Analyse, Afrique

Les pays du Maghreb et la Libye : Unanimité sur la solution et divergence sur la voie à emprunter (Analyse)

- L’Algérie et la Tunisie coordonnent leurs positions, le Maroc s’attache à l’Accord de Skhirat avec une possibilité d’amendement, et la Mauritanie intervient du haut de la tribune des Etats du Sahel

Mona Saanouni  | 06.08.2020 - Mıse À Jour : 06.08.2020
Les pays du Maghreb et la Libye : Unanimité sur la solution et divergence sur la voie à emprunter (Analyse)

Istanbul

AA / Istanbul

Une dynamique maghrébine inédite s’accélère depuis plusieurs mois, en vue d’identifier une solution politique à la crise libyenne, sur fond de la mobilisation de chacun des deux protagonistes du conflit de ses forces au niveau de la ligne de démarcation « Syrte – Joffra » et de la menace proférée par l’Egypte d’armer les membres des tribus libyennes et d’intervenir militairement dans son voisin de l’ouest.

Parallèlement aux efforts déployés par l’Algérie et la Tunisie, deux pays frontaliers de la Libye, le Maroc a joint les efforts internationaux, tandis que la Mauritanie affiche son inquiétude quant à l’impact de la détérioration sécuritaire en Libye sur la stabilité des Etats du Sahel africain,, en l’occurrence, la Mauritanie, le Burkina Faso, le Mali, le Tchad et le Niger.

La Libye souffre, depuis des années, d’un conflit armé. Avec le soutien de nombre de pays arabes et occidentaux, les milices du général putschiste à la retraite, Khalifa Haftar, dispute le pouvoir et la légalité au gouvernement libyen, internationalement reconnu, dans ce pays riche en pétrole.

Les contacts et initiatives relatifs au dossier libyen s’intensifient depuis que l’armée libyenne ait engrangé, au cours de la période écoulée, une série de victoires qui lui ont permis de débarrasser la région occidentale du pays, y compris la capitale Tripoli, de toute présence des milices de Haftar.

** L’Algérie : Aucune alternative à la solution politique

Depuis l’accès de Abdelmajid Tebboun à la magistrature suprême, à la fin de l’année 2019, l’Algérie intensifie ses contacts diplomatiques pour résoudre la crise libyenne, à travers sa participation à la Conférence de Berlin, le 19 janvier dernier, avant d’abriter, quatre jours plus tard, une réunion des 6 pays limitrophes de la Libye (Algérie, Tunisie, Soudan, Niger, Tchad, Egypte) et du Mali, qui ne partage pas de frontières avec la Libye.

Tebboun a reçu, à maintes reprises, les protagonistes du conflit en Libye, représentés par le président du Conseil présidentiel, Fayez al-Sarraj, et le président de la chambre des députés qui se tient à Tobrouk (est), Aguila Salah (soutien des milices de Haftar), ainsi que le président du Haut Conseil de l’Etat, Khaled Méchri et d’autres hauts responsables libyens.

L’Algérie a été également en contact permanent avec les parties internationales influentes dans le dossier libyen, à l’instar de la visite du président turc, Recep Tayyip Erdogan, à Aller, et les discussions régulières entre les ministres des Affaires étrangères des deux pays.

Le ministre algérien des Affaires étrangères, Sabri Boukadoum, a rencontré son homologue russe, Serguei Lavrov, à Moscou, et sont convenus de lancer un mécanisme de coordination pour résoudre la crise libyenne.

L’Algérie coordonne ses positions avec la Tunisie et l’Egypte, dans le cadre d’un mécanisme tripartite de concertation. Cependant, le fait que le Caire ait décidé unilatéralement d’un plan d’intervention militaire et d’armement des tribus libyennes a suscité l’ire de l’Algérie, ce qui a poussé son président à alerter quant à la gravité de la chose et mis l’accent sur l’impératif qu’il y a à identifier une solution politique. A la suite cette déclaration, une visite prévue de Aguila Salah en Algérie a été reportée.

