Sénégal : Au deuxième jour de l’Aid-el fitr, les jeunes filles font la loi
A Dakar, aucun passant n’est autorisé à traverser les rues marquées par la présence de jeunes filles, sans s’être affranchi au préalable de quelques sous.

Dakar
AA/Dakar/Alioune Ndiaye
« Loolambé- koufi diar diokhé dereum (Loolambé- quiconque passe, donne le franc) ! ».
A chaque fin de ramadan c’est la même tradition : dans l’après-midi du deuxième jour de l’Aïd-el-fitr (Korité) plusieurs dizaines de jeunes sénégalaises prennent les rues d’assaut pour réclamer « un droit de passage» et n'hésitent pas à mettre en garde les plus téméraires qui oseraient traverser les ruelles de la capitale sans s’affranchir de quelques sous.
Au-dessus de leur tête, à quelque cinq mètres de hauteur, une ligne de pagnes sont noués bout à bout, soutenus par des mâts de circonstance.
Le check-point est vite installé et piétons, cochers ou encore conducteurs de voiture et de deux-roues n’ont qu’à bien se tenir !
A Rufisque, quartier traditionnel de Dakar, quelques fillettes s’activent.
« Les garçons nous ont aidé à monter la ligne de pagnes (attachés d’un côté à une branche d’arbre et de l’autre à un poteau de réseau téléphonique). On va leur donner juste deux cents francs pour le service rendu (0.4 USD) », lance, rieuse, Rama la plus âgée du groupe (12 ans).
La jeune fille rencontrée par Anadolu est vite interrompue : une dame et son fils viennent de franchir le « territoire sacré » s’attirant aussitôt l'attention de la « meute ».
En bon leader, Rama rejoint le reste de la bande. Sous les cris ininterrompus de « Loolambé-lombambé » la victime n’a eu d’autre choix que de débourser quelques sous pour pouvoir s’extirper du guet-apens.
Fière de cette « patrouille » Rama montre le butin : «une pièce de 100 francs » (0,17 usd) qu’elle s’empresse aussitôt de glisser dans sa pochette bleue portée en bandoulière.
« On a récolté pour le moment 1300 francs (2,23 usd). La somme va considérablement augmenter entre 17 et 18 heures car c’est à ce moment-là qu'on trouve le plus de gens dans les rues », a-t-elle assuré, prévoyant un pic de recettes pouvant « attendre 6000 francs (10 usd) à la fin des opérations ».
« Des gens se croient dès fois plus intelligents que nous. Ils simulent un appel téléphonique pour qu’on ne les retienne pas ou nous promettent de débourser au retour croyant ainsi pouvoir nous tromper », lance une petite effrontée de la bande qui s’est invitée à la discussion.
Dans pareil cas, l’indélicat passant se verra accorder le droit de traverser sous un tintamarre assourdissant de «wouw-wouw »,.
Entre l’arrêt du bus et la maison de ses parents situé à environ 700 mètres, Ndèye Loum qui revit à l’occasion « des souvenirs de son enfance » a déboursé 1500 francs (2,58 usd).
Vivant à Pikine (un département de Dakar) où elle s’est installée avec son mari, la quadragénaire est tombée sur « trois loolambé » et à chaque fois a remis « un billet de cinq cents francs (0.8 usd) ».
« C’est toujours une joie de redécouvrir cette pratique grâce aux quartiers populaires traditionnels qui la perpétuent », s’est-elle réjouie tout en regrettant « la disparition progressive » dans d’autres quartiers de cette pratique ancienne fortement ancrée dans la société sénégalaise.
Les plaintes ne manquent cependant pas à propos du loolambé. « Sortir dans la rue sans des pièces de monnaie est presque considéré comme un délit par les enfants. Il sera difficile d’arriver à destination à l’heure souhaitée surtout si on est pressé», s’est lamenté Cheikh Guèye, un passant.
Abdou Faye a pour sa part élaboré son stratagème. « Je prends des déviations pour éviter les loolambé car on ne sort pas indemne de la rencontre avec ces petites filles ! », confie le trentenaire.
« Certains ont tendance à emprunter un autre chemin en nous voyant au loin mais c’est peine perdu. Ils tomberont toujours sur d’autres groupes donc autant passer ici et donner », raconte Rama annonçant que « aucune somme n’est imposée aux passants ».
« Il suffit juste de donner ce qu'on peut et si notre hôte s’exécute on chante, danse et prie pour lui », soutient-elle.
Avant que l’appel à la prière de Timiss (4ème prière quotidienne au coucher du soleil) ne retentisse, elles auront ramassé les recettes et rejoint leurs maisons où elles se partageront en « parts égales » le butin.
Elles devront ensuite attendre le lendemain de la Tabaski (Aid-el-Kebir prévu le 1e septembre 2017) pour redevenir une nouvelle fois celles qui dictent la loi dans les rues.
Le Sénégal est composée à 95 % de musulmans, selon de récentes statistiques. Une communauté qui vit en paix avec les minorités.