Nord-Mali: Les forces internationales empêcheront-elles une extension régionale du conflit?
- Pour Pierre Bertet, consultant indépendant en questions sécuritaires maliennes, seul un programme politico-militaire viable permettra de lutter efficacement contre le terrorisme
France
AA/France/Esma Ben Said
La lutte antiterroriste dans le Nord du Mali s’enlise ces derniers mois tandis que l’instabilité persistante commence à contaminer les voisins à savoir le Niger et le Burkina Faso.
Et ni les forces internationales, ni l’armée malienne ne pourront empêcher cette extension, estime Pierre Bertet, consultant indépendant en questions sécuritaires maliennes, contacté par Anadolu.
- L’instabilité au Mali s’étend au Burkina et au Niger
Les attaques perpétrées par les groupes terroristes et par les trafiquants ne cessent de se multiplier dans le Nord-Mali et les pays voisins.
Dimanche, un sergent-chef a été tué par des individus non-encore identifiés dans le Gourma, zone de Tessit, près de la frontière avec le Niger.
Le 9 juillet dernier, une embuscade attribuée à des «djihadistes» dans la localité de Menaka (Nord du Mali) a fait huit morts dans les rangs de l'armée malienne, selon un bilan officiel.
Au même moment, dans la localité malienne de Benana (Centre) près de la frontière burkinabé, les forces de sécurité maliennes parviennent a repoussé un assaut de cinq présumés « djihadites », a rapporté l’armée malienne sur son site d’informations officiel.
Le 5 juillet, cinq soldats ont été tués et trois autres blessés après une attaque qui a visé Midal (Niger), dans le Tamesna, non loin de la frontière avec le Mali.
Commentant ces dernières attaques, le représentant spécial des Nations unies en Afrique de l'Ouest, Mohamed Ibn Chambas, avait déclaré, la semaine passée : « Le conflit au Mali s'étend désormais au Burkina Faso et au Niger, avec une forte augmentation des attaques de groupes extrémistes dans les régions frontalières ces derniers mois ».
S’exprimant devant le Conseil de sécurité de l’ONU à New York, Ibn Chambas avait également indiqué que les provinces du nord du Burkina Faso et les régions de l’ouest du Niger étaient particulièrement touchées.
La région de Liptako-Gourma, à la frontière entre Mali, Burkina Faso et Niger, « a connu une expansion significative des violences et des activités terroristes au cours des derniers mois, y compris des attaques transfrontalières coordonnées contre les postes de sécurité et le pillage de communautés aux frontières », avait-il ajouté.
- Les forces de l’ONU au Mali veulent empêcher l’extension du conflit
La Mission de l’ONU au Mali (Minusma) a assuré vouloir, dans la mesure de ses moyens, éviter que le conflit au Mali dont les causes sont à la fois ethniques, criminelles et djihadistes, « ne devienne trop régional ».
Des propos prononcés lundi par le général-major belge Jean-Paul Deconinck, à la tête des quelque 13.000 Casques bleus que compte la mission.
« On évite, avec les partenaires, que le problème ne devienne trop régional et exporté », avait expliqué à Bamako, face à des journalistes, le commandant entré en fonction le 11 avril dernier.
Selon le général, les trafiquants de drogue -trafic qui « rapporte le plus », dit-il- d’êtres humains et marchands d’armes ne se soucient guère des frontières et établissent à chaque fois de nouvelles zones provisoires dans la région.
Au delà de motivations « soit-disant » religieuses, « on a affaire à des groupes qui tiennent absolument à protéger leurs acquis, leurs routes, leurs flux économiques », a relevé le commandant belge, évoquant la « superposition » et l'imbrication » des trafics en tout genre dans la région.
Le général avait également justifié les nombreuses attaques menées par des groupes armés contre les forces de l’ONU par le fait que ces dernières sont « là pour rétablir l’ordre et la sécurité ».
« Cela veut dire que l’on les dérange » dans leurs activités, avait-il dit en référence aux groupes armés et aux réseaux criminels.
-La force Sahel du G5 :
Pour juguler la menace terroriste dans la bande du Sahel, début juillet, le président français, Emmanuel Macron, avait annoncé lors d’un sommet avec les états du G5 Sahel (Mali, Niger, Burkina Faso, Mauritanie, Tchad) le lancement de la force conjointe de lutte contre le terrorisme.
Déployée dans un premier temps aux confins du Mali, du Burkina Faso et du Niger, la force du G5 soutenue par la France, s’ajoutera à l’opération française Barkhane (4 mille soldats) qui traque les « djihadistes » dans le Sahel et à la Mission de l’ONU au Mali (Minusma). Elle devrait démarrer dès le mois d'août avec environ 5.000 hommes fournis par les cinq pays, qui ambitionnent de doubler cet effectif à terme, à conditions d’obtenir les financements nécessaires.
Mais pour Pierre Bertet, les forces internationales n’empêcheront probablement pas l’extension de la menace dans la région.
« Si les armées du G5 de l’ONU et de la France étaient en mesure de faire quoique ce soit, nous aurions déjà vu des résultats ces trois dernières années. Le lancement de la force du G5 n’ y changera pas grand chose. Ce n’est qu’un moyen pour la France de garder la mainmise sur son pré carré », soutient-il.
« Il est d’ailleurs tout à fait logique que les menaces qui pointaient en direction de la France et des forces internationales au Mali, s’étendent désormais à toute la sous-région », note encore l’expert.
Pourtant, assure-t-il, « le problème militaire qui dure depuis des années dans la région, pourrait être résolu en quelques semaines et ce, sans l’intervention de forces étrangères qui ont mauvaise presse dans la région ».
Il faudrait pour cela, dit-il, « qu’un véritable projet militaro-politique viable, calibré aux besoins, capacités et ressources réelles du pays, soit mis en place ».
- Le plan « C » du gouvernement
Pour mieux lutter contre le terrorisme dans le Nord du Mali, le gouvernement malien a décidé de changer de stratégie en proposant notamment de nouvelles réformes politiques.
Le président malien Ibrahim Boubacar Keita a ainsi prévu un investissement à hauteur de plus de 2000 milliards de FCFA (plus de 3 milliards d’euros) dans un vaste plan de développement pour les régions septentrionales du Mali, lit-on dans la presse malienne.
Ce programme qui s’étale sur 10 à 15 ans, permettra d’améliorer la gouvernance, l’accès aux services sociaux de base et au renforcement des infrastructures et ainsi de mieux lutter contre le terrorisme qui puise son origine dans les inégalités sociales et les disparités de développement, selon les observateurs politiques.
