire national de l'agriculture, les palmeraies s'étendent sur une superficie d'environ 61 000 hectares dans les quatre gouvernorats du sud (Gafsa, Tozeur, Kebili et Gabès) et comprennent environ 8 millions de palmiers, qui constituent l'épine dorsale de la production nationale de dattes.

* Traduit de l'Arabe par Mariem Njeh