Troupes françaises en RCA : Les dessous d'un retrait annoncé
- L’armée française va retirer ses derniers soldats de la Centrafrique d’ici la fin de l’année en cours. L’annonce a été faite le 7 octobre dernier par l’ambassadeur français en République centrafricaine.
Cameroon
AA / Peter Kum
Les dernières forces militaires françaises présentes en Centrafrique vont quitter le pays d'ici la fin de l'année. C'est l'ambassadeur de France à Bangui, Jean-Marc Grosgurin, qui a informé le ministère centrafricain de la Défense de la fin de la mission logistique (Mislog).
« L'annonce du départ a été faite, fin septembre, par Jean-Marc Grosgurin, ambassadeur de France à Bangui au ministre centrafricain de la Défense nationale, Claude Rameaux Bireau. Le diplomate français a annoncé le retrait définitif des 130 derniers soldats basés à l’aéroport international Bangui-Mpoko. Ainsi, pour la Représentation nationale, qui qualifie de légitime cette décision, il appartient aux autorités centrafricaines de prendre en main la sécurité de la population », a rapporté dans un article publié le 14 octobre dernier, le média centrafricain, Radio Ndeke Luka.
En Centrafrique, où l'armée française est intervenue à plusieurs reprises dans le pays -dans les années 1979-1981 avec les opérations Caban et Barracuda, de 1996 à 1997 avec les opérations Almandin I, II et III, en 2003 avec Boali, et en 2016 avec Sangaris- les autorités disent avoir "pris acte" de la décision du retrait des derniers militaires français du pays.
« Le gouvernement a pris acte de ce départ et à officiellement demandé, via la ministre des Affaires étrangères, que cela se fasse de manière coordonnée avec nos autorités », a relevé à l'Agence Anadolu, Steve Tongao, conseiller du Président centrafricain Faustin-Archange Touadéra.
A l’Assemblée nationale, le corps législatif estime aussi que c'est à la Centrafrique d'assumer sa propre sécurité et non aux partenaires extérieurs.
« Nous sommes arrivés à un moment où les Africains doivent prendre leur destinée en main. L’on ne peut jamais compter sur l’extérieur pour pouvoir assurer sa sécurité. S’agissant d’une coopération, à un moment donné, on s’assied et on l’évalue. C’est une question de partenariat gagnant-gagnant », avait affirmé Jean Sosthène Dengbè, président de la Commission défense à l’Assemblée nationale.
« Nous ne mettons pas les bâtons dans les roues des Français. S’ils voient que la présence russe les dérange et qu’ils se retirent, ce n’est pas au gouvernement de réagir. Ils sont libres et peuvent aller avec qui ils veulent. La RCA peut également choisir ses partenaires. Que l’Afrique se rende compte qu’elle est capable de faire quelque chose. Il faut dire à un certain moment que cette relation-là ne nous profite pas. Et si ça ne marche pas, on met un terme à ça », a poursuivi le député centrafricain.
- « Campagne d'intimidation systématique »
En France, on estime que des campagnes de désinformations sur les Français, la présence des paramilitaires russes de Wagner en Centrafrique entre autres, auraient motivé la décision de Paris d’évacuer ses dernières forces de la Centrafrique.
« La France fait l'objet depuis plusieurs mois d'une campagne d'intimidation systématique, orchestrée par des groupuscules proches de la Russie et du pouvoir en place à Bangui. Le 6 mai 2022, un nouveau pas a été franchi à l'initiative du groupuscule dénommé "plateforme de la galaxie nationale centrafricaine", par la publication sur les réseaux sociaux de plusieurs communiqués de presse et vidéos, appelant notamment à des manifestations devant notre ambassade et les bâtiments de l'Union européenne à Bangui, proférant des menaces physiques contre tous ceux qui viendraient à s'y opposer et exigeant "le départ sans condition des troupes françaises (mercenaires) basées à l'aéroport Bangui – M'Poko dans un délai de 10 jours, faute de quoi à partir du 17 mai 2022, des actions de grande envergure seront envisagées à leur encontre" », avait écrit le 7 juillet dernier, le sénateur français Christophe-André Frassa au ministère de l'Europe et des Affaires étrangères.
En réponse, le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères avait souligné que « la France poursuit un dialogue franc et exigeant avec les autorités politiques au plus haut niveau de l'État centrafricain. Elle condamne avec fermeté les exactions documentées commises par les mercenaires de Wagner qui interviennent en soutien au régime en RCA, ainsi que les stratégies d'intimidation et d'entrave à l'action des organisations humanitaires ».
Les autorités françaises avaient ajouté qu’« en l'absence de dialogue politique inclusif, et compte tenu de la poursuite des campagnes de désinformation, la France maintient la suspension de son aide budgétaire (10 M€) et de la coopération militaire bilatérale. Elle veille également à ce que ses projets humanitaires ou de développement ne puissent être détournés de leurs fins, ou instrumentalisés, afin qu'ils puissent bénéficier directement à la population ».
La classe politique et la société civile centrafricaine restent convaincues que les différentes campagnes anti-françaises en Centrafrique, ont poussé Paris à prendre la décision de quitter la Centrafrique.
