Pourquoi le Rwanda veut-il renouer avec l'Afrique francophone?
"Notre développement dépend de nos bonnes relations avec tous nos frères d'Afrique, c'est pourquoi il est temps de nous rapprocher de toutes les composantes du continent." (ministre rwandaise des Affaires étrangères à Anadolu)

Kigali
AA/ Kigali/ Henri de Marie
Le Rwanda qui entretient depuis de longues années d'étroits rapports politiques et économiques avec l'Afrique anglophone, montre aujourd'hui un intérêt croissant pour l'Afrique francophone qu'il avait pourtant longtemps "boudé", en raison de relations "tendues" avec la France, remarquent des experts abordés par Anadolu.
Ce regain d'intérêt s'est manifesté par la réintégration, en août dernier, de la Communauté économique des Etats d'Afrique Centrale ( CEEAC) ainsi que par les nombreuses visites effectuées par le président Paul Kagame dans ces pays francophones.
Trois principales motivations se cachent derrière ce regain d'intérêt du Rwanda envers les pays francophones: il s'agit, avant tout, d'une prise de position face au désavouement des grandes puissances anglophones notamment les Etats Unis et la Grande Bretagne du troisième mandat que le président Paul Kagame compte briguer en 2017. Un mandat rendu possible grâce à une réforme constitutionnelle adoptée par référendum le 18 décembre 2016.
Si le Rwanda se tourne vers l'espace francophone, c'est aussi pour des ambitions économiques, notent des experts. L'Afrique francophone étant un marché de taille que le Rwanda gagnerait à conquérir pour améliorer ses performances en la matière.
D'autres observateurs estiment que l'attention portée par Kigali à ces pays cache surtout une opération séduction conduite par le président Paul Kagame afin de "s'ériger en nouveau leader du panafricanisme".
"Notre développement dépend de nos bonnes relations avec tous nos frères d'Afrique, c'est pourquoi il est temps de nous rapprocher de toutes les composantes du continent.", a déclaré à Anadolu la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo.
Déclaration qui reflète clairement le nouveau positionnement stratégique de Kigali qui après avoir adhéré, en 2009 à la Commonwealth (Organisation intergouvernementale composée de 52 États membres qui, pour la plupart, sont d'anciens territoires de l'Empire britannique) et décidé, en 2008, de faire de l'anglais sa langue d'enseignement, ne cache plus son intérêt pour d'autres contrées du continent.
Pour certains observateurs les visites effectuées par Kagame, depuis octobre 2015, dans six pays de l'espace francophone- Algérie, Maroc, Tchad, Congo Brazzaville, Gabon et Guinée en 2016 et celles reçues de dirigeants tels le Béninois Patrice Talon, le Congolais Sassou N'guesso et l'Equato-Guinéen Teodoro Obiang Nguema, reflètent clairement que Kigali a changé de cap et qu'elle ne veut plus se confiner dans l'espace anglophone.
D'autant que les deux principales puissances anglophones qui ont toujours soutenu ce pays, à savoir les Etats-Unis et la Grande Bretagne ont clairement signifié leur désavouement du troisième mandat de Kagame, fait remarquer le journaliste Oswald Umutuyeyezu.
Si le président rwandais n'a pas encore séduit tout le monde, il peut déjà se targuer d'avoir la sympathie d'un grand nombre de chefs d'Etats d'Afrique francophone, notamment pour le succès économique et la bonne gouvernance, indique à Anadolu, Maurice Mahounon, spécialiste des relations internationales. Pour le géopoliticien " Kagame charme les pays francophones pour mieux puiser dans le réservoir traditionnel de la France en lui signifiant qu'en dépit de ses relations tendues avec l'Hexagone, le Rwanda a même des alliés parmi les amis de la France".
Des économistes interrogés par Anadolu soutiennent, quant à eux, que si le Rwanda se tourne vers les pays francophones c'est essentiellement pour des finalités économiques. Le chef de l'Etat rwandais, adepte de la coopération sud-sud, profite de ces opportunités pour mieux positionner les entreprises de son pays.
"Ce sont de nouveaux débouchés pour l'économie rwandaise qui a besoin de renflouer ses exportations pour équilibrer sa balance de paiement", note dans une déclaration à Anadolu, l'économiste Teddy Kaberuka. Il cite, notamment, les accords récemment signés entre le Rwanda et le Congo Brazzaville pour l'exportation de fruits et de produits laitiers vers ce pays.
Même si le pays peut déjà se vanter de performances économiques exceptionnelles (avec un taux moyen de croissance du PIB réel d'environ 8 % par an depuis 2001- selon la BM), il a besoin de diversifier ses partenaires pour exporter ses biens et services, selon la même source. Pour y arriver, le gouvernement s'attèle, notamment, sur le développement de ses connexions aériennes avec les principales capitales francophones.
Créée en 2002, ce n'est qu'en 2011 que la compagnie aérienne gouvernementale, RwandAir a lancé son premier vol vers l'espace francophone: Libreville, la capitale du Gabon. Depuis d'autres lignes aériennes ont été lancées par la compagnie notamment vers Abidjan, Cotonou, Brazzaville et Douala.
Un choix qui reflète selon Jean-Paul Nyirubutama, directeur d’exploitation de RawndAir, cité par Jeune Afrique " la volonté d'être une plaque tournante entre la façade atlantique et l’Afrique anglophone".
Outre des ambitions économiques révélées,, le rapprochement entre Kigali et les pays francophones du continent reflète pour nombre d'observateurs, l'ambition de Kagame de s'ériger en nouveau leader du panafricanisme, à l'image de Thomas Sankara (ancien président burkinabé) ou de Mouammar Kadhafi (ancien dirigeant libyen).
La quête d'une indépendance politique africaine transparaît dans la plupart des discours de Kagame, notent ces observateurs qui le comparent déjà au leader burkinabé Thomas Sankara ou encore au Ghanéen Kwame Nkrumah.
" En analysant ses discours, on se rend compte que Paul Kagame est un panafricain. Et il séduit davantage les jeunes car c'est leur idéal de voir une Afrique forte et prospère, celle promise par le panafricanisme", a déclaré à Anadolu l'écrivain Alexis Nizeyima.
" Depuis la mort de Kadhafi, les panafricains sont orphelins, et comme la nature a horreur du vide Paul Kagame exploite cette fibre. Mais je pense qu'il n'a pas les moyens dont disposaient le guide libyen pour incarner réellement cette vision." a conclu Maurice Mahounon, spécialiste des relations internationales.