Tunisie : "Green School" ou comment "Wallah We Can" crée un cercle vertueux pour les plus démunis
- Le projet "Green School", le premier du genre dans le pays, vise à assurer des conditions de vie et d'études décentes aux élèves en garantissant une indépendance énergétique et une autosuffisance alimentaire dans les établissements scolaires.

Tunisia
AA/ Tunis/ Malèk Jomni
Dans de nombreuses régions défavorisées de Tunisie, les élèves sont confrontés à plusieurs inégalités sociales, économiques et environnementales affectant leur cursus scolaire et leur avenir. Ces inégalités sont souvent le résultat d'un manque de moyens financiers et de ressources pour investir dans des infrastructures éducatives de qualité et respectueuses de l'environnement, dans un contexte où la prise de conscience écologique devient de plus en plus importante.
Le projet "Green School", le premier du genre dans le pays et qui s'est concrétisé à travers un business model dans un collège-internat à Makthar (gouvernorat de Siliana/centre), vise à assurer des conditions de vie et d'études décentes aux élèves en garantissant une indépendance énergétique et une autosuffisance alimentaire dans les établissements scolaires. Les bénéfices générés sont réinvestis dans les infrastructures éducatives et récréatives pour leur offrir un environnement optimal.
C'est quand la Révolution avait eu lieu en 2011 que Lotfi Hamadi, un Tunisien né en France, avait décidé de revenir en Tunisie après avoir travaillé au Canada, convaincu que pour enraciner la démocratie, il faudrait participer au développement économique, avant de réaliser que les conditions indignes dans lesquelles vivent les enfants dans les zones démunies constituaient un problème bien plus profond et plus urgent à traiter. Et l'association "Wallah We Can" fut créée.
- Naissance de "Green school"
"Quand j'ai compris ce qu'était le vrai problème, j'ai lancé un mouvement qui veille à développer des projets entrepreneuriaux répondant à des problématiques sociales et environnementales afin de garantir aux enfants leurs droits à la santé, à l'éducation, à l'épanouissement et à la protection physique et juridique", a déclaré le président de "Wallah We Can" à Anadolu, ajoutant : "Sauf que pour avoir un impact durable sur le terrain de la justice sociale et des droits et s'assurer que les outils pédagogiques et didactiques sont fournis et que les travaux sont faits dans les temps, il fallait essayer d'avoir des solutions qui génèrent des profits et sortir de l'humanitaire en investissant dans l'enfance. Nous avons donc pensé à créer de la richesse grâce à l'autonomie énergétique et à l'autosuffisance alimentaire en plus des économies que nous faisons sur les factures d'électricité et d'achat de tout produit alimentaire pour la cantine et l'idée a ainsi vu le jour".
- Autonomie énergétique et à autosuffisance alimentaire
"Nous avons transformé notre projet pilote (le collège de Makthar qui compte 570 élèves) en entreprise sociale et nous avons travaillé, pendant 10 ans, sur la modélisation de cette solution : techniquement, nous avons commencé par l'installation de chauffe-eaux solaires pour garantir au moins trois à quatre douches par semaine aux internes alors qu'avant, ils n'avaient droit qu'à une seule douche par mois", raconte Lotfi Hamadi.
"Nous sommes partis, par la suite, sur l'autonomie énergétique et avons installé 140 panneaux photovoltaïques produisant 45 mille kilowatt par an. Cet établissement scolaire qui était endetté auprès de la Société tunisienne de l'électricité et du gaz (STEG), produit désormais sa propre énergie et celle de trois autres établissements." a-t-il affirmé, expliquant que la loi permettait de commercialiser 30% de son excédent énergétique mais cet excédent a, finalement, servi à rembourser la dette de ces écoles après négociations avec la STEG.
Et de poursuivre : "Nous nous sommes, ensuite, tournés vers l'autosuffisance alimentaire et avons pris des terres agricoles, identifié les parents d'élèves au chômage, les avons formés dans l'agriculture et testés sur le terrain puis nous avons créé à ceux qui ont résisté à la rigueur que nous avons imposée le long des 6 mois de formation durant l'année d'exercice, une société mutuelle de service agricole. Ils étaient chômeurs et ils sont devenus agriculteurs et agro-entrepreneurs dans une ferme qui produit entre 100 et 150 tonnes de fruits et de légumes par an, dont une partie est destinée à la cantine et le reste à la commercialisation. C'est grâce aux bénéfices que nous finançons la réhabilitation des écoles et les ateliers extra-scolaires des enfants".
"Nous attaquons, aujourd'hui, la phase 2 ou ce qu'on appelle la mise à l'échelle de la solution sur trois gouvernorats : Bizerte (nord), Siliana (centre) et Gabès (sud). L'idée ne représente aucunement un principe d'égalité entre les régions mais plutôt une volonté de tester la solution à l'échelle des trois étages bioclimatiques car il ne faut pas oublier que notre business model repose sur l'agriculture avec trois mégafermes. Une première de plus de 100 hectares à Bizerte, une deuxième de plus de 300 hectares à Siliana et une troisième d'environ 50 hectares à Gabès, l'objectif étant d'avoir, après la phase du test, une ferme agricole par gouvernorat et une ferme énergétique à Gabès qui va produire de l'énergie pour toutes les écoles. Les mégafermes sont des unités de production concentrant plusieurs dizaines, voire centaines, de milliers d’animaux sur un même site d'élevage", explique-t-il encore.
