RDC: Kanyanda, l'albinos qui veut briser les préjugés
Les croyances très répandues considèrent qu’un albinos «est un sorcier, porte-malheur, il disparaît à sa mort, il est inapte mais ses dents peuvent enrichir… »

Congo, The Democratic Republic of the
AA/Kinshasa/Joseph Tsongo
Etre un albinos en République démocratique du Congo, c'est "comme être noir dans un pays nordique" où tout le monde est blanc de peau, aux cheveux blonds. On ne passe guère inaperçue.
L'albinisme est, selon les scientifiques, une particularité génétique héréditaire qui affecte la pigmentation et se caractérise par un déficit de production de mélanine qui donne le teint de la peau.
Une particularité pourtant vécue comme un véritable enfer pour de nombreux albinos en Afrique.
David Kanyanda, un quadragénaire congolais, en fait quotidiennement les frais.
Pourchassé comme tant d’autres albinos à cause des préjugés liés à la couleur de sa peau, David Kanyanda a survécu et mène, depuis belle lurette, un combat difficile pour se faire accepter, raconte-t-il à Anadolu.
Exerçant de petits commerces, il essaye également de tout faire pour changer la perception négative qu’ont les villageois des personnes albinos comme lui.
Trapu, le regard perçant, marié et père de quatre enfants, David est un homme avenant. Il tient une officine pharmaceutique à Nyakakoma, localité de pêche frontalière avec l’Ouganda dans la province du Nord-Kivu.
Tout de suite, la conversation s’installe : «Quand j'étais jeune, je mettais du cirage pour essayer de noircir ma peau», rappelle-t-il avec humour. Il voulait ainsi, se souvient-il, se protéger des attaques liées aux préjugés qui circulent au sujet des albinos dans l’Est de la République démocratique du Congo.
«Tu as un jour vu la dépouille d’un albinos ?» interroge-t-on souvent, quand on parle des personnes albinos comme David Kanyanda.
«Ils ne sont pas humains comme nous et ne meurent jamais…ils disparaissent», explique une villageoise croisée dans les rues de Nyakakoma. Elle confie également qu’une mèche de cheveu d’un albinos accrochée à un filet de pêche apporte plus de chances d’attraper des poissons ou plus de chance de réussir à l’élève qui le noue à son stylo…
Avec ces croyances et tant d’autres bien ancrées dans cette société, les personnes albinos vivent en insécurité dans cette partie du pays.
Des préjugés qui font mal et poussent à l’isolement
«Mon petit bonhomme (son garçon), albinos comme moi, a été pris en otage il y a quelques années et a depuis disparu », indique, nostalgique, David Kanyanda qui attribue ce forfait aux hommes de son village : «c’est sûr» ajoute son épouse : «je crois qu’ils l’ont déjà tué parce qu’ils l’accusaient souvent de sorcellerie disant que ses yeux brillaient la nuit comme celui d’un chat-sorcier.»
Les préjugés ont poussé plusieurs albinos à l’isolement. En 2012 par exemple, David Kanyanda dit avoir été pourchassé parce que les gens disaient que les dents d’un albinos coûtaient très cher : «des jeunes gens armés de machettes m’avaient attaqué et tout d’un coup ils m’ont arraché trois dents», explique-t-il, indiquant qu’il avait pu s'échapper, mais non sans quelques blessures.
La naissance d’un bébé albinos peut constituer une source de conflit dans une famille : « lorsqu’il a appris la nouvelle, mon mari m’a abandonné disant que c’était pour lui une honte d’avoir un enfant albinos» raconte, Kahindo Bitofé, mère d’un petit garçon albinos.
Kanyanda affirme, par ailleurs, que des albinos comme lui sont toujours attaqués ou obligés de fuir leurs demeures, les uns sont morts ou portés disparus comme son fils et d’autres continuent de subir les sévices dont ils sont victimes, seulement à cause des idées que les gens se font de leurs organismes.
Afin de protéger ceux qui, comme lui, sont nés albinos, le père de famille a initié dans son village une association à but non lucratif dénommée APA (action pour la promotion des albinos), pour sensibiliser et changer la perception négative que les gens ont des albinos.
«Nous passons un peu partout, même en dehors de notre localité pour dire ce message : les albinos sont des personnes comme nous et non des sorciers…ils n’ont manqué que de la mélanine qui rend la peau noire», explique Mbugheki Kambale enseignant de biologie et membre de l’APA, qui, lui, n'est pas albinos.
Kanyanda, albinos débarrassé de tous complexes
Les yeux très pâles avec parfois un léger reflet rouge, Kanyanda, n'a désormais que faire de ce qu'on peut dire de lui. Les villageois qui achètent des produits pharmaceutiques dans son officine se moquent de lui et le traitent très souvent de «Kamzungu-nusu», qui signifie en français «un demi-blanc», chose dont il s'amuse, dit-il.
Reconnu pour sa simplicité et son esprit de solidarité, il parvient, malgré tout, à bien gagner sa vie avec cette entreprise et offre des conseils d’hygiène corporelle et de réarmement aux albinos et à d’autres membres de son association. «Se laver régulièrement, porter des chemises aux manches longues, un chapeau et des lunettes pour se protéger du soleil, ne pas se sous-estimer et aller à l’école ou apprendre des petits métiers…», détaille-t-il.
Le courage de David Kanyanda l’a amené à épouser une femme de teint noir : «cette expérience m’a coûté mais c’était pour briser cette barrière entre nous», dit-il. Et pour briser les préjugés qui poussent les albinos à l’isolement, l’association APA n’exclut pas les personnes sans albinisme : «nous nous réunissons et marchons parfois ensemble ce qui ne se faisait pas avant pour ne pas s’attirer le regard des gens.»
Même s’il faut dire qu’aujourd’hui les gens se rapprochent de plus en plus des albinos, les préjugés à leur égard ont encore la dent dure dans la région.
« Le regard est encore si méfiant envers les albinos dans les écoles, églises et autres milieux et familles peu lettrés, où la perception n’a pas changé», rappelle David Kanyanda.
Seulement une partie des dépêches, que l'Agence Anadolu diffuse à ses abonnés via le Système de Diffusion interne (HAS), est diffusée sur le site de l'AA, de manière résumée. Contactez-nous s'il vous plaît pour vous abonner.