RDC : 17 Mai, le jour où des enfants soldats ont «pris le contrôle» de Kinshasa

Congo, The Democratic Republic of the
AA / Kinshasa / Pascal Mulegwa
"Nous étions accueillis comme des princes, des libérateurs, des héros", raconte, nostalgique, Ishara jeune congolais de 33 ans. Quand au petit matin du 17 Mai 1997, les rebelles de l’alliance des forces démocratiques de libération (AFDL) entrent dans la capitale de la République démocratique du Congo (RDC) Kinshasa, libérée des mains du maréchal Mobutu Sese-Seko qui dirigeait alors le pays d’une main de fer.
Ishara devenu homme d’affaires 10 ans après, n’avait alors que quatorze ans.
Sous commandement d'un chef militaire rwandais, James Kaberebe -qui fut l'aide de camp de l’actuel président rwandais Paul Kagame en 1994 avant d’être propulsé chef d'état-major de l’armée rwandaise puis ministre de la Défense-, des milliers de rebelles partis des montagnes de l’Est du pays à pieds vont conquérir Kinshasa sans coup de feu.
"Nous étions épuisés après plusieurs jours d’attente d’un assaut contre les militaires de Mobutu… Je me souviens qu’à l’époque nous portions des bottes en caoutchouc", se remémore Jonathan qui avait rejoint volontairement les rebelles depuis la ville de Goma (Est).
"C’était un samedi", se souvient Jeanine, fonctionnaire devenue commissionnaire dans l’immobilier.
"Nous étions massés le long des grandes avenues pour accueillir ces petits accompagnés des Rwandais. Les adultes n’étaient pas nombreux dans leurs rangs. On entonnait des chants à leur gloire comme pas possible, On était dégouté de Mobutu, des dérives et la répression", ajoute cette soixantaine.
Après huit mois de rude bataille et d’alliances avec les forces étrangères, les petits Kadogo sous la direction de Laurent Désiré Kabila, devenu plus tard président de la République, vont marcher sans casse sur Kinshasa. Les Etats-Unis ayant demandé aux rebelles de ne fouler le sol de Kinshasa qu’après le départ de Mobutu.
Bien avant, Mobutu avait déjà opposé une farouche résistance aux rebelles à Kenge dans l’ex-Bandundu à 268 kilomètres de Kinshasa.
Plus de 200 personnes dont des civils, militaires et rebelles avaient alors été tués lors de violentes affrontements, selon l’Eglise catholique locale.
-Le départ du maréchal
Après la chute de Kenge, les rebelles avancent. Mobutu compte sur son armée et refuse de céder la capitale, mégapole à plusieurs millions d’habitants.
La veille du 17 Mai, Kinshasa se réveille dans la peur. Les habitants craignent le pire : la bataille annoncée entre les Forces armées zaïroises (FAZ) et les rebelles (AFDL) largement soutenus par le Rwanda, l’Ouganda et d’autres pays voisins.
Ce jour-là, les enfants soldats et des militaires Rwandais rampaient dans les encablures de Kinshasa après avoir battu les forces loyalistes, une semaine plutôt à Kenge.
Les Kinois (habitants de Kinshasa) déconnectés des réalités en provinces "avaient foi en l’armée, et espéraient que celle-ci allait défendre la ville. C’est d’ailleurs ce que nous faisaient également croire les militaires", se souvient Philémon, 71 ans.
Un long cortège quittait la résidence présidentielle et se dirigeait vers l’aéroport de Ndjili à Kinshasa. "Nous avons alors compris que ça en était fini pour Mobutu après trente-deux ans de règne", confie Philémon.
Mobutu n’a pas aussitôt quitté son Zaïre légendaire qu’il chantait à travers le monde. Il se rend d’abord à Gbadolite (Nord), avant de débarquer à Lomé, la capitale du Togo.
De son côté, le chef d’Etat major de l’armée, le général Donatien Mahele avait demandé à ses troupes démoralisées de ne pas tenter de résister, mais a été assassiné la nuit même par la garde présidentielle, qui le qualifiait de "traitre".
Quand les "Kadogo" (nom donné aux soldats de l'AFDL, qui comptait de nombreux enfants dans ses rangs) prennent le contrôle de Kinshasa, Laurent-Désiré Kabila leur chef idéologique est alors à Lubumbashi (Sud-est).
Il rebaptise le Zaïre en République démocratique du Congo et s'autoproclame sans tarder président de la République. Le 20, il arrive à Kinshasa. Les Congolais espèrent alors un changement radical dans la vie de l’Etat qui doit être refondé.
Le 29 Mai, Kabila prête serment devant des milliers de Kinois et ses partisans au stade des Martyrs et nomme James Kabarebe, le chef militaire rwandais, directeur de son cabinet.
Le 7 septembre de la même année, Mobutu décède au Maroc. Sa dépouille qui n’a jamais été rapatriée en RDC, repose encore dans un cimetière de Rabat.
- "Ils ont vite changé"
Jonathan, Ishara et leurs camarades qui étaient admirés par les Kinois se sont vus marginalisés. "Les gens n’ont plus fait la part de choses. On [y compris ceux qui nous ont accueilli comme des héros] a commencé à nous assimiler aux Rwandais, à des assassins ou des voleurs" témoigne Jonathan.
"Nos supérieurs rwandais et certains de nos frères congolais commençaient à appliquer la loi de la jungle. Ils torturaient les gens sans motif, ils nous poussaient à tracasser les Kinois ; voler etc …", complète son camarade Ishara avec qui ils tiennent actuellement une affaire dans le centre de Kinshasa.
"Ces militaires venus de l’Est n’étaient plus les mêmes ils ont vite changé. Le régime de Kabila-père nous a ramené dans l’ère Mobutu", regrette Jeanine.
Après avoir pris le pouvoir, Kabila, taxé d’avoir renversé Mobutu à l’aide des étrangers, prend ses distances avec Kigali fin juillet 1998. Un revirement d'alliance qui atteint ses apogées avec le limogeage de Kabarebe et le renvoi du contingent militaire rwandais en RDC.
Chassées de Kinshasa, les troupes rwandaises et quelques officiers congolais révoltés forment le rassemblement congolais pour la démocratie (RCD). La rébellion se base à Goma, ville frontalière avec le Rwanda. Ainsi éclate, la deuxième guerre du Congo (1998 – 2003), faisant plusieurs millions de morts.
En Janvier 2001, Kabila est assassiné par un Kadogo. Son fils Joseph, 29 ans, lui succède comme dans un royaume. Élu président en 2006, lors des premières élections libres dans le pays, Kabila se fait réélire en 2011.
A la fin de deuxième mandat, Kabila à qui la Constitution interdit de briguer un troisième mandat, est resté en fonction.
Aujourd’hui, ceux qui furent enfants-soldats, ont chacun une histoire à raconter. Si Jonathan et la plupart de ses camarades ont repris leurs études, certains ont rejoint l’armée loyaliste, mais d’autres, plus nombreux, ont préféré les rangs des milices de l’Est du pays.