Togo: Blessé, on lave quand même sa dignité à la fête traditionnelle d'Evala
Dans le pays de Kabyè, lors d'un festival annuel, on procède à de chaudes empoignades pour passer à l’âge adulte et défendre la fierté territoriale au nom de la tradition
Lome
AA/Kara/ Alphonse LOGO
Evacué sur un brancard de fortune, Esso Pitassa ne pense qu'à une seule chose: revenir à l'arène, ce ring à ciel ouvert, en pays Kabyè, cette région naturelle du Togo, pour terrasser son adversaire sous les yeux approbateurs du Chef de l'Etat.
La scène semble venir tout droit d'une représentation cinématographique d'une ordalie moyenâgeuse. Pourtant, avec la présence, ce jour-là, de Faure Gnassingbé, président togolais, on est loin de l'image d'un chef d'Etat rendant justice sous un chêne.
Sous les yeux du fils Gnassingbé, enfant du milieu comme son propre père, la semaine est passée entre luttes traditionnelles; village contre village, quartier contre quartier ou entre coalitions de villages contre d'autres, toutes organisées pour défendre une fierté territoriale.
Alors que cette édition 2016 des luttes traditionnelles Evala arrive à terme en pays Kabyè, actuelle préfecture de Kozah (à plus de 400 km de Lomé), plusieurs jeunes lutteurs doivent être suivis par des médecins spécialisés pour des blessures graves causées par de chaudes empoignades. Mais cela ne semble pas déranger. Pourvu que la tradition soit respectée.
«C’est vrai que des gens sont très régulièrement blessés. On en voit encore des dizaines cette fois-ci qui doivent être pris en charge pour des soins parfois intensifs. Mais c’est la tradition chez nous. Il s’agit de démontrer la puissance d’un clan sur un autre» a expliqué à Anadolu Pitassa Makayo, l’un des responsables de la coalition Pya Hô avant d’ajouter que "même blessé, c’est une fierté pour chaque participant de revenir lutter pour laver sa dignité"
Plusieurs dizaines de jeunes après être violemment envoyés au sol, ont eu de graves blessures aux articulations, à l'issue d'une lutte traditionnelle dont la finalité consiste à renverser son adversaire. A la grande finale qui a opposé deux coalitions de villages, "les arbitres ne passent pas deux rounds sans faire appel aux services de la Croix rouge ou des sapeurs-pompiers pour une évacuation d’urgence vers une tente médicalisée disposée à 100 m du lieu de la lutte".
«Les Evalas [combattants prenant part à la lutte éponyme, ndlr] consacrent non seulement le passage de l’adolescent à l’âge adulte mais également l’affirmation de l’identité culturelle Kabyè. Sa finalité première est ‘’d’habituer le jeune durant trois ans de lutte à l’endurance, au courage, à la valeur et au stoïcisme dont l’aspect culturel est rehaussé par des sacrifices que l’initié doit consentir comme le jeûne, l’abstinence sexuelle et les scarifications qui sont les signes extérieurs de défenseurs de la cité » a confié à Anadolu le préfet de la Kozah le colonel Badibawu Bakali.
Remontant au 19ème siècle, ces combats reproduisaient la préparation des jeunes des villages à affronter les envahisseurs. Véritable moment de démonstration de force et de danse, la compétition laisse place à des liesses populaires chaque année avec un retour massif des natifs pour venir soutenir les plus jeunes jusqu'à la victoire dans chacun des 31 villages, dans des luttes organisés sur toute l'étendue de la préfecture de la Kozah.
"Dans cette lutte c’est la première victoire qui compte: quand un membre d'un village terrasse un adversaire d'un autre clan, on sait déjà quel camp a gagné, même si la lutte se poursuit encore pour deux autres heures. Cela n'empêchera pas des membres du clan vaincu de se prévaloir, individuellement, de certains victoires sur leurs adversaires" a déclaré à Anadolu Pitassa Makayo, l’un des responsables de la coalition Pya Hô qui était face à la coalition Lao jeudi dernier sur le grand stade de foot de la localité de Pya, elle même composée de huit village.
C’est la coalition Pya Hô qui s’est donc adjugée cette première victoire dans les deux parties de la lutte. Une folie de joie s’est emparée du stade.
«Autrefois, au temps du feu président Gnassingbé Eyadema, le père de l’actuel président de la République, c’est au cours des Evala que les braves sont choisis pour défendre la patrie en intégrant l’armée. Donc ces jeunes, au-delà de la preuve qu’ils font qu’ils peuvent défendre leur communauté et leur famille, continuent de lutter avec une telle hargne pour espérer trouver du travail dans l’armée» analyse Emmanuel Patassé, jeune cadre Kabyè interrogé à Kara par Anadolu.
Parmi la foule immense à Kara toute la semaine festive Evala, beaucoup de touristes Européens surtout français s’interrogent sur le degrés de violence qui marque ce passage à la socialisation des jeunes.
«Ça fait référence à ce qui se passe chez nous aussi. Je constate c’est très physique, un peu violent. Beaucoup semblent blessés. Est-ce que c’est vraiment utile d’aller jusqu’à se blesser pour grandir. Je continue à me poser la question. Moi ça me fait tout de même plaisir de voir les techniques des uns et les autres qui leur font gagner » a commenté Vincent Schaller, un touriste à la tête d’une délégation de jeunes Français de Strasbourg venus vivre ces chaudes empoignades à Kara.
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