Afrique

RDC : « Machine à voter» ou machine à « tricher » ?

- L’opposition redoute une manœuvre pour reporter, encore une fois, les élections du 23 décembre

Lassaad Ben Ahmed  | 07.03.2018 - Mıse À Jour : 08.03.2018
RDC : « Machine à voter» ou machine à « tricher » ?  ( Stringer - Anadolu Ajansı )

Kinshasa

AA / Kinshasa / Pascal Mulegwa

Avec son écran tactile, elle n’est pas compliquée, facile à utiliser mais pourtant impossible, pour certains, de s'y fier.

Elle, c'est "la machine à voter", objet depuis plusieurs semaines, de toutes les polémiques en République démocratique du Congo (RDC).

Lors des élections générales prévues le 23 décembre prochain, tout ce qu’il faudra, pour faire son choix, a récemment expliqué, lors d'une conférence de presse le rapporteur de la commission électorale national indépendante (Céni), Jean-Pierre Kalamba, c’est de toucher la photo de son candidat sur l’écran.

La machine imprime alors le nom choisi au dos du bulletin de vote que l’électeur va ensuite plier et glisser dans l’urne.

Il est possible d'annuler son choix, en cas d'erreur.

La "machine à voter", fabriquée en Corée du Sud, qui se présente sous la forme d'un simple écran tactile, fonctionne en français, langue officielle du Congo-Kinshasa, et non pas dans les quatre langues nationales de cette ancienne colonie belge, indépendante depuis 1960.

Dans un pays où plus de 80 % des citoyens n’ont pas accès à l’électricité, la commission électorale compte sur des "groupes électrogènes et l’électricité" dans certains cas et des "panneaux solaires" pour d’autres cas, selon Kalamba.

La machine tombe en panne ? "Nous avons prévu des machines supplémentaires de secours", rassure le président de la commission, annonçant le lancement d’une "vaste campagne" de sensibilisation sur l’utilisation de cet outil.

"Mais qui l’a inventé et pour quelle finalité ?", s’interroge l’opposante Eve Bazaiba secrétaire générale du mouvement pour la libération du Congo (MLC).

Le président congolais"Joseph Kabila et la commission électorale préparent une fraude pour maintenir leur clan sur le rail", affirme à Anadolu Bazaiba qualifiant l'engin informatique de "machine à voler" ou alors "à tricher".

"Ce n’est pas une machine à tricher" mais "une machine à simplifier et à réduire le coût des élections", avait assuré le rapporteur de la commission électorale, lors de la présentation de la machine à la presse.

"La thèse de la tricherie est une distraction", selon le rapporteur, qui affirme que la machine à voter a pu réduire de 554 millions de dollars à environ 432 USD, les coûts des scrutins.

"Cette machine nous aidera à réduire sensiblement la dimension du bulletin de vote pour les trois scrutins (présidentiel, législatif et local) du 23 décembre, mais aussi le temps de vote", ajoute Kalamba, soutenant que son utilisation est "irréversible".

"Sinon", prévient-il "il faudra accepter de perdre des millions de dollars et oublier des élections cette année pour ne pas utiliser ces machines".

Une seule machine permettrait d’assurer le vote de "600 à 700 électeurs", pratiquement, il en faudra pas moins de 60 000 unités pour les 46 millions d'électeurs recensés sur le territoire national.

S'il faut recourir aux bulletins papiers, les élections ne seront organisées qu’en Juin ou Juillet 2019, estime le vice-président de la commission électorale (Ceni) Norbert Bashengezi, joint par Anadolu.

- Vers la contestation électorale

En RDC, les résultats électoraux sont régulièrement contestés par l’opposition qui n’a jamais remporté la magistrature suprême depuis la démocratisation de ce pays à partir des années 90.

La machine peut afficher les résultats (nombre des votants, taux de participation, voix pour chaque candidat), mais "pour éviter toute suspicions, la commission a choisi de faire le dépouillement de façon manuelle comme d’habitude, question de prouver aux détracteurs que ce n’est pas un vote électronique (…) L’enjeu est la réduction de la taille du bulletin", se défend Bashengezi.

