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RDC : Mobutu Sese Seko, le dictateur à la toque de léopard

Le 24 Novembre 1965, Mobutu Joseph-Désiré accède au pouvoir, à la faveur d’un putsch. Il se fera appeler « Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu wa Za Banga » : le guerrier qui va de victoire en victoire sans que personne ne puisse l’arrêter

Fatma Bendhaou  | 24.11.2021 - Mıse À Jour : 24.11.2021
RDC : Mobutu Sese Seko, le dictateur à la toque de léopard

Kinshasa


AA / Kinshasa / Pascal Mulegwa

C’était un jour ordinaire, un jeudi. Le calme régnait dans la capitale congolaise. Quelques commandos contrôlaient les points chauds et névralgiques de la ville. Théophile Mwanza, n’avait pas encore 20 ans, à l’époque. Il cumule le commerce et ses études supérieures.

Le 24 Novembre 1965, le général Mobutu Joseph-Désiré, 35 ans, accède au pouvoir, à la faveur d’un coup d’Etat militaire sans coup de feu, ni déferlante populaire. Ce passage n’avait étonné ni les diplomates, ni les rares journalistes de cette époque dans le pays, moins encore Théophile, aujourd’hui professeur d’histoires à l’université de Kinshasa.

« Tout était planifié. Les ingrédients étaient réunis. Déjà le 13 octobre de la même année, Mobutu qui était chef de l’armée venait de destituer le Premier ministre Evariste Kimba de son poste », explique l’historien et témoin.

Mobutu est une autre signification de la ruse. Déjà en septembre 1960, plus de deux mois après l’indépendance, il fomente son premier coup d'Etat.

« Chers compatriotes, ici c’est le colonel Mobutu Joseph, chef d’état-major de l’armée nationale congolaise, qui vous parle de Léopoldville (aujourd’hui, Kinshasa). L’armée nationale congolaise a décidé de neutraliser le chef de l’État (Joseph Kasa-Vubu, premier président du pays) jusqu’à la date du 31 décembre 1960. Il ne s’agit pas d’un coup d’État militaire, mais plutôt d’une simple révolution pacifique. L’armée va aider le pays à résoudre ses différents problèmes qui deviennent de plus en plus aigus », avait déclaré Mobutu sur les ondes de la radio d’Etat pour annoncer la « neutralisation » de l’Exécutif.

Le général, un ancien enrôlé dans la Force publique (l’armée du Congo belge) étant passé par le journalisme, avant d’être propulsé brutalement dans la hiérarchie de l’Armée, précisait encore que le coup d'Etat a été décidé mercredi au cours d'une réunion d'officiers supérieurs, « étant donné l'impuissance du gouvernement d’Evariste Kimba ».


- La fin tragique de Lumumba

Dans les hauteurs de l’université de Kinshasa, le professeur Théophile Mwanza rumine les contenus du discours de Mobutu, sourire aux lèvres. Les écrits sont contenus dans une vieille farde classée au bas d’une rangée des colonnes de son bureau.

« Même après la neutralisation de l’Exécutif, ce qui était à mon sens le premier coup d’Etat, Mobutu n’avait pas pris officiellement le pouvoir. Il était rusé. Il avait placé le premier ministre Patrie-Emery Lumumba en résidence surveillée. Ironie de l’histoire, on sait tous que Lumumba était son mentor politique car il l’avait nommé à la présidence au sein du premier gouvernement congolais comme secrétaire », raconte le professeur.

La course de Lumumba avait été écourtée sur la terre. Après avoir tenté de s’évader pour Stanleyville (actuellement Kisangani), il sera arrêté, puis transféré le 17 janvier 1961 dans le Sud -est du pays, au Katanga.

C’était le jour de son assassinat qui est resté secret pendant environ un mois, avant que les autorités n'annoncent qu’il a été tué par des villageois après s’être évadé de détention. « Mobutu avait ensuite réinstallé Kasa-Vubu à la tête du pays, tout en gardant le commandement de l’armée car il voulait riposter face à une rébellion menée par des sécessionnistes fidèles à Lumumba. Cette guerre n’avait pas pris fin de sitôt. Mobutu passa 4 bonnes années de guerre jusqu’à sa prise de pouvoir officielle, le 24 novembre 1965. Pendant ce temps, nous pouvons considérer que Kasavubu était comme un Président de façade, protocolaire, sans pouvoir », relate l’historien. Mobutu affirmait avoir « mis fin au chaos indescriptible, aux rébellions et avoir forgé une nation », se rappelle le professeur. Une fois au pouvoir, Mobutu n’avait pas hésité de fermer les ambassades soviétique et tchécoslovaque, les accusant d'ingérence du fait de leur soutien à Lumumba.


- Naissance du Zaïre

Le putschiste s’est ensuite appuyé dès 1967 sur son parti-Etat, le Mouvement populaire de la Révolution (MPR). Il renomme le pays Congo, puis République du Zaïre en 1971 et procède à la « zaïrianisation », nationalisant les biens des entreprises étrangères et plaçant des nationaux à la tête de toutes les grandes entreprises et industries. Il a échangé son nom de baptême chrétien par celui de « Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu wa Za Banga » qui signifie « le guerrier qui va de victoire en victoire sans que personne ne puisse l’arrêter ».

Mobutu transforme le pays en dictature. « Il se dote dès novembre de pouvoirs spéciaux. En décembre, les partis politiques sont supprimés, la compétence des tribunaux militaires est élargie. Je me rappelle qu’un certain 23 mars 1966, il s’est attribué le pouvoir législatif, désormais le Président de la République est élu au suffrage universel. Le Parlement ne joue plus aucun rôle. C’était l’installation de la dictature », affirme l’historien.

Il avait apporté d’autres pseudo réformes en 1970, les syndicats avaient perdu leurs autonomies, les fédérations de jeunesse et d’étudiants sont toutes regroupées au sein de la Jeunesse du MPR et personne n’avait droit de faire grève ». Début novembre 1970, Mobutu brigue seul sa succession et obtient 10 131 699 voix contre 157. « C’était atypique. En fait après compilation, les gens se sont rendus compte qu’il y avait plus de bulletins en faveur du président que d’électeurs », raconte Théophile.


- Le début de la fin

Le Président est gâté par la nature. Il profite du boom économique des matières premières pour construire les infrastructures et dilapider les caisses de l’Etat. Son règne a été marqué par la corruption, des détournements des biens publics et la répression des opposants. C’est en 1990 que Mobutu Sese Seko décrète la fin du MPR qui dirigeait le pays sans partage depuis 1967. C’était le début de « l’expérience du pluralisme politique », un long et périlleux processus de démocratisation du pays.

Mobutu avait été chassé du pouvoir le 17 mai 1997, fuyant l’arrivée à Kinshasa d’une rébellion, l’Alliance des Forces démocratiques de Libération du Congo (AFDL, soutenue par le Rwanda et l’Ouganda), née quelques mois plus tôt dans l’est du Zaïre, aussitôt rebaptisé République démocratique du Congo (RDC) par son nouveau président, Laurent-Désiré Kabila.

Le contrôle de l’immense pays de plus de 2, 345 kilomètres carrés passe d’un putschiste à un rebelle. Mobutu quant à lui, s’exile ainsi après 32 ans au pouvoir. Il meurt le 7 septembre 1997 au Maroc d’un cancer de la prostate. Sa dépouille repose encore dans le carré chrétien du cimetière de Rabat.

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