- Makthar, point de départ
"C'est par pur hasard que tout a commencé à Makthar : suite à une opération que j'ai effectuée en soutien aux hôpitaux en Tunisie et diffusée par une émission française qui avait parlé des équipements et du matériel que j'avais ramené pour les hôpitaux, un collège en France m'a contacté pour me dire qu'il souhaitait faire un jumelage. Le lendemain je me suis rendu à l'hôpital de Makthar pour demander s'il y avait une école à côté pour les mettre en contact avec l'établissement français en question et c'est là qu'ils m'ont orienté vers le collège qui s'est avéré être un internat. C'est d'ailleurs, ce jour-là que j'ai su pour l'existence des internats en Tunisie car je ne savais pas qu'il y en avait et surtout qu'on pouvait faire vivre des élèves dans des logements aussi insalubres. Le hasard a bien fait les choses car il s'agissait de l'un des pires internats de tout le pays", a souligné le président de "Wallah We Can".
- Défis et obstacles
"Nous avons été confrontés à tous les défis possibles et imaginables surtout sur le plan financier. C'était mon choix de faire de notre organisation une entité autofinancée pour plus de 10 ans car je ne voulais pas travailler avec des bailleurs qui imposent des solutions et des calendriers souvent contradictoires avec les objectifs durables. Nous avons préféré batailler pour négocier des partenariats avec des entreprises et avoir du soutien auprès des particuliers afin d'être libres et de prendre notre temps dans l'exercice d'une solution qui a un réel impact et un process, chose que nous n'aurions pas pu faire si nous nous sommes liés à des bailleurs qui viennent avec beaucoup d'argent et des solutions qui ne tiennent pas compte de la réalité du terrain", nous confie Lotfi Hamadi.
"Nous avons également rencontré des obstacles administratifs quand nous avions eu affaire à des ministères qui n'étaient pas très sensibles à notre solution durable et qui étaient trop occupés à discuter avec les bailleurs. S'ajoutent à cela les obstacles d'ordre humain puisque nous allons généralement dans des régions où la population s'oppose parfois à toute idée liée à une innovation ou à une prise de responsabilité. Il y a aussi le manque d'engagement des professionnels et des bénévoles, qui -souvent dans une culture conformiste- ont du mal à garder le rythme quand il s'agit de fournir beaucoup d'efforts sans voir les résultats dans l'immédiat", note-t-il.
Et d'ajouter : "C'est grâce à nos partenaires que nous arrivons à réaliser un projet qui est aussi important et notamment autofinancé. Il y'en a ceux qui nous fournissent du matériel électrique, ceux qui nous aident à installer les systèmes de goutte-à-goutte à la ferme et la liste est longue. Nous demandons à ce que d'autres entreprises collaborent avec nous puisque nous touchons à tous les domaines: bâtiments, agriculture et autres. Nous avons également besoin des citoyens pour qu'ils investissent avec nous dans ce projet destiné à améliorer les conditions de vie et des études des élèves".
- L'impact du projet
Le président de" Wallah We Can" est pour le moins fier de l'impact du projet ressenti à plus d'un titre. "L'impact du projet se ressent principalement au niveau de l'augmentation considérable des demandes d'inscription au collège chaque début d'année dans un pays où on est en train de parler de déscolarisation grimpante. Cette année il y a eu 80 demandes plus que la normale et du personnel administratif et des professeurs essayent à tout prix de faire mutation pour travailler dans notre collège modèle. L'impact se voit, en outre, à travers la fidélité des agriculteurs qui n'ont pas quitté le projet, tandis que d'anciens collègues qui ont précédemment abandonné le projet nous harcèlent aujourd'hui pour faire partie des nôtres à nouveau. Il y a aussi le degré d'engagement des élèves qui restent liés à l'établissement même après avoir quitté ses bancs. Chaima, qui était étudiante en droit, est devenue porte-parole de Wallah we can. Amani, qui est en 1ère année lycée fait partie des alumni et se rend au collège toutes les semaines pour voir si tout se passe bien dans les clubs, à titre d'exemple", relève-t-il.
Il convient de rappeler que la cheffe du gouvernement Najla Bouden avait reçu en date du 31 mars, le président de l'association qui a présenté le projet "Green School", pour que l'Etat l'accompagne dans le parachèvement des prochaines étapes de la mise à l'échelle. C'est ce qu'a écrit Lotfi Hamadi dans un post sur les réseaux sociaux.
A la question comment il qualifierait sa rencontre avec Bouden, Lotfi Hamadi a fait savoir qu'il n'avait pas d'adjectif en particulier pour le faire : "Nous attendons de voir la réalisation concrète de ce qui nous a été promis pour pouvoir juger. Je ne me fie qu'aux réalisations et pas du tout aux promesses!", a-t-il lancé.
Pour conclure, qu'il s'agisse de la Tunisie ou de tout autre pays dans le monde, nous ne devons pas, selon Lotfi Hamadi, accepter que des enfants soient victimes de la mauvaise gestion de l'Etat et des crises politiques et socio-économiques.
"Il faut permettre à tous les enfants, quelle que soit la situation du pays dans lequel ils se trouvent, d'avoir un accès gratuit et de qualité à la santé, à l'éducation et à l'épanouissement", tel était son mot de la fin.
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