Madagascar : Un bras de fer politique et constitutionnel sans fin*
- Le 26 mai 2015, les députés de Madagascar votent la destitution du Président Hery Rajaonarimampianina. Bien qu'il ait été maintenu à sa place, cette procédure marque le début d’une crise interminable.

Antananarivo
AA/Antananarivo/Sandra Rabearisoa
Il y a 7 ans, jour pour jour, dans la soirée du 26 mai 2015, les députés de Madagascar ont voté la destitution du Président Hery Rajaonarimampianina. Décision adoptée avec une majorité écrasante puisque 121 députés sur les 125 votants ont été favorables à la destitution, contre 4 refus seulement. Déposée auprès de la Haute Cour Constitutionnelle, cette requête de destitution pour motif de « haute trahison » est survenue alors que le Chef de l’Etat, élu en décembre 2013, n’en était qu’à la 2ème année de son quinquennat. Le non- respect de la séparation des pouvoirs exécutif et législatif ainsi que la violation de la Constitution dus au manquement à la mise en place de la Haute Cour de Justice (HCJ), figurent parmi les charges reprochées au Chef de l’Etat. Moins d’un mois après le vote, le 13 juin 2015, la Haute Cour Constitutionnelle de Madagascar (HCC) s’est prononcée en émettant une décision de rejet. Le motif de destitution étant considéré comme « non fondé » selon la décision des juges constitutionnels.
Toavina Ralambomahay, analyste politique et membre du parti « Humaniste et écologique » (opposition), pointe du doigt le rôle de la Haute Cour Constitutionnelle (HCC) dans la tournure des évènements à cette époque. « La Cour a préféré l’ordre à la justice. Alors qu’il y avait déjà à cette époque une violation de la Constitution par le régime en place, c'est-à-dire la non mise en place de la Haute Cour de Justice, elle a préféré protéger le Président », affirme- t- il.
- Le processus est déclenché
Bien que le président ait été maintenu à sa place, cette procédure de destitution est annonciatrice d’un climat politique tendu entre le régime en place et l’opposition. Une étape qui marque le début d’un bras de fer politique sur fond de contestations liées à la Constitution. A preuve, la situation politique se détériore 3 ans après cette première destitution. En 2018, le Président Hery Rajaonarimampianina est de nouveau la cible d’une nouvelle requête de 73 députés aux fins de déchéance. A partir du 21 avril 2018, 73 députés issus de l’opposition ont initié une manifestation sur la place du 13 mai à Analakely, dans la capitale malgache Antananarivo. Un mouvement qui va s’étendre sur plusieurs semaines et aboutira à une requête aux fins de déchéance du Président de la République. Saisie le 11 mai, la Haute Cour Constitutionnelle malgache a ordonné, dans une décision prise le 25 mai 2018 et publiée sur son site officiel, la nomination d'un gouvernement d'union nationale sans toutefois destituer le chef de l'Etat. La HCC estime que « la requête des 73 députés est recevable et que la non mise en place de la Haute Cour de Justice (HCJ) est constatée ». Le principal motif des députés dans leur requête était la non mise en place de cette Haute Cour de Justice, qui devait être mise sur pied au moins un an après la prestation de serment du Président. Cette Cour devait, en principe, juger les hautes personnalités de l’Etat pour des infractions liées à leurs fonctions. D’après toujours la décision de la HCC, le Président est tenu de « mettre fin aux fonctions du gouvernement et procède à la nomination d’un Premier ministre de consensus, dans un délai de 7 jours pour compter de la publication de la présente Décision, sur une liste d’au moins trois noms, conformément aux dispositions de l’article 54 de la Constitution ».
La HCC décide également la tenue d’une élection anticipée en indiquant que « le gouvernement de consensus mis en place arrête avec la CENI (Commission électorale nationale indépendante), l’organisation d’une élection anticipée durant la saison sèche au cours de cette année 2018 mais sous réserve des possibilités techniques, matérielles et financières réelles assurant des élections libres, honnêtes et transparentes ».
- « Politique politicienne »
Pour le Général retraité et analyste politique, Ramakavelo Désiré, cette décision de la HCC est « la preuve d’une violation flagrante de la Constitution ». La Cour qui, d’après lui, s’est constituée en simple arbitre en suggérant aux acteurs politiques de « s’arranger », au lieu de jouer son rôle d’instance judiciaire. Il relève aussi plusieurs anomalies lors de cette crise dont les dessous, selon ses termes, relèvent de la pure manœuvre « politique politicienne ». Il remet aussi en question la démarche des députés qui ont opté pour une descente dans la rue au lieu d’un débat au Parlement. Concernant le contexte actuel, cet officier retraité de l’Armée et ancien ministre de la Défense estime que certains points ayant trait à une violation de la Constitution persistent jusqu’à aujourd’hui. A titre d’exemple, il évoque la nomination de gouverneurs des régions qui, à son avis, tranche avec les dispositions de la Constitution faisant mention de « chefs de région ». Pour rappel, durant sa campagne électorale, le Président Andry Rajoelina avait promis la nomination de gouverneurs et l’a concrétisé une fois au pouvoir, lors du conseil des ministres qui s’est tenu le 25 septembre 2019.
Au début du mois de novembre 2019, le président du Sénat de l’époque et leader du parti « HVM » (Parti de l’ex – président Rajaonarimampianina) Rivo Rakotovao, avait saisi la HCC pour contrôle de constitutionnalité de cette disposition liée à la nomination des gouverneurs. Dans une décision en date du 29 novembre 2019, la Haute Cour Constitutionnelle affirme que la nomination de gouverneurs est déclarée conforme à la Constitution car « il s’agit d’une simple dénomination » et « en conséquence, le changement d’appellation de chefs de région en Gouverneurs ne contrevient pas aux dispositions constitutionnelles ». Malgré cette déclaration de conformité à la Constitution, l’opposition continue de marteler qu’il s’agit d’une violation de la Constitution. Pour éviter d’autres litiges liés à des questions de violation de la Constitution, le Général Ramakavelo va jusqu’à suggérer la dissolution de la Haute Cour de Justice et la Haute Cour Constitutionnelle.
- « L’Etat est fragile »
La faible participation citoyenne risque aussi d’être un frein à une véritable avancée démocratique. D’après toujours, Toavina Ralambomahay, « l’Etat est fragile car les fondamentaux de la démocratie ne sont pas ancrés dans la vie des Malgaches ». Il considère que les Malgaches ne participent pas assez à la vie politique. Par ailleurs, il déplore l’absence de renouvellement de la classe politique. « Lors des prochains scrutins présidentiels, on risque encore de s’acheminer, pour la énième fois, vers un nouveau duel entre Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina », confie-t-il. Les deux hommes se sont déjà affrontés lors des élections en 2018 conduisant à la victoire de l’actuel Président Rajoelina. Cet auteur du livre « Madagascar dans une crise interminable » ne manque pas, à son tour, de souligner que certains points de la Constitution malgache demeurent encore problématiques et risquent de replonger le pays dans une nouvelle crise institutionnelle. Il évoque notamment, l’article 46 qui stipule que « le Président de la République en exercice qui se porte candidat (…) démissionne de son poste 60 jours avant la date du scrutin présidentiel ». Selon lui, cette disposition « doit être modifiée car le Président doit rester au pouvoir qu’il soit candidat ou pas ». Les analystes s’accordent ainsi à dire que Madagascar risque encore de s’engouffrer dans de nouvelles crises tant que certaines dispositions édictées par la Constitution ne sont pas révisées à défaut d’être respectées à la lettre.
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