Les Peuls du Niger, lassés de l'insécurité dans le nord du Mali

Niamey
AA/Niamey/Balima Boureima
La communauté peule (éleveurs musulmans) du Niger est en souffrance. L'insécurité qui règne dans le nord du Mali voisin les frappe de plein fouet. Attaques terroristes à répétition, viols, pillages de leur troupeaux... Aux confins des frontières entre les deux pays, arpentées par différents groupes terroristes, colère et désespoir sont devenus le lot quotidien de milliers de peuls, selon des témoignages recueillis par Anadolu.
Troisième groupe ethnique du Niger, composé essentiellement d'éleveurs, les peuls se trouvent dans toutes les régions du Niger avec une présence plus marquée dans le centre-est (Maradi), l’est (Diffa) et le Nord-Ouest (Nord Tillabéry) du pays, frontalier du Mali.
Mais depuis février dernier, les populations peules ont plongé dans l'horreur et dénoncent des exactions commises par de présumés ex-rebelles maliens, à savoir des combattants soupçonnés d'appartenir aux groupes d'autodéfense Touareg du Mali (Gatia et MSA) qui collaborent avec Bamako et la force française Barkhane dans le cadre de la lutte anti-terroriste.
D'après plusieurs témoignages recueillis par Anadolu, mais aussi selon l'ONU, ces combattants multiplieraient les incursions en territoire nigérien, s'en prenant aux populations peules. Des allégations que les deux groupes rejettent fermement.
« Nous avons du quitter nos campements et nos villages pour nous mettre à l'abri contre les attaques des éléments venus du Mali » a témoigné à Anadolu Biga Dottia ressortissant d'un village du département de Mangaïzé situé dans le Nord du Niger à la frontière du Mali, et rescapé d'une récente attaque.
Dottia raconte que des éléments armés s'en prennent régulièrement aux villageois. "Ils viennent frapper les hommes,violer les femmes et repartent avec notre bétail", déplore-t-il.
« Ces personnes sont toutes membres du Groupe d’autodéfense Touareg Imgad et alliés (GATIA-pro-Bamako) et du Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA) » accuse pour sa part Boubacar Diallo, président du Conseil des éleveurs nord Tillabery.
« Ces deux mouvements du Mali font des incursions sur le territoire nigérien où ils pillent les puits pastoraux et allument des feux de brousse pour détruire les pâturages, volent nos biens et violent nos femmes » explique-t-il à Anadolu.
Selon lui depuis 2013, plus de 100 personnes ont perdu la vie à la suite des attaques visant les communautés situées dans la région de Tillabéry au Niger, ainsi que des localités maliennes Ménaka et Gao. Des sources onusiennes parlent, d'une cinquantaine de morts.
« Nous avons enregistré 46 morts en novembre 2013, 43 en juillet 2017 et tout récemment nous avons dénombré plus de 40 personnes tuées au Niger par des éléments de GATIA et du MSA » a précisé le président du Conseil des éleveurs nord Tillabery.
Dans une déclaration rendue récemment public et dont Anadolu a eu copie, la communauté peul du Niger estime que « l’alliance GATIA MSA et autres intervenants dans le conflit nord Mali sont devenus une véritable machine d’extermination injuste et inhumaine des communautés du Nord Tillabéry et particulièrement les peuls qui restent leur cible stratégique. »
Proches des forces déployées dans le Nord Mali dans le cadre de la lutte anti-terroriste, les deux groupes dits d’autodéfense sont même accusés par les Peuls « d’épuration ethnique ».
« Sous couvert de traquer Daech en collaboration avec la force Barkhane du Mali au plus haut niveau, le GATIA et le MSA en profitent pour se venger, au nom d'antécédents de conflits communautaires ayant conduit à des confrontations meurtrières entre les peuls pasteurs du Niger et les communautés Daoussak et Imgad du Mali », a ajouté Diallo qui reproche également aux autorités nigériennes de collaborer avec ces groupes.
Une accusation que récuse vivement Niamey, qui a assuré, par la voix de son ministre de l'Intérieur Mohamed Bazoum, qu'il n'y a aucune collaboration entre l'armée nigérienne avec les deux groupes, qui, d'après le ministre, ne représentent pas une armée officielle.
Estimant que le gouvernement nigérien ne peut être tenu pour responsable des actions de groupes communautaires, le ministre n'a pas nié que ces ex-rebelles pouvaient effectivement se retrouver sur le territoire nigérien, faute de frontières bien déterminées.
De son côté, le leader du MSA, Moussa Ag Acharatoumane a catégoriquement réfuté l'accusation d'incursion en territoire nigérien, affirmant par ailleurs, dans un communiqué, qu'il y a « une coalition qui est là, constituée du MSA et du Gatia, qui collabore d’abord avec son armée nationale, c’est-à-dire l’armée malienne, ensuite avec les partenaires de notre pays, c’est-à-dire la force Barkhane ».
Le leader a poursuivi en confiant que « l’armée nigérienne est active le long de sa frontière, avec ses partenaires français », (la force Barkhane), sous-entendant, selon les observateurs, qu'une alliance entre Niamey, Bamako, Barkhane et les deux groupes d'auto-défense n'était pas exclue.
Ag Acharatoumane a toutefois précisé que s’il y a « des opérations qui sont en cours dans cette zone, des coordinations, de la communication et des échanges de renseignements », ses combattants n’ont « pas le droit d’aller sur le territoire nigérien pour faire quoi que ce soit. C’est le Niger qui s’occupe de son territoire, avec ses partenaires ».
Le leader rappelle, dans le même temps, que « l’armée malienne et l’armée nigérienne, chacune a le droit de poursuivre sur le territoire de l’autre, un droit qui est souvent mis en avant pour justifier des actions menées çà et là par les différentes armées ».
MSA et Gatia, ont en outre, tous deux rejetées des " “allégations scandaleuses et honteuses” face aux accusations d'exactions.
Pourtant, les deux groupes se sont souvent opposés, par le passé, aux communautés peuls, pour des questions liées aux pâturages et points d'eau.