Afrique

RDC : Moi, Alain, ex-enfant soldat

- Alain Uaykani regrette une partie de son enfance qui avait été « volée » en 4 ans d’exercice comme combattant au sein d’un groupe armé. Il se confie à l’Agence Anadolu

Fatma Bendhaou  | 06.09.2022 - Mıse À Jour : 08.09.2022
RDC : Moi, Alain, ex-enfant soldat

Kinshasa

AA / Kinshasa / Pascal Mulegwa

Crâne rasé, teint chocolat, les doigts posés sur un ordinateur, un anneau doré brille sur son annulaire … Le personnage falot que reflétait Alain Uaykani​​​​​​​, au début des années 2000 s’est effrité avec le temps. L’ancien enfant soldat, aujourd’hui trente-cinq ans, fait partie des rares de sa génération à faire une reconversion rapide et réussie. A Kinshasa, à plus de 2000 Kilomètres de sa ville natale, Bunia, capitale de la province de l’Ituri, Alain est une figure connue dans la presse congolaise. L’homme brille, fournit des dépêches, des reportages à la télé et intervient dans plusieurs médias anglo-saxons en tant que consultant sur des questions congolaises. Au début du XXIème siècle, Alain est encore un enfant.

« J’étais en troisième des humanités, j'avais à peine 14 ans », se rappelle-t-il encore. Sa province, l’Ituri est en feu. Un conflit foncier sur fond de rivalités ethniques pour le contrôle des richesses du sous – sol dont d’importants gisements aurifères, se transforme en guerre civile. Les combats avaient fait plus de 60 000 morts et 600 000 déplacés, selon Human Rights Watch (HRW). La folie meurtrière avait été rabougrie en 2003. Mais pour ceux qui comme Alain y ont laissé une part d'eux-mêmes, le souvenir est indélébile.

- Recruté de force 

L’Ituri, deux fois plus grand que l’Eswaiti ou le Rwanda, et six fois plus vaste que la Gambie était une poudrière. A l’époque, il n’était qu’un simple district de plus de 66 000 km² avant de devenir une province en 2015. La guerre civile à l’époque était complexe. Elle combine des conflits qui se sont développés après qu'un différend entre Hema et Lendu eut été exacerbé par les acteurs ougandais et aggravée par le vide sécuritaire et une guerre qui déchirait la RDC.

Chacune des deux ethnies disposait d’une branche armée. Alain est Hema, tout comme Thomas Lubanga, le leader de l'Union des Patriotes Congolais (UPC), le mouvement politico – militaire qui le recrute de force. Alain revenait de l’école, ce jour –là lorsqu’il est enrôlé. C'était en 2001.

« Ce n’était pas un choix. Ma mère étant Hema, j’ai été recruté par cette affinité. Le langage des assaillants était qu’il fallait exterminer les Hema. J’ai été amené en Ouganda pour une formation militaire et ensuite dans la région de Mandro », témoigne-t-il.

Alain se rappelle « qu’il y avait une menace sérieuse. Certains parents mettaient volontairement leurs enfants à la disposition des recruteurs. Ceux qui avaient 4 donnaient 1 pour l’autodéfense ».

L’UPC n’est pas le seul groupe armé à trainer des colonnes d’enfants dans les rangs. Tous les groupes ont recruté des enfants, certains âgés de sept ans, les soumettant aux risques et difficultés des opérations militaires.

Au fur et à mesure que la guerre s'intensifiait, le recrutement forcé des enfants a augmenté. Les observateurs ont alors décrit les forces belligérantes comme des « armées d’enfants ».

« Nous avons subi plusieurs formations dans notre carrière au sein de l’UPC. D’autres étaient amenés au Rwanda », témoigne Alain. Au niveau de la formation, ajoute –t-il, « ils ne faisaient aucune différence entre enfant et adulte. Ils nous mettaient tous sur un même pied d’égalité ». L’ex – enfant soldat ne nie pas des pratiques des corvées dans la milice, comme le fait pour les enfants de transporter des armes et munitions des troupes.

« C’était un moment très difficile. La formation militaire, c’est l’étape la plus ridicule de la vie d’un être humain. Entre le recrutement et la prise d’armes, vous n’avez aucun statut ... même si vous mourrez personne ne vous réclame, vous n’avez aucun droit, aucune réclamation... vous êtes contraint aux travaux forcés, des travaux manuels, physiques et corporels. Vous êtes soumis aux sévices corporels difficiles sans qu’on ne prenne en compte votre âge. C’est difficile de décrire ce que vous vivez en cette période », témoigne –t-il, se confiant à l'Agence Anadolu.


- « Mon enfance m’avait été volée »


Avec sa formation rudimentaire de quelques mois, le jeune de 14 est vite amené au champ de bataille. « Pour mon premier rôle, je me suis directement retrouvé sur le champ de bataille sur le tronçon qui va de la ville de Bunia à Mahagi. Nous avions pour mission de chasser tout groupe armé et récupérer l’Ituri des mains de l’APC de Antipas Mbusa Nyamwisi ».

La deuxième bataille, Alain la livre à Djugu, actuellement foyer d’autres violences similaires.