L’opposition congolaise a déjà rejeté l’utilisation de cette machine, dont la non-utilisation pourrait justifier un nouveau report du triple scrutin du 23 décembre.

Au terme de leur dernière assemblée générale à Kinshasa, les évêques catholiques ont invité la commission électorale à "lever l’équivoque et les suspicions autour de la machine, en acceptant sa certification par des experts nationaux et internationaux".

La polémique autour de cette machine "augure la contestation des résultats", ont estimé, dans différentes déclarations à la presse, les évêques catholiques, très écoutés et respectés dans ce pays où l’Eglise est à couteaux tirés avec le pouvoir depuis fin 2017.

"S'obstiner sur cette voie ne peut que conduire à des élections contestables et à de nouvelles crises", selon les évêques.

L'utilisation de cette machine est "une prise de risque colossal", selon les Etats-Unis qui souhaitent le recours à "des bulletins en papier pour qu’il n’y ait pas de doutes sur le résultat", a déclaré mi-février l’ambassadrice américaine à l’ONU, Nikki Haley, lors d’un débat général sur la RDC au Conseil de sécurité.

La Grande-Bretagne avait prévenu, lors du même débat, qu’il "y a risque de violence à grande échelle et d'instabilité dans la région des Grands-lacs si les élections ne sont pas crédibles aux yeux du peuple congolais".

La Côte d'Ivoire avait, quant à elle, mis en garde contre "le risque d'élections mal préparées", tandis que les Pays-Bas, ont respecté la décision de la Ceni de recourir à un système électronique tout en lui demandant "de tester rigoureusement" le matériel avant les scrutins.

Très critiquée pour sa complaisance dans la crise congolaise, l’Union Africaine (UA) avait recommandé à la Ceni de "poursuivre un travail rigoureux de sensibilisation" sur ce système avant les élections.

Une stratégie du pouvoir ?

Des cas avérés de falsification des résultats ont été démontrés à travers le monde, selon un article (publié en 2006) par un média néerlandais qui détaille une série de failles que des chercheurs déclarent avoir trouvées sur une machine utilisée aux Pays-Bas, en Allemagne, et en France.

"N’importe qui, ayant un accès bref aux périphériques, à n’importe quel moment avant une élection, peut obtenir un contrôle complet et pratiquement indétectable des résultats de l’élection", selon une équipe de chercheurs, prévenant que "tout peut être manipulé", mais que cela est bien plus difficile qu’avec des bulletins papier".

"L’avènement de cette machine est une stratégie imposée par Kabila (…) sachant qu’elle sera rejetée pour justifier un nouveau report d’élections", a déclaré à Anadolu, Jean-Marc Kabund, secrétaire général du parti historique d’opposition (UDPS).

"Nous ne connaissons pas l’adresse du fabricant de ces machines, les sous-traitants, (…) aucune idée sur la fiche technique complète de l’outil", s’inquiète Kabund.

Le député Martin Fayulu, farouche opposant chargé de mobilisation au sein de la géante plateforme de l’opposition congolaise, le Rassemblement, a estimé, auprès d’Anadolu, que le chef d’Etat congolais "veut créer une autre forme de crise".

"Sans son départ, il n’y aura pas de bonnes élections dans ce pays", affirme-t-il réclamant avec insistance une "transition sans Kabila avant les élections".

Rejetée par l’opposition, l’usage de cette machine est "une proposition de la commission électorale au gouvernement", avance le chef adjoint de la majorité présidentielle, Joseph Kokonyangi interrogé par Anadolu à Kinshasa.

"Aucune stratégie du pouvoir dans cette affaire car nous sommes en train d’exiger aussi de la commission électorale une certification de ces machines (…) l’opposition peut aussi tricher", réplique ce cadre du pouvoir.

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