« Je pense que c’est probablement en raison des campagnes anti-françaises menées par les groupuscules proches du régime de Touadéra avec la bénédiction de celui-ci, ainsi que des prises de position malheureuses de la ministre des Affaires étrangères qui conduit une diplomatie agressive sans en avoir véritablement les moyens », a indiqué à l’Agence Anadolu, Dr Henri-Blaise N’damas, enseignant franco-centrafricain.
« À mon avis, l’armée française a bien raison de partir, étant donné que sa présence n’est plus désirée », a-t-il ajouté.
- Le Gabon, nouvelle terre d’accueil des forces françaises
Les dernières troupes françaises de la Mission logistique (Mislog) toujours installée à l'aéroport de Bangui-Mpoko vont vider les lieux pour s’installer au Gabon car la Mislog dépend des Éléments français au Gabon (EFG), avaient annoncé les autorités françaises.
Le 4 novembre dernier, l’armée française en Centrafrique a procédé au « rapatriement des derniers VAB (Véhicule de l'avant blindé), de la Mission logistique Bangui (Mislog) », chargée d’assurer un soutien aux forces de l’Union européenne et aux militaires français insérés au sein de la force de l’ONU, a indiqué, le 5 novembre sur sa page officielle Twitter, la Mislog.
C’est « une manœuvre nominalement exécutée avec des moyens conséquents de l'armée de l’air française en liaison constante avec les autorités centrafricaines », a souligné la Mislog.
D’après les forces françaises en Centrafrique, cette « manœuvre logistique rapide et professionnelle » qui a débuté le 1er novembre à l’aéroport Mpoko de Bangui et qui s’est faite avec « plusieurs rotations » aériennes, « agit en transparence et en liaison avec les autorités centrafricaines ».
Selon le ministère français de la Défense, « avant chaque départ de convois de la Mislog, les contrôles et scellages de conteneurs sont effectués en étroite collaboration avec les gendarmes et douaniers centrafricains. Cela permet aux convois de circuler en toute transparence ».
Le démantèlement de la Mislog était demandé par le ministère français de la Défense, qui estime que ses moyens pourraient trouver une meilleure utilité.
- Instructeurs russes et soldats rwandais
En 2017, le Conseil de sécurité de l'ONU a approuvé une mission de formation russe en Centrafrique et levé partiellement l'embargo sur les armes imposé en 2013. Il faut noter que c’est en octobre 2017 que le Président Touadéra s'est rendu en Russie pour signer un certain nombre d'accords de sécurité avec le gouvernement russe. Ces accords comprenaient justement une demande de soutien militaire, en échange d'un accès aux importants gisements de diamants, d'or et d'uranium de la RCA.
Le Conseil de sécurité de l'ONU avait, en 2017, seulement accepté le déploiement de 175 formateurs russes pour l'armée locale. Aujourd’hui, les experts de l'ONU estiment qu’il pourrait y avoir plus de 2 000 instructeurs déployés par la Russie en RCA.
Salon un rapport publié le 30 août dernier par l’Armed Conflict Location and Event Data Project (Acled), une organisation non gouvernementale spécialisée dans la collecte, l'analyse et la cartographie de crise, depuis leur arrivée en RCA, ces mercenaires russes « ont agi indépendamment des forces étatiques dans au moins 50% des événements » au pays.
A la veille de la présidentielle 2020 en RCA, le Rwanda a également envoyé des troupes en Centrafrique, où ses soldats servant sous mandat onusien avaient été « pris pour cible par les rebelles » de la Coalition des patriotes pour le changement (CPC), avait a annoncé dans la nuit de dimanche 20 à lundi 21 décembre 2020, le ministère rwandais de la Défense.
« Le gouvernement rwandais a déployé une force de protection en République centrafricaine, dans le cadre d'un accord bilatéral de défense. Le déploiement est en réponse au ciblage du contingent des Forces de Défense du Rwanda (RDF) sous la force de maintien de la paix de l'ONU par les rebelles soutenus par (l'ancien président) François Bozizé », avait indiqué le ministère rwandais de la Défense dans un communiqué.
Aucun détail n'avait été donné sur la date du déploiement, le volume des effectifs déployés ou leur mission exacte.
Le gouvernement rwandais avait précisé seulement que les « troupes rwandaises contribueront également à assurer des élections générales pacifiques et sécurisées prévues le dimanche 27 décembre 2020 ».
Ces « alliés » des Forces armées centrafricaines (Faca) qui ont renforcé leurs effectifs dans ce pays en décembre 2020, y sont restés et ont réussi à chasser les groupes armés de plusieurs villes qu’ils occupaient jusqu’à là.
L’installation de ces alliés en RCA accompagnée par des campagnes anti-françaises, a vraisemblablement poussé la France vers la porte de sortie. Un départ qui ne semble pas déplaire au camp du Président Touadéra.
« La base aérienne qu'elles (les forces françaises, NDLR) occupent depuis 40 ans sans débourser un kopeck, nous allons la récupérer », assène Steve Tangoa, conseiller à la présidence centrafricaine dans sa déclaration à l'Agence Anadolu.
Malgré le départ annoncé des dernières forces françaises de la RCA, Paris avait relevé qu’elle maintenait son plein soutien à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en République centrafricaine (Minusca), dont le mandat a été renouvelé en novembre, avec des moyens accrus pour garantir l'accès humanitaire et le respect des droits de l'Homme dans le pays.