Analyse, Afrique

Libye : Haftar lorgne trois villes de la ceinture de Tripoli (Analyse)

Mona Saanouni  | 13.10.2020 - Mıse À Jour : 13.10.2020
Libye : Haftar lorgne trois villes de la ceinture de Tripoli (Analyse)

Libyan

AA / Istanbul

Le ministre libyen de la Défense, Salah Eddine al-Namrouch, n'avait jamais adressé auparavant de mises en garde à l'armée régulière au sujet d'une imminente attaque des milices du général putschiste Khalifa Haftar tel qu’il l’a fait, lundi dernier, bien que la mobilisation ne se soit pas arrêtée, depuis l'expulsion de ces milices du sud de la capitale Tripoli et des villes de l'ouest du pays.

Cependant, ce qui attire le plus l’attention dans la déclaration du ministre à l’adresse des chefs des zones militaires et à la cellule des opérations de la zone de l’ouest, est sa mise en garde contre une « attaque imminente » de Haftar et de ses mercenaires sur plusieurs régions, mentionnant, entre autres, les villes de Béni Walid (180 Km au sud-est de Tripoli), de Tarhouna (90 Km au sud-est de la capitale) et de Gharian (100 Km au sud de Tripoli).

Après ces mises en garde, le porte-parole de Haftar, Ahmed Mesmari a démenti formellement toute préparation d'une attaque contre Tripoli, alléguant qu'ils demeurent attachés au cessez-le-feu, mais le ministère de la Défense confirme la présence d’un faisceau d'indices qui justifient ses prévisions d'une probable attaque.

**Les trois villes de la ceinture

Les villes de Béni Walid, de Tarhouna et de Gharian ont joué un rôle stratégique dans l’attaque lancée par les milices de Haftar contre Tripoli, le 4 avril 2019, et qui a duré 14 mois, avant que l'armée libyenne ne parvienne à les défaire et à les expulser de la ville de Syrte (450 Km à l'est de Tripoli) et de la base aérienne d'al-Djoufrah, située à 650 kilomètres au sud-est de la capitale.

La ville de Béni Walid a constitué un important point d’approvisionnement pour les troupes de Haftar stationnées à Tarhouna, dès lors que cette ville dispose d'un aéroport civil qui a été utilisé dans le transport des mercenaires, des armes et des fonds, de même qu'elle est située sur la ligne d'approvisionnement terrestre reliant la base d’al-Djoufrah aux lignes de front au sud de Tripoli.

Quant à Tarhouna, c’est depuis cette ville qu’a démarré le 9ème régiment, la plus sauvage et barbare des milices de Haftar, en direction de Tripoli où ce régiment a perpétré des massacres collectifs dont ont été victimes des civils et des prisonniers de l’armée libyenne.

Tarhouna a constitué une épine dans la gorge de la capitale et le dernier pivot des milices de Haftar qui est tombé aux mains des forces gouvernementales après la libération de Gharian et de la base aérienne d’al-Wattia ainsi que des villes du littoral occidental.

Par ailleurs, les milices ont pris de Gharian une base principale de leur attaque sur Tripoli, avant que l'armée gouvernementale ne la libère le 26 juin 2019, dans ce qui constituait un coup de massue qui a affaibli l'attaque de Haftar sur Tripoli et l’a incité à focaliser l'attention sur les axes en provenance de Tarhouna.

** Mobilisation dans le sud et infiltration dans les rangs des immigrants

Al-Namrouch a dévoilé dans une interview accordée à la chaîne de télévision « Libya Febrayer » (privée) un mouvement de convois de milices et de mercenaires étrangers dans la région du Sud (région du Fezzan), précisant qu'il est probable que ces troupes n’accèdent pas dans la région de Hameda (au sud de la localité de Chouiref, 400 Km au sud de Tripoli) puis de la ville de Gharian,

Il a évoqué également le mouvement de troupes depuis la base aérienne de Barrak-Chott (700 Km au sud de Tripoli) vers les champs pétroliers.

Le ministre a parlé, par ailleurs, de l'infiltration de mercenaires loyaux à Haftar à Béni Walid et à Tarhouna, sous couvert de l'immigration clandestine, dans le but de récupérer des armes cachées dans les deux zones.

Il est établi que les milices de Haftar, qui étaient stationnées dans la base aérienne d’al-Wattia (140 Km au sud-ouest de Tripoli) ont fui avec toute leur lourde artillerie, vers les villes de Zenten et de Rajben (170 Km au sud-ouest de Tripoli).

