Madagascar : Le Grand Sud en quête d’eau pour survivre
-Cela fait plus de deux décennies que le Sud de Madagascar fait face à un phénomène de sècheresse. La situation a empiré ces trois dernières années, confrontant le pays à une période de famine ou « Kere » sans précédent

Antananarivo
AA/Sandra Rabearisoa/Antananarivo
En perpétuelle dégradation. C’est ainsi que les différents acteurs qualifient la situation de sècheresse qui prévaut à Madagascar.
D’après les statistiques officielles publiées par le Ministère de l’environnement et du développement durable en 2021, 12 sur les 22 régions de Madagascar, soit plus de 30% du territoire national, sont touchées par la sècheresse et la désertification.
Les régions Melaky, Atsimo Andrefana, Anosy et Androy sont les plus concernées. Deux régions à savoir l’Androy et l’Anosy, situées dans la partie Sud du pays, sont davantage fragiles car enclin à une sècheresse intense. Le phénomène se manifeste par la raréfaction des êtres vivants sur un territoire ainsi que la difficulté des habitants à survivre. Selon toujours le ministère, la sècheresse et la désertification sont étroitement liées à la dégradation de l’environnement dues aux mauvaises pratiques comme la déforestation, la destruction de l’écosystème et les feux de brousse. A cela s’ajoute les aléas liés au changement climatique.
La sècheresse dans le Sud de Madagascar est un fléau qui ne date pas d’hier. D’après le docteur Tsibara Mbohoahy, Enseignant chercheur à l’Université de Toliara et environnementaliste expert en conservation et en valorisation des ressources naturelles, la partie Sud de l’île est en proie à la sècheresse depuis plus de deux décennies. « Le phénomène remonte aux années 80. Chaque année, la partie Sud fait face à des rafales de vent appelé « Tiomena ».
Cette tempête de vent qui s’accompagne de poussières ou de sables recouvre alors les terres cultivables. Au cours de ces deux ou trois dernières années, nous avons remarqué que le « Tiomena » s’intensifie et apparait presque tous les mois. Il arrive même qu’il survient plusieurs fois en un mois », explique-t-il.
Ce « Tiomena » fait des dégâts en ravageant entièrement les terrains cultivables et rend les sols complètement infertiles. En d’autres termes, il s’agit d’une sorte d’érosion éolienne qui emporte tout sur son passage. D’après ce spécialiste, la base du problème est surtout l’insuffisance voire l’absence de pluies qui serait imputé au changement climatique. Ces aléas climatiques accentuent la sècheresse et la désertification dans le Sud car empêche les activités agricoles et réduit à néant toute forme de végétation. Cet expert martèle que l’eau constitue l’unique solution.
Le Gouvernement avait déjà annoncé un projet de mise en place d’un pipeline afin de transporter l’eau depuis une rivière vers les zones asséchées.
En attendant, le docteur Tsibara Mbohoahy suggère de procéder à la désalinisation des eaux de mer en vue de les transformer en eau douce, qui sera plus potable. L’eau pourrait ainsi être utilisée pour les besoins quotidiens des habitants mais également pour les activités agricoles et les reboisements. Le Sud a besoin de plus de végétation pour pouvoir rétablir le cycle de la pluie. «Il faudrait également valoriser les recherches scientifiques qui offrent de multiples alternatives comme l’utilisation des énergies éoliennes », déclare – t – il.
Cette situation de sècheresse a un impact négatif considérable au niveau de la population du Grande Sud car rime avec famine ou « Kere ».
Détresse alimentaire et humanitaire
« Depuis 2019 jusqu’à cette année 2022, les eaux de pluies se font rares voire inexistantes sauf pour les périodes cycloniques. Le nombre de la population du Sud ne cesse d’accroitre alors que l’eau se fait rare. Du coup, les habitants n’ont rien à se mettre sous la dent et se contentent des fruits du cactus pour survivre », confie Tsinjo Rahaingoarivelo, Directeur de programme au sein de l’association « Terres des hommes ». Parmi ses activités, cette organisation suisse mène des interventions dans la partie Sud, à l’instar du district de Betroka, en distribuant des vivres aux habitants victimes du « Kere ». Des actions qui s’inscrivent dans le cadre d’une réponse humanitaire face à la détresse de la population. Cette Responsable de l’association « Terres des hommes » affirme que la situation de sècheresse risque encore de s’empirer dans les prochaines années. Par conséquent, elle préconise également l’adduction en eau comme unique solution à long terme pour résoudre définitivement le problème. Outre cette association, de multiples organisations et organismes internationales dont le Programme Alimentaire Mondiale (PAM) travaillent dans le Sud pour venir en aide à la population en situation de détresse alimentaire.
Malgré les aléas climatiques, la responsabilité humaine dans ce phénomène de sècheresse n’est pas minime. « Le problème chez nous c’est qu’une grande partie de la population n’est pas consciente de la menace qui pèse sur notre environnement. Malgré la situation de sècheresse, des gens sont encore capables de détruire le peu de végétation qui reste en les brûlant pour en faire du charbon de bois ou du bois de chauffe », témoigne Remaky. Ce jeune père de famille a habité à Andrehareha, un petit village du Sud avant de se déplacer dans la ville de Toliara avec sa famille pour fuir la sècheresse. Comme lui, beaucoup d’autres familles du Sud choisissent de quitter leurs villages pour trouver des terrains plus fertiles. D’autres rejoignent les littoraux pour y pratiquer des activités de pêche et se nourrir. D’après toujours le témoignage de ce père de famille, quand la sècheresse frappe fort, l’eau s’achète par petit gobelet. Et encore, il ne s’agit pas d’eau salubre, mais juste ce qu’il faut pour étancher la soif. A défaut de nourritures, les gens jettent leur dévolu sur les fruits du cactus rouge. Remaky estime qu’en dehors des aides ponctuelles, les autorités et les associations doivent aussi sensibiliser la population locale sur la préservation de l’environnement.
Le Gouvernement malgache en partenariat avec différents partenaires dont le Projet des Nations Unies pour le développement (PNUD) mène depuis quelques années un programme de fixation des dunes sur plus de 18 000 ha. Le programme consiste à la plantation de végétaux comme le sisal pour fixer les dunes et éviter les tempêtes de sable. En 2021, le Ministère de l’environnement annonce aussi l’installation de brise – vents sur 170km sur le bord de la mer et la promotion des activités agricoles pour lutter contre la sècheresse tout en aidant la population locale.
Toutes les projections des prochaines années prédisent une intensification de la sècheresse. D’après Ibrahim Thiaw, Secrétaire exécutif de la CNULCD (Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification) : « les sécheresses ont toujours fait partie des écosystèmes humains et naturels, mais ce que nous vivons actuellement est bien plus grave, essentiellement en raison de l'activité humaine. Les récentes sécheresses laissent présager un avenir incertain pour la planète. Les pénuries alimentaires et en eau ainsi que les incendies de forêt causés par la sécheresse sévère se sont tous intensifiés ces dernières années ». Entre 1900 et 2019, les sécheresses ont touché 2,7 milliards de personnes dans le monde et causé 11,7 millions de décès. Actuellement, les prévisions estiment que d'ici 2050, les sécheresses pourraient toucher plus des trois quarts de la population mondiale.