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RDC : Kabila-Katumbi, une poignée de réconciliation au coeur des interrogations (Analyse)

Ekip  | 03.06.2022 - Mıse À Jour : 03.06.2022
RDC : Kabila-Katumbi, une poignée de réconciliation au coeur des interrogations (Analyse)

Congo, The Democratic Republic of the

AA / Hakim Maludi

Simple geste symbolique ou acte à haute portée politique ? La poignée de main échangée entre Moïse Katumbi et Joseph Kabila le 22 mai dernier à Lubumbashi n’a de cesse de susciter les réactions et d’interroger sur ses finalités.

Jusqu’alors considérés comme ennemis jurés, les deux hommes semblent avoir mis leurs différends de côté après 7 ans de brouille, au moins le temps d’une messe consacrée au pardon et à l’unité katangaise.

Une rivalité tenace

Ils étaient en froid depuis 2015. Alors gouverneur de la province du Katanga, Moïse Katumbi quittait avec fracas le PPRD2 , puissant parti du président de la République d’alors, Joseph Kabila, pour se lancer en solitaire dans la course à l’investiture suprême.

Premier opposant pour les uns, traître pour les autres, Katumbi et son mouvement « Ensemble pour le changement » multipliaient les actions et manifestations pacifiques contre un éventuel « glissement » du mandat de Kabila au-delà de son terme.

Cible de nombreuses poursuites judiciaires depuis qu’il s’est déclaré candidat à l’élection présidentielle en 2017, Katumbi avait été contraint de s’exiler pendant 2 ans en Europe afin d’éviter une peine de prison au Congo.

Empêché par le pouvoir de pénétrer sur le territoire congolais pour déposer sa candidature à quelques mois des élections, il s’était résolu à adouber le candidat malheureux Martin Fayulu, affilié à son mouvement, pour la course à la présidentielle.

Outre la portée nationale de cette rivalité, l’opposition entre Katumbi et Kabila a, avant tout, profondément divisé la province du Katanga3 dont les deux hommes sont originaires.

Ultrapopulaire sur ses terres, l’ancien gouverneur Moïse Katumbi a longtemps été perçu comme l’héritier naturel des Kabila père et fils à la tête de la République démocratique du Congo.

Aujourd’hui, c’est cette figure de successeur naturel qui peut laisser penser que la fameuse poignée de main n’était autre qu’un passage de relais entre l’ancien chef de l’Etat et l’ancien gouverneur, au grand dam de certains Katangais qui auraient espéré un acte de réconciliation plus global.

Une réconciliation avant tout katangaise

Depuis son Indépendance le 30 juin 1960, la République démocratique du Congo a toujours vu sa vie politique fortement influencée, voire guidée, par les aspirations tribales ou régionales de ses acteurs.

La riche province du Katanga, qui avait marqué sa singularité en faisant temporairement sécession au lendemain de l’accession à l’Indépendance 4 , a toujours vu nombre de ses ressortissants jouer un rôle majeur sur l’échiquier politique national.

Forts de ce passé, les Katangais, qui saluent le geste de réconciliation de leurs deux leaders politiques phares, aimeraient tout de même que l’initiative aille bien au-delà de leurs seules individualités.

« Il importe de préciser d’entrée de jeu que toute initiative ayant comme objet de créer l'harmonie et la paix dans une famille quelconque, elle est salutaire », introduit Mohamed Eyenga, avocat au barreau de Lubumbashi et entrepreneur particulièrement actif dans la vie politique et associative du Katanga.

Il fait ici référence au Forum de réconciliation des Katangais, tenu sous l’égide de l’archevêque de Lubumbashi, Fulgence Muteba, au terme duquel la poignée de mains a eu lieu.

« Certains ont soutenu que cette réconciliation ne concernait que Joseph Kabila et Moïse Katumbi.

D'autres ont avancé que c'était une occasion en or pour les Katangais qui s'étaient sérieusement divisés à la fin du mandat de Kabila de parler le même langage et de laver leur linge sale en famille, comme on dit. D'autres enfin ont vu dans cette initiative des calculs électoralistes motivés non seulement par le fait que ce forum est organisé en 2022, soit une année avant 2023 qui est une année électorale, mais également du fait que les Katangais ont pu donner l'impression de ne jamais avoir digéré la perte du pouvoir en 2018 avec l’élection de Tshisekedi.

Somme toute, la clôture dudit forum semble donner raison aux tenants de ces trois thèses dans la mesure où non seulement la poignée de main entre Joseph Kabila et Moïse Katumbi à la messe de clôture donne l'impression de symboliser sa réussite, et chaque observateur pouvait lire et/ou comprendre certains propos prophétisant la victoire à la présidence de 2023 en faveur de celui entre les deux acteurs susmentionnés qui bénéficiera du soutien de l'autre ».

Derrière la réconciliation, un « but caché » ? Pour certains observateurs de la vie politique nationale, comme pour les membres de la société civile katangaise, cette réconciliation ne serait qu’un premier pas vers une volonté d’alliance entre Katumbi et Kabila à l’approche du démarrage de la campagne présidentielle.

S’ils se sont tous deux montrés particulièrement discrets durant le mandat du président Félix Tshisekedi, leur ambition d’accéder à l’investiture suprême n’en est pas moins restée intacte.

Pour Maryse Riziki, qui fut candidate aux élections législatives nationales et provinciales en 2018 pour la circonscription de Lubumbashi, le rapprochement entre Katumbi et Kabila ne doit ainsi rien au hasard.

Elle estime que ce geste, bien qu’encourageant, n’avait pour motivation que les enjeux électoraux à venir.

« La réconciliation entre frères, c'est quelque-chose à encourager et surtout en tant que croyants il n'y a aucun mal que les Congolais d'un même coin se parlent en vue de cultiver la paix, gage d'un développement d'une nation », résume-t-elle.

« L'objectif du forum étant la paix pour un développement du grand Katanga, on ne pouvait qu’applaudir cette initiative, mais malheureusement nous avons l'impression qu'il y'avait un objectif caché qui était celui de réconcilier ces deux personnalités. Moi, j’y ai vu une sorte de manœuvre entre acteurs politiques avec en ligne de mire les échéances électorales à venir ».

Si la démarche engagée par l’Église a rencontré un franc succès auprès des Katangais, beaucoup regrettent que ce dialogue ait été éclipsé par les deux poids lourds de la politique nationale.

Inespérée, voire inimaginable il y a quelques années encore, cette réconciliation entre Moïse Katumbi et Joseph Kabila a le mérite de susciter l’espoir dans leurs camps respectifs en ouvrant un nouveau chapitre dans le jeu des alliances politiques en République démocratique du Congo.

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  1. La rencontre a eu lieu en clôture du forum sur l'unité et la réconciliation des Katangais
  2. Parti du Peuple pour la reconstruction et la démocratie
  3. Démembrée en 2015, l’ex-Katanga est aujourd’hui subdivisé avec le Haut-Katanga, le Tanganyika, le HautLomami, le Lualaba.
  4. De 1960 à 1963, l’Etat du Katanga fut dirigé par moïse Tshombe avant d’être vaincu par les forces congolaises.
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