RDC : L'Église mène la contestation contre un éventuel troisième mandat de Kabila
- Le dépôt des candidatures à l'élection présidentielle sera ouvert le 25 juillet et se poursuivra jusqu'au 8 août.

Congo, The Democratic Republic of the
AA / Kinshasa / Pascal Mulegwa
Dans six mois, le 23 décembre 2018, les Congolais seront appelés aux urnes pour élire leur nouveau Président.
Une élection qui devait avoir lieu depuis décembre 2016, mais elle a été reportée une première fois pour des raisons financières, puis une deuxième fois pour des raisons sécuritaire.
Selon la Constitution congolaise, le président en exercice doit rester en poste jusqu’à l’élection d’un nouveau président. Sur cette base, Joseph Kabila, au pouvoir depuis 18 ans, continue de diriger le pays malgré l'expiration de ses deux mandats légaux, fin décembre 2016.
Et il ne peut pas prétendre à un nouveau mandat, sauf en modifiant la Constitution.
Sur ce point, Kabila, 47 ans, maintient le flou. Son clan a même multiplié les ballons d’essai, suscitant inquiétudes, remous et moult réactions, aussi bien en RDC qu’ailleurs.
Dans ce climat d’incertitude, l’Eglise catholique a pris les devants de la contestation d’un éventuel troisième mandat pour Kabila.
"Pas de révision constitutionnelle" ou "pas de troisième mandat présidentiel", plaide-t-elle, pesant de tout son poids.
"Nous l’assumons, on ne veut pas de troisième mandat dans ce pays, le soutenir c’est insensé. L’Eglise est contre et va rester intransigeante en ce sens", déclare l’abbé Donatien Nshole, secrétaire général de la conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco).
Dans les rues de Kinshasa, capitale de la RDC, le Conseil de l'apostolat des laïcs catholiques du congo (Calcc), une structure dépendant de l’Eglise, a placardé des affiches anti-troisième mandat de Kabila pour "avertir que le peuple ne va pas tolérer une telle bêtise", poursuit Nshole au micro d’Anadolu.
Dans le camp opposé, le parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), au pouvoir, a brandit ces dernières semaines des banderoles estampillées "Joseph Kabila, notre candidat".
A cela s’ajoute une thèse présentée par un chercheur sur la nouvelle éligibilité de Kabila lors des meetings du PPRD.
Entre-temps, la tension a tendance à monter au fur et à mesure que l’échéance approche et à chaque fois qu’on franchit une nouvelle étape dans ce processus électoral, pourtant incertain.
Dans un mois, à juste titre, un nouveau pas sera franchi dans les préparatifs des élections législatives, provinciales et la présidentielle, avec l’ouverture des candidatures du 25 juillet au 8 août.
- Scandale
Au siège de l’épiscopat, par exemple, des banderoles anti-troisième mandat ont été étalées. Mais elles ont été détachées, samedi dernier, par le maire de la commune de Gombe (la plus huppée de Kinshasa) Doly Makambo, qui a accusé l’Eglise d’afficher des messages "subversifs".
"C’est un scandale. Le siège de la Cenco se trouve dans l’enceinte de la nonciature qui est une représentation diplomatique (du Vatican), personne ne peut y entrer par la force et faire ce qu’il veut", a réagi le prêtre catholique, menaçant "d’aller en justice" contre le maire, "s’il ne demande pas pardon aux Congolais et à la sainte Eglise".
Il y a lieu de marquer un changement important dans la position de l’Eglise. Après avoir joué le rôle de médiateur dans la crise politique que traverse le pays, l’Eglise catholique, qui a toujours joué un rôle politique et social au Congo–Kinshasa, est passée au cœur de la contestation.
Elle a d’abord organisé par le biais du comité laïc de coordination (CLC) trois marches (31 décembre 2017, 21 janvier 2018 et le 25 février) pour pousser le chef de l’État, resté mutique sur son avenir politique, à déclarer publiquement qu'il ne sera pas candidat à un troisième mandat.
L’Eglise demandait également la libération des prisonniers politiques, tels que prévu par l’accord de la Saint-Sylvestre, conclu entre le pouvoir et l’opposition sous la médiation des évêques catholiques en décembre 2016.
"Tenter un troisième mandat plongera certainement le pays dans une vaste crise que personne ne saura régler dans ce monde", selon Me Georges Kapiamba, président de l’Association congolaise pour l’accès à la justice (Acaj), joint Anadolu.
Arrivé au pouvoir après l'assassinat de son père (Laurent Désiré Kabila) en 2001 à Kinshasa, Joseph Kabila élu en 2006 puis réélu en 2011, a théoriquement achevé son deuxième et dernier mandat le 19 décembre 2016, a-t-il rappelé.
Toutefois, la non tenue des élections dans les délais convenus, lui a permis de rester au pouvoir jusqu’à ce jour.
- Front diplomatique
Ces accords "ont reçu la bénédiction de l'Eglise. Tout ce qui est béni doit être respecté", a affirmé récemment à Paris le président en exercice de la Communauté des États d’Afrique australe (SADC) Joao Lourenço.
Lors d’une conférence de presse commune avec le président français Emmanuel Macron, ils ont accentué la pression sur le président Kabila, réitérant, dans la foulée, leur soutien à ces accords (du 31 décembre 2016) qui prévoient la tenue des élections le 23 décembre, sans la participation de Kabila.
Ils ont également estimé que la présidentielle en RDC aura un impact sur toute la région.
La RDC s’étend, en effet, sur un grand territoire au centre du Continent. Elle est entourée de neufs pays qui redoutent qu’en cas de sollicitation d’un troisième mandat par Kabila ou d’un nouveau report de la présidentielle, il y aurait débordements de violences et des mouvements rebelles.
Pour ce faire, un front diplomatique est entré en action. Avant le chef d’Etat angolais, le président du Rwanda et président en exercice de l’Union africaine (UA) Paul Kagamé, qui entretient des relations tendues avec Kinshasa depuis 20 ans, a rencontré le président Macron.
Le chef de l’Etat français avait affirmé son soutien à "l’initiative prise par le président du Rwanda Paul Kagame, en lien étroit avec le président angolais Joao Lourenco sur la crise politique en RDC", selon un communiqué.
Cette initiative "est une grande inconnue", avait réagi Kinshasa dans un communiqué.
Le gouvernement de la RDC par le biais de son porte-parole, avait par la suite, dénoncé un complot à "ciel ouvert", en France, contre sa souveraineté et a mis en garde les pays africains, notamment ses voisins, qui "s'hasarderont à servir de ponts pour déstabiliser" la RDC "avec le concours des puissances non-africaines".
- Un procès d’intention
Cela étant, dans les rangs de la majorité présidentielle, la thèse d’un troisième mandat "n’est pas à l’ordre du jour", s’est défendu le porte-parole de la majorité présidentielle Alain Atundu, joint par Anadolu.
"L’éventualité d’un troisième mandat est un procès d’intention fait au chef de l’Etat. Il a promis qu’il respectera la constitution", a ajouté Atundu.
Le porte-parole du gouvernement a déjà assuré, lors d'une récente conférence de presse, que Kabila "restera le chef de la majorité présidentielle" après les élections du 23 décembre que "nous avons l'intention de gagner".
Dans ce bras de fer, l’opposition qui n’a jamais réussi à mobiliser les populations, depuis la mort de son leader historique (Etienne Tshisekedi), début février 2017 à Bruxelles, s’est effacée de la rue et restée divisée.
Une frange exige une transition sans Kabila pour des élections après son départ cette année, tandis qu’une autre se prépare pour le triple scrutin du 23 décembre.