Afrique

Sénégal: «JokkoSanté », ou la pharmacie communautaire virtuelle au service des populations

- Conçue par Adama Kane, un ingénieur sénégalais de 44 ans, cette application informatique web et mobile sécurisée permet un accès plus équitable aux remèdes, afin de mettre fin au gaspillage et à la circulation de faux médicaments.

Esma Ben Said  | 07.02.2018 - Mıse À Jour : 07.02.2018
Sénégal: «JokkoSanté », ou la pharmacie communautaire virtuelle au service des populations

Dakar

AA / Dakar / Wendyam Valentin Compaoré

Selon la Revue des dépenses de protection sociale 2010 -2015, publiée par la Banque mondiale, au Sénégal, 52% à 73% des dépenses de santé sont allouées aux médicaments, alors que 80% de la population active ne dispose pas de couverture médicale.

Et même lorsque les citoyens en disposent, la plupart du temps, les assurances ou mutuelles n’incluent pas les médicaments dans leurs offres.

Dans un tel contexte, la consommation des médicaments n’est ni contrôlée, ni optimisée.

Les médicaments non-utilisés s’accumulent dans certaines boîtes à pharmacie familiales jusqu’à péremption, tandis que d’autres sont vendus ou encore donnés sans aucun contrôle, alors que des personnes sont dans le besoin.

Face à la non-maîtrise de la situation, un ingénieur télécom sénégalais a mis au point une application afin de remédier à cette pathologie.

Il s’agit de «JokkoSanté», dont le nom est tiré d'un terme wolof, qui signifie "donner et recevoir", un système communautaire de dépôt, de stockage, de partage, et de financement croisé des médicaments.

«JokkoSanté» propose de faire passer la boîte à pharmacie de l’échelle familiale à l’échelle du département, de la région voire du pays. Ainsi, l’entreprise lutte contre l’automédication et la vente illicite de médicaments.

Le système est adossé à une application web/mobile qui permet d’effectuer toutes les transactions en toute sécurité avec l’implication, de bout en bout, de professionnels de la santé et en conformité avec les protocoles et procédures en vigueur, selon son concepteur Adama Kane.

«On est parti d'une idée simple. Etant donné que les gens en Afrique n'ont pas un accès équitable aux médicaments, on s'est dit qu'au lieu que chacun de nous ait une boîte à pharmacie chez lui, on crée une boîte à pharmacie qui appartienne à tout le monde», explique son concepteur, ancien ingénieur télécom du Groupe Orange, rencontré par Anadolu.

"si c'est un village, cette boîte à pharmacie appartiendra à tout le village, si c'est un quartier elle appartiendra à tout le quartier”, ajoute-t-il.

La start-up permet, ainsi, à ses clients de déposer des médicaments non utilisés auprès de centres de santé publics membres du réseau et de gagner ainsi, en fonction de leur valeur, un certain nombre de points, qui pourront être utilisées pour acheter d'autres produits pharmaceutiques.

Le principe est assez simple. L’on ramène ses médicaments en surplus et les points cumulés permettent d'en racheter d'autres.

«Si quelqu'un possède chez lui des médicaments non périmés et non utilisés, ou des boîtes non encore ouvertes, et bien, au lieu de les garder chez lui, il va les déposer dans la boîte à pharmacie qui se trouve dans un centre de santé. Et en échange, il gagne des points».

Par exemple, si vous déposez des médicaments d’une valeur de 5000 francs CFA ( 7,62 euros), vous gagnez 5000 points et plus tard, si vous avez une ordonnance, au lieu de payer avec votre argent, vous allez payer avec ces points”, explique Adama Kane.

Beaucoup de centres de santé au Sénégal ont adopté ce système de pharmacies communautaires. Dans l'hôpital d’enfants de Diamniadio, situé à une quarantaine de kilomètres de Dakar la capitale sénégalaise, ce sont les patients qui réapprovisionnement souvent la pharmacie, via l'application Jokko Santé.

- Ici, l’initiative a déjà fait ses preuves.

“Je dirai que Jokkosanté est un projet innovant et qui vient à point nommé pour la prise en charge des patients et surtout des cas sociaux, car vous savez, dans toutes les structures, la prise en charge des cas sociaux pose réellement problème", note Dr Djelen Diouf, responsable de la stérilisation à l'hôpital pour enfants de Diamniadio.

Il affirme : "Ici, un patient qui guérit de sa maladie peut prêter ou donner ses produits déjà achetés et non utilisés sous forme de points à un autre malade qu'il utilisera pour se procurer des médicaments dont il a besoin. C’est cette solidarité qui nous aide ici avec les cas sociaux”.

Il signale, tout de même, que l'origine des médicaments, leurs dates limites d’utilisation sont vérifiées et, surtout, la véracité de l'ordonnance, et le mode de conservation de ces médicaments.

Pour les personnes qui n’ont pas de médicaments à échanger, il est possible d’acheter un stock de points, mais aussi de se les faire offrir par un particulier qui n’en a pas besoin, ou par une entreprise partenaire sous forme de dons.

Aissatou Mbaye, mère de famille sénégalaise a adhéré à cette mutuelle de pharmacie. Et aujourd'hui, elle s'en félicite.

«Je remercie Dieu et aussi les concepteurs de cette application qui nous aide énormément. Elle nous évite beaucoup de difficultés en proposant des médicaments à des prix abordables».

«En plus, par le passé, tous les produits pharmaceutiques que j’achetais finissaient par périmer au fond de mon placard. Aujourd’hui, je les convertis en points que je réutilise pour d’autres ordonnances et vraiment j’en suis ravie», dit-elle à Anadolu.

Selon l'OMS au moins 100000 personnes meurent en Afrique à cause des faux médicaments.

Interpol a annoncé en août 2017 la saisie de 420 tonnes de produits médicaux de contrebande en Afrique de l'ouest dans le cadre d'une vaste opération qui a mobilisé la police et la douane de sept pays (Burkina, Bénin, Côte d’Ivoire, Mali, Niger, Nigeria Togo).

Pour Adama Kane, Jokko Santé, en offrant la possibilité aux populations d’échanger leurs produits contre des points et avec ce système de pharmacie communautaire d’entre-aide, peut lutter contre le trafic illicite des médicaments.

Les adhérents n’auront plus besoin de recourir aux faux médicaments.

Mise en service en février 2015 mais lancé officiellement en mars 2017, «Jokkosanté» compte actuellement environ 2000 utilisateurs sur son application, disponible sur smartphones et en version SMS pour les personnes n’ayant pas accès à internet sur mobile.

Son concepteur Adama Kane a déjà reçu plusieurs prix dont 150.000 dollars de financement grâce à l'African Entrepreneurship Award 2015 organisée par la BMCE Bank.

Il envisage désormais de lever 150.000 euros supplémentaires afin de se déployer sur une trentaine de sites dans tout le Sénégal.

Primé par l'Union Internationale des Télécommunications en octobre 2015 à Budapest, il est aussi en contact avec des gouvernements d'autres pays africains intéressés par l'idée.


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