Marzouki : "La peine de prison prononcée contre moi est une décision politique" (interview)
- L'ancien président tunisien Mohamed Moncef Marzouki, dans une interview accordée à l'Agence Anadolu : "Je vais ignorer le jugement et poursuivre le cours normal de ma vie et mon activité politique, tant en Tunisie que dans le monde arabe"

Tunisia
AA / Tunisie / Yosra Ouannès
L'ancien président tunisien, Mohamed Moncef Marzouki, a estimé que la peine de prison prononcée à son encontre était une "décision politique" et une réaction à ses appels répétés à "renverser le coup d'Etat et à poursuivre son instigateur."
Marzouki a déclaré lors d'une interview accordée à l'Agence Anadolu, qu'il répond aux questions mais pas aux insultes ou aux accusations, "surtout quand elles sont ridicules et proviennent d'un putschiste contre la constitution (en référence au président Kaïs Saïed).
Mercredi, un tribunal tunisien a condamné, par contumace, Marzouki (76 ans) à quatre ans de prison ferme, pour "atteinte à la sécurité de l'Etat", alors que l'ancien président conteste l'accusation d'incitation contre son pays.
Début novembre, la justice tunisienne a émis un mandat d'arrêt international à l'encontre de Marzouki, suite à ses déclarations du mois d'octobre dans lesquelles il affirmait avoir cherché à contrecarrer la tenue du sommet de la Francophonie dans son pays à la fin de cette année.
Alors que le sommet devait se tenir sur l'île de Djerba, au sud-est de la Tunisie, en novembre dernier, le Conseil permanent de la Francophonie a recommandé son report à l'année prochaine, tout en préservant le droit de la Tunisie de l'accueillir.
Saïed a annoncé, à la mi-octobre, que le passeport diplomatique serait retiré "à tous ceux qui sont allés quémander à l'étranger et nuire aux intérêts tunisiens".
Cette mesure faisait suite à des accusations formulées par le Syndicat du corps diplomatique (qui comprend des employés du ministère des Affaires étrangères), selon lesquelles Marzouki aurait incité les autorités d'États étrangers à prendre des mesures punitives contre son pays, ce que Marzouki a nié, estimant qu'il s'agissait de "mensonges".
** Ignorer le jugement
En réponse à une question sur les mesures qu'il prendra après le verdict prononcé à son encontre, Marzouki a déclaré qu'il en fera body_abstraction, poursuivant le cours normal de sa vie et de son activité politique, tant en Tunisie que dans le monde arabe.
Marzouki, qui se trouve actuellement en France, a estimé que l'objectif principal du verdict rendu à son encontre est de le décourager de retourner dans son pays.
Et d'ajouter : "J'ai demandé aux frères sur le terrain de déterminer le moment propice pour mon retour afin que celui-ci contribue à accélérer le retour de la légitimité... et dès qu'ils me donneront le feu vert, je rentrerai en Tunisie."
**Effondrement économique
Marzouki a estimé que la Tunisie "est retombée dans la situation qui prévalait avant la révolution (...) régime autocratique sans fards, police, retour aux anciennes pratiques, procès politiques, et autres, puis le retour des grèves et des privations comme c'était le cas sous le régime de (l’ancien président Zine El Abidine) Ben Ali ".
Il a estimé que la Tunisie "se dirige vers un effondrement économique et une asphyxie politique complète, autrement dit, vers une situation semblable à celle du Liban, et c'est ce que nous ne permettrons pas."
Marzouki a déjà appelé, en de précédentes occasions, à "destituer Saïed et le traduire en justice, puis à aller vers des élections présidentielles et législatives anticipées. "
Concernant son évaluation des mouvements entrepris par des détracteurs de Saïed, il a déclaré : "Le front qui s'est formé pour faire face aux mesures d'exception de Saïed est divisé sur la présence du mouvement Ennahdha (qui dispose du plus grand bloc parlementaire), que les forces révolutionnaires tiennent pour responsable du retour de l'ancien régime."
Et de poursuivre : "Ce front se formera grâce au putschiste (en référence au président tunisien), qui unit tout le monde contre lui."
Des fronts opposés aux mesures d'exception de Saïed se sont formés ces derniers mois, à l’instar de la coordination des partis sociaux-démocrates, qui comprend le "Courant démocrate", le "Forum démocratique pour le travail et les libertés", le "Parti républicain", ou encore le collectif "Citoyens contre le coup d'État", composé de personnalités politiques, de militants et d'activistes des droits de l'Homme.
La Tunisie traverse une grave crise politique depuis le 25 juillet dernier, après que le président du pays, Kaïs Saïed, a adopté des mesures d'exception, dont notamment le gel des prérogatives du Parlement, la levée de l'immunité de ses députés, la suppression de l'organe de contrôle de la constitutionnalité des lois, la promulgation de lois par décrets présidentiels, le limogeage du Premier ministre et la formation d’un nouveau gouvernement.
La majorité des forces politiques du pays rejettent ces décisions et les assimilent à un "coup d'État contre la Constitution", tandis que d'autres forces les soutiennent et y voient une "correction du cours de la révolution de 2011", qui a renversé le président de l'époque, Zine El Abidine Ben Ali (1987-2011).
*Traduit de l’Arabe par Mourad Belhaj