Relations maroco-espagnoles : vers un partenariat stratégique malgré les tensions historiques
- Le 4 décembre, les deux pays ont signé 14 accords de coopération couvrant plusieurs domaines, dont la politique étrangère et l'économie
Rabat
AA / Rabat / Khalid Mejdoub
Dans un contexte marqué par l’engagement du Maroc et de l’Espagne dans des projets communs, tels que l’organisation de la Coupe du monde 2030 (aux côtés du Portugal) et le projet de construction d’un tunnel reliant les deux pays, premier du genre entre les continents européen et africain, les relations bilatérales connaissent une phase qualifiée de « bonne » par des responsables des deux pays, après une période de flou.
Récemment, les deux pays ont signé 14 accords de coopération couvrant plusieurs domaines, lors de la 13ᵉ réunion de haut niveau maroco-espagnole, tenue à Madrid.
Bien que le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, ait estimé que les relations bilatérales traversent une « phase sans précédent », il a néanmoins appelé à l’élaboration de solutions pour régler les dossiers en suspens, notamment les frontières maritimes et la gestion par Madrid de l’espace aérien du Sahara.
Le chercheur en relations internationales Nabil Al-Andaloussi a déclaré à Anadolu que les relations entre les deux pays connaissent leur meilleure période depuis des années.
Il souligne que les intérêts communs exigent des « compromis apaisés » pour traiter les dossiers en suspens, selon une approche de solutions progressives et cumulatives, plutôt que des réponses « conflictuelles et escalatoires ».
Al-Andaloussi estime qu’un changement de majorité politique à Madrid pourrait entraîner un « tension potentielle », mais exclut un retour à la crise structurelle passée, précisant que l’évolution des relations repose sur des intérêts imbriqués et non sur « l’humeur des gouvernements ».
- Accords
Historiquement, les relations entre les deux pays ont été marquées par des fluctuations, avec des périodes de tension liées notamment à la migration irrégulière, à la pêche maritime, aux différends sur la souveraineté des villes de Ceuta et Melilla, ainsi qu’aux positions divergentes concernant la question du Sahara.
La phase dite « grise » des relations se caractérisait par un manque de clarté des positions, en particulier la neutralité espagnole sur certains dossiers sensibles.
Le tournant majeur est intervenu en avril 2022, lorsque l’Espagne a annoncé son soutien à l’initiative marocaine d’autonomie pour le Sahara, la qualifiant de « base la plus sérieuse, réaliste et crédible » pour résoudre le conflit.
Cette position a mis fin à une grave crise diplomatique ayant duré un an, déclenchée par l’accueil en Espagne du chef du Front Polisario, Ibrahim Ghali, et a conduit à l’adoption d’une feuille de route commune.
Le 4 décembre, le Maroc et l’Espagne ont signé 14 accords de coopération dans plusieurs domaines, notamment la politique étrangère, l’économie, la justice, les transports, l’agriculture, la pêche maritime, l’éducation, la recherche scientifique, le sport, la migration et la surveillance sismique.
Al-Andaloussi explique que cette dynamique intervient « après la restauration de la confiance politique et le dépassement des malentendus et des tensions », couronnée par la reconnaissance espagnole du caractère marocain du Sahara et le soutien à l’initiative d’autonomie comme solution réaliste.
Selon lui, la signature de ces accords constitue un indicateur clair de la trajectoire positive des relations entre les deux monarchies.
Elle reflète également, selon le chercheur marocain, un passage d’une logique de gestion de crise à un partenariat stratégique opérationnel, couvrant des secteurs clés tels que la sécurité, l’économie, l’énergie et la migration, avec un niveau inédit de coordination politique.
- Dossiers en suspens
Ce tournant positif intervient malgré l’existence de dossiers sensibles et complexes entre les deux pays, enracinés dans l’histoire et touchant à des intérêts stratégiques.
Le 5 décembre, Nasser Bourita a qualifié les relations maroco-espagnoles de « sans précédent », au lendemain de la réunion de haut niveau entre les deux gouvernements à Madrid.
Dans un entretien accordé à l’agence espagnole EFE, il a insisté sur la nécessité de trouver des solutions aux dossiers en suspens, notamment la gestion de l’espace aérien au-dessus du Sahara et la délimitation des frontières maritimes au sud-ouest des îles Canaries et à l’ouest du Sahara.
Il a indiqué que les vols dans l’espace aérien entre Marrakech et Laâyoune ou Dakhla sont actuellement sous contrôle marocain.
Concernant les frontières maritimes, Bourita a exprimé l’espoir de parvenir à des solutions respectant les intérêts espagnols et les droits du Maroc, dans une zone riche en cobalt et en minerais rares.
Commentant ces évolutions, Al-Andaloussi estime que Rabat et Madrid ont compris l’importance stratégique de chacun pour l’autre, et que les intérêts communs imposent une gestion consensuelle des dossiers sensibles.
S’agissant de l’espace aérien du Sahara, il observe une avancée progressive reflétant une acceptation espagnole graduelle de la souveraineté marocaine, à travers des arrangements techniques évitant les tensions politiques internes.
Quant aux villes de Ceuta et Melilla, il les qualifie de « dossier explosif », soulignant que le Maroc adopte une stratégie de long terme, consistant à geler temporairement le dossier sur le plan politique sans renoncer à ses revendications, en privilégiant la retenue diplomatique.
Ceuta et Melilla, ainsi que les îlots Jaafarins et d’autres rochers en Méditerranée, sont administrés par Madrid, tandis que Rabat les considère comme des « présides marocains occupés ».
Concernant la migration irrégulière, Al-Andaloussi souligne que le dossier est passé d’une source de tension à un levier de coopération, depuis la feuille de route de 2022.
Cette évolution s’est traduite par l’interception par le Maroc de plus de 34 000 tentatives de migration irrégulière entre janvier et le 17 décembre 2025, selon les autorités marocaines.
Par ailleurs, le nombre total de migrants arrivés en Espagne par voie terrestre et maritime a diminué de 40,4 %, atteignant environ 36 000 personnes en 2025, contre plus de 60 000 sur la même période en 2024, selon un rapport espagnol couvrant la période du 1ᵉʳ janvier au 15 décembre 2025.
- Avenir des relations
Dans une démarche visant à approfondir le partenariat stratégique, le chef du gouvernement marocain, Aziz Akhannouch, a invité l’Espagne à lancer des projets communs au Afrique de l’Ouest, notamment dans les secteurs de l’électricité, de l’hydrogène vert et de la logistique, lors de la clôture du Forum économique maroco-espagnol.
Selon Al-Andaloussi, les relations bilatérales devraient connaître une stabilité relative, car elles reposent désormais sur des intérêts structurels partagés.
Il estime qu’un changement politique à Madrid pourrait générer certaines tensions, mais sans provoquer un retour à la crise structurelle passée, le soutien à l’initiative d’autonomie étant devenu une politique d’État plutôt qu’un simple choix gouvernemental.
Malgré les dossiers encore en suspens, les deux pays ont lancé depuis 2022 plusieurs projets communs, dont un projet de tunnel maritime de 28 kilomètres, à une profondeur de 300 mètres et pour un coût estimé à 15 milliards d’euros, ainsi que l’organisation conjointe de la Coupe du monde 2030 avec le Portugal.
Ces projets illustrent la transformation des relations maroco-espagnoles, passées de la tension à un partenariat stratégique, soutenu par des intérêts économiques et géopolitiques communs, malgré les différends persistants.
*Traduit de l'arabe par Wafae El Baghouani
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