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Libye: Paris réussira-t-elle là où Skhirat a échoué?

-Les deux principaux rivaux de la crise libyenne se sont mis d'accord pour la tenue d'élections au printemps prochain lors d'une rencontre tenue sous l'égide de Macron en région parisienne.

Self Eddine Trabelsi  | 26.07.2017 - Mıse À Jour : 26.07.2017
Libye: Paris réussira-t-elle là où Skhirat a échoué?

Tunis

AA /Tunis/Seif Eddine Trabelsi

La rencontre, qui s'est tenue, mardi, entre le Chef du gouvernement libyen d'Union nationale, Fayez Essaraj, reconnu par la Communauté internationale, et le général Khalifa Haftar, commandant des forces relevant de la chambre des députés de Tobrouk (Est), sous les auspices de la France, marquera-t-elle vraiment un tournant dans la crise libyenne ? Rien n'est moins sûr.

- Le rôle de la France dans la sortie de crise libyenne

Le nouveau président français Emmanuel Macron a fait du dossier libyen une de ses priorités s'inscrivant ainsi dans la continuité de son chef de la diplomatie et ex-ministre de La Défense, Jean-Yves Le Drian.

Les frères ennemis libyens se sont donc rencontrés, mardi, en région parisienne sous l'égide de Macron, et se sont engagés à décréter un cessez-le-feu et à organiser des élections rapides (au printemps prochain) pour sortir leur pays du chaos.

Lors d'une conférence de presse tenue à l'issue de la réunion dans l'enceinte du château Celle Saint-Cloud, proche de Versailles dans le Sud de région parisienne, le président français s'était réjoui de l'accord trouvé et avait salué "le courage historique" des deux rivaux libyens.

Essaraj et Haftar, "peuvent devenir les symboles de la réconciliation nationale", ayant la " légitimité pour rassembler autour d'eux les autres factions en Libye", avait déclaré le chef de l'Etat français.

Pourtant, malgré une Déclaration commune des deux protagonistes libyens, les chances que Paris puisse atteindre ses objectifs, à savoir "stabiliser la Libye", paraissent minces.

La Déclaration commune en dix points, diffusée par l'Elysée, contient deux points phares : la tenue d'élections au printemps prochain et l'arrêt des opérations militaires en dehors de celles qui s'inscrivent dans le cadre de la guerre contre les groupes terroristes.

Ce dernier point laisse, toutefois, une large fenêtre ouverte au général Haftar qui n’hésite pas a qualifier ses opposants aussi nombreux soient-ils, de "terroristes".

Quant à la tenue d'élections l’année prochaine, il convient de rappeler que la Libye a déjà organisé trois élections , deux Législatives et une Municipale (2012 et 2014), sans que cela n'ait réussi pour autant à sortir le pays de la crise.

L'élection de 2014, qui a abouti à la mise en place du parlement de Tobrouk (zone sous contrôle militaire de Haftar) a accentué les divisions. En effet, plusieurs députés opposés à Haftar ont refusé de se rendre à Tobrouk pour participer aux travaux de l'institution législative.

Un autre défi se pose est celui d’organiser des élections dans un pays qui compte des milliers de miliciens , sans unité territoriale et où les acteurs politiques ne peuvent pas se déplacer en sécurité.

A cela s'ajoute la question des conditions politiques nécessaires à la tenue d’élections. Plusieurs acteurs influents du conflit libyen ne sont pas dans une logique de "compétition électorale", mais plutôt dans une volonté d'éradiquer leurs opposants par les armes. Les acteurs politico-militaires n’accepteront donc probablement pas le verdict des urnes.

Il est en effet difficile d’envisager que le général Haftar, qui dissout les conseils municipaux, démocratiquement élus, pour les remplacer par des gouverneurs militaires, accepte, sans mal, le résultat des urnes.

D’autant plus que Haftar, qui affiche clairement son admiration pour le président égyptien Abdel Fatah Essisi, ne cache pas son ambition de dupliquer le modèle égyptien en Libye, de prendre les pleins pouvoirs par la force des armes et de militariser la vie politique.

Une ambition militaire dont il n’a visiblement pas les moyens, plus de trois ans après le lancement de l’opération militaire Al-Karama ("dignité"). Les combats font toujours rage à Benghazi (Est), qui a fait près de dix milles morts et des dizaines de milliers de déplacés, selon un bilan établi par plusieurs organisations internationales.

De plus, et malgré une avancée militaire sur le croissant pétrolier en mars dernier, l’expansion de Haftar vers l’Ouest libyen semble être compromise. Des affrontements militaires avec les forces militaires de la ville de Misrata risquent d'éclater. Ces forces sont toutefois largement supérieures à celles du général.


- Le rôle de la sous région

Un des obstacles majeurs à la paix en Libye est le rôle joué par certains pays de la région. D'après le dernier rapport des experts de l'ONU (juin) , les Emirats arabes unis auraient ainsi participé indirectement au conflit en armant et en finançant la guerre que mène le commandant de l’opération "Al-karama" à Benghazi.

Le même rapport souligne que la guerre en Libye n’a été rendue possible que par le soutien de ces pays étrangers qui financent et arment les acteurs du conflit libyen et ce, malgré la résolution 1970 du Conseil de sécurité qui impose un embargo sur les armes en Libye.


Le dernier défi face aux efforts de Paris, réside dans la légitimité et la capacité des deux hommes à instaurer la paix.

Fayez Essarraj et Khalifa Haftar ne représentent en effet qu’une partie des acteurs du conflit libyen et nombre d’acteurs du paysage libyen ne se reconnaissent ni dans l’un ni dans l’autre dans un paysage caractérisé par les fractures (régionales, politiques, idéologiques, tribales et ethniques).

Les fractures les plus visibles sont celles entre l’Est et l’Ouest, entre partisans de l’ancien Régime qui considèrent Essarraj et Haftar comme les produits de la révolution du 17 février et de l'ingérence étrangère à la fois, et ceux de la révolution du 17 février très divisé aujourd’hui.

Il y a aussi les oubliés du dialogue libyen sous l’égide de l’ONU, partisans de l’ancien Régime dont le poids tribal est conséquent, aujourd’hui de plus en plus présents et structurés politiquement.

Enfin, il y a les forces politiques et militaires de l'Ouest qui se sont opposées à l’accord de Skhirat, et qui se font de plus en plus nombreuses et bruyantes, notamment dans la ville de Misrata, l’un des bastions de la révolution du 17 février.

Ces forces ne sont ni représentées par Essarraj et encore moins par le général Haftar contre qui ils affichent une farouche opposition puisqu'ils sont contre tout retour à un régime militaire.

Si l'idée de trouver un accord entre Essarraj et Haftar afin d’instaurer la paix en Libye, semble, en apparence séduisante, elle reste néanmoins très limitée puisque les autres acteurs fondamentaux du paysage libyen n'ont pas été invités à la table des discussions à Paris.

Des députés et des hommes politiques libyens avaient signé le 17 décembre 2015, dans la ville de Skhirat au Maroc un accord parrainé par l'ONU pour sortir le pays du chaos. L'accord prévoyait la mise en place d'un gouvernement d'Union nationale et d'un Conseil présidentiel, au début d'une période de transition de deux ans qui s'achèverait par des élections législatives.

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