« La milice était composée en majorité par les jeunes, très jeunes, des enfants de mon âge, d’autres moins âgés que moi », raconte –t-il.

Issu d’une famille conservatrice et protestante, le jeune n’était plus recherché par ses proches. Sa famille non consentante n’avait plus de ses nouvelles. « Sur une trentaine d’enfants de la famille, j’étais le seul à me retrouver dans cette situation. Je peux dire que mon enfance m’avait été volé ; C’était difficile pour ma mère et toute ma famille. C’était une rébellion, il y avait des morts et ma famille était terrorisée de me savoir si exposé », nous raconte-t-il avec amertume.

Les familles « n’avaient pas non plus le droit de venir récupérer leurs enfants au sein de la milice. On était sous commandement », nous explique –t-il.

Au milieu de l'année 2002, le groupe armé parvient à prendre le contrôle de la ville de Bunia. En quelques mois, les rivalités internes vont primer. Et vers la fin de l’an 2002, le mineur est impliqué dans un conflit au sein de l’UPC.

Le groupe connaît des dissidences internes. « Je fais partie de ceux qui avaient fait défection en fin 2002. On va se rendre en Ouganda pour créer un contre-mouvement, le Parti pour l'unité et la sauvegarde de l'intégrité du Congo, PUSIC du chef Yves Kawa Panga Mandro avec comme objectif de contraindre l’UPC à ne pas étendre ses conquêtes dans la région », nous explique notre interlocuteur. Et c’est sous le label de ce groupe armé qu'Alain débarque à Bunia en 2005 pour déposer les armes.

« J’ai quitté le groupe armé au bon moment, en 2005. J’étais l’un des derniers des miliciens gradés à quitter le chef car je sentais l’envie de poursuivre mes études. Ma vie ne pouvait pas se réparer en dehors de l’école et de ma famille », nous raconte –t-il.

Il intègre le programme de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) piloté par la mission onusienne dans le pays (MONUC à l’époque). « C’était aussi la demande de l’ONU et notre chef. La pression de la communauté internationale était si forte sur nous. J’ai ensuite bénéficié de tous les programmes de réinsertion des ex – combattants », poursuit –il.

En 2006, Alain quitte Bunia grâce à « l’appui de la cour pénale internationale (CPI). J’avais exprimé cette volonté d’étudier, compléter mes humanités pédagogiques et ensuite je me suis fait inscrit à l’université (…) maintenant je vis de mes propres moyens, je suis devenu responsable ».


- « Eviter de mêler les enfants aux conflits armés »


Alain a beau tirer l’avantage d’apprendre l’anglais dans l’exercice au sein de la milice, car « la plupart de nos activités étaient basées en Ouganda » mais le passé est lourd, difficile à porter. Alain l’assume avec amertume et une dose de fierté.

« Je regrette beaucoup. Si pour moi, les choses se sont bien passées, beaucoup d'autres sont morts, d’autres sont devenus handicapés, personne ne s’occupe d’eux. Le conflit fait partie de la vie des humains mais s’il y a une chose qui doit être évitée c’est de mêler les enfants aux conflits quel que soit leur nature, plus particulièrement les conflits militaires », plaide –t-il.

La place d'un enfant, poursuit –il, « c’est à l’école, pas dans les milices. Je connais des milliers d’autres anciens enfants soldats qui n’ont pas eu la même chance que moi. J’ai eu la grâce d’être soigné, beaucoup de dégâts avaient été réparés dans mon corps, dans ma vie, mais d’autres ne savent pas par où commencer jusqu’à nos jours. Un enfant impliqué dans un conflit armé n’est toujours pas nécessairement récupérable. Si cela a fonctionné avec moi, ça ne fonctionne pas avec les autres ». Aujourd’hui, Alain fuit les regards des « mères de ces autres enfants qui étaient sous mon commandement et qui avaient été tués lors des combats ».

Parce qu'à un moment de sa triste carrière, Alain était commandant. « J'étais chef de sécurité. Je commandais certains sur terrain lors des combats, en ce moment –là, j’ai perdu beaucoup d’enfants qui étaient sous mon commandement. Même si je ne suis pas responsable d’une manière directe parce que moi-même j’étais victime, mais je vis avec ça. Quand je croise une maman qui sait que son fils avait été tué sous mon commandement, ça me fait de la peine. J'ai les mêmes séquelles que ces mères », nous confie-t-il.

Les effets de ce passé affectent toujours la vie de ce journaliste, ancien milicien. « Maux de tête, courbatures à cause des armes qu’on avait porté à bas âge. On a perdu beaucoup d’argent pour réparer les dégâts dans mon corps. J’ai encore des séquelles. Des fois, je passe une ou deux semaines avec des maux tête sans arrêt à cause du manque de sommeil lorsque nous étions combattants. Les séquelles sont là, les conséquences sont énormes », nous assure –t-il.

Mais l’histoire des belligérants de l’Ituri a vite évolué. L’ancien maître d'Alain Uaykani, Thomas Lubanga, fut le tout premier condamné de la CPI. Il a déjà purgé sa peine de 14 ans en 2020. Alain se revoit encore avec son ancien maître devenu politique et couvre de fois, ses conférences de presse à Kinshasa.

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