De même, les milices du 9ème régiment de Tarhouna (ouest) ont fui à leur tour avec toutes leurs munitions vers la région orientale, à l'instar des milices d’al-Hboutat dans la zone de Werchfena (45 Km au sud de Tripoli) et des milices de Adel Daa’b de Gharian et qui attendent tous qu’une autre occasion se profile à eux pour reprendre leurs positions desquelles elles ont été expulsées.

Vendredi dernier, un avion militaire des milices de Haftar a survolé la zone de Bougrine (110 kilomètres au sud de la ville de Misrata) et qui a été contré par les défenses antiaériennes de l'armée libyenne.

Cependant, il est probable que cet avion s'emploie à induire en erreur les forces gouvernementales pour leur faire croire que la prochaine attaque sera opérée à partir de Bougrine vers Misrata (200 Km à l'est de Tripoli), tandis que les milices s'emploieront à contourner Misrata, et à progresser à partir de la base d'al-Djoufrah vers Béni Walid, en passant par les zones molles de Chouiref et depuis la base de Barrak-Chott vers Gharian en passant également par Chouiref.

L'armée libyenne a observé, depuis le mois de juin dernier, l'atterrissage dans des aéroports de l'est de la Libye, tout particulièrement ceux d’al-Joffra et d’al-Ghardhabiya, d'un grand nombre d'avions militaires chargés d'armes, de munitions et de mercenaires de la compagnie russe Wagner, parmi lesquels se trouvent des éléments syriens fidèles au Régime de Bachar al-Assad.

Citant un diplomate occidental, le journal britannique « The Guardian » a rapporté que des armes émiraties sont transférées depuis les bases aériennes égyptiennes à bord de camions (vers l'est de la Libye) ou par des avions de Haftar ».

Le pont aérien, que ce soit depuis les Emirats, de la Russie ou de l'Egypte n'a pas été suspendu depuis des mois et ces équipements militaires et mercenaires ne peuvent être mobilisés avec cette intensité que pour un objectif bien déterminé.

** A la recherche d'une position sur la carte politique

Il semble que Haftar est désormais en dehors de l'équation politique, en raison de l'accord conclu entre les délégations du Haut Conseil d'Etat et de la Chambre des députés de Tobrouk, dans la ville marocaine de Bouznika et à la suite de la tenue de la Conférence de Berlin II, dans l'attente de la prochaine réunion en Tunisie de la Mission onusienne avec des représentants des différents protagonistes libyens dans le but de choisir un nouveau Conseil présidentiel.

Le général putschiste tente par tous les moyens de détourner l'attention à travers le lancement d'une nouvelle opération militaire, afin de prendre le contrôle de Tripoli, voire de faire bouger la situation sur le terrain afin de reprendre son rôle en tant que partie au dialogue.

Cependant, la donne a changé dès lors que l'armée libyenne, avec le soutien de son allié turc, est devenue plus forte, à la faveur notamment des drones de fabrication turque, sont en mesure de disperser et de cibler tout convoi des milices de Haftar qui progresse à travers un désert ouvert et sans aucune couverture.

De plus, le camp de l’est n'est plus uni. En effet, Aguila Salah, président de la chambre des députés de Tobrouk a adhéré, dans le cadre d’une feuille de route onusienne, sous des auspices internationaux, à un dialogue avec le gouvernement libyen légitime et le Haut Conseil d'Etat à Tripoli. Ainsi, Haftar perdra une importante couverture politique à toute attaque contre la capitale.

A l'exception des milices en provenance de l'ouest, il n'y a plus de jeunes de l'est du pays qui font montre d'un enthousiasme et d'entrain requis pour s'engager dans une guerre perdue, qui de surcroît lointaine de centaines de kilomètres de leurs maisons, particulièrement après la négligence qu’ils ont subie après la défaite de Tripoli.

Ajoutons à cela la situation économique, qui est au bord de l'effondrement, après que les recettes pétrolières sont devenues quasiment nulles, alors qu'elles dépassaient les 50 milliards de dollars, il y a de cela 8 ans. De même, le taux d'endettement général a dépassé le PIB de 270%, ce qui signifie que ni le peuple ni le pays ne sont aptes et capables d'assumer le fardeau et les charges d'une nouvelle aventure de Haftar.

*Traduit de l'arabe par Hatem Kattou

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