L’Algérie a accueilli, la semaine passée, le ministre saoudien des Affaires étrangères, Faycal Ben Farhan, en provenance d’Egypte. Boukadoum a reçu également un entretien téléphonique de son homologue libyen, Mohamed Siyala.

L’approche algérienne est fondée, selon Boukadoum, sur trois principes, en l’occurrence, « la solution pacifique et le refus de la solution militaire, un cessez-le-feu et le début des pourparlers, ainsi que le rejet de toute ingérence étrangère ».

L’Algérie a exprimé, plus d’une fois, sa disposition à accueillir un dialogue entre les protagonistes du conflit libyen, d’autant plus qu’elle bénéficie du respect des deux parties.

** La Tunisie : la solution dans la Conférence des Tribus

La vision de la Tunisie pour la résolution de la crise libyenne est quasiment conforme avec celle de l’Algérie. Une vision fondée sur la reconnaissance de la légalité du gouvernement libyen à Tripoli et la confirmation d’une solution interlibyenne tout en rejetant l’option militaire et en restant à équidistance des deux protagonistes du conflit.

A l’instar de l’Algérie, le président tunisien, Kais Saied, a reçu, récemment, le ministre saoudien des Affaires étrangères, à qui il a souligné l’impératif d’une solution politique en Libye.

De même, la ministre tunisienne intérimaire des Affaires étrangères, Selma Ennaifer, a reçu un appel téléphonique de son homologue libyen, Siyala, pour l’assurer du soutien de son pays au gouvernement libyen légal.

En accueillant l’émir de l’Etat du Qatar, cheikh Tamim Ben Hamad, à la fin du mois de février, Kais Saied avait résumé l’approche tunisienne en Libye. Il s’agit, selon lui, de la nécessité de « réunir les tribus libyennes à nouveau, dès lors qu’elles disposent de la légitimité, ce qui est balise la voie à une légalité électorale », sans ingérence étrangère, l’objectif étant que le peuple libyen recouvre sa souveraineté et choisir, ainsi, ses gouvernants.

Cependant, l’idée de réunir les tribus en conférence, à l’instar de la Loya Jirga en Afghanistan (Grande réunion), n’a pas été accueillie favorablement par le gouvernement libyen légal, ni par les acteurs politiques et les intellectuels de l’est du pays (où dominent les milices de Haftar), considérant que les tribus jouent un rôle social et non pas politique.

** Le Maroc : Amendement de l’Accord de Skhirat

N’étant pas été invité à la Conférence de Berlin, en dépit du rôle qui est le sien dans l’accueil de l’Accord de Skhirat parrainé par les Nations Unies, en 2015, le Maroc est revenu au devant de la scène libyenne pour jouer un rôle.

En effet, le Maroc a reçu, la semaine passée, séparément et simultanément, Khaled Mechri et Aguila Salah. Les deux responsables libyens ne se sont pas rencontrés.

L’approche marocaine est basée sur le refus de la multiplication des initiatives et l’affirmation du reste de l’Accord de Skhirat, signé, le 17 décembre 2005, tout en ouvrant la porte à la possibilité de son amendement.

A côté de l’Algérie, de l’Egypte et de la Tunisie, la tournée du chef de la diplomatie saoudienne a concerné également le Maroc, ce qui signifierait que le Maroc a décidé de réserver sa place parmi les pays actifs dans le dossier libyen.

** La Mauritanie : une solution via le Sahel

Compte tenu de la longue distance qui sépare la Mauritanie de la Libye, et de l’absence de frontières ou de tribus communes entre les deux pays, et au vu de la faiblesse des échanges commerciaux bilatéraux et de la multiplicité des intervenants internationaux dans ce dossier, Nouakchott ne fait pas preuve d’entrain pour s’immiscer dans le dossier libyen.

Néanmoins, ce qui inquiète le plus la Mauritanie dans ce dossier demeure la dimension sécuritaire qui impacte sur sa sécurité nationale.

Après l’effondrement du régime de Mouammar Kadhafi en Libye, en 2011, les armes se sont proliférées de manière intense dans la région du Sahel africain et généré une détérioration inédite de la situation sécuritaire dans la région, en particulier au Mali, au Niger, au Burkina Faso et au Tchad, et en degré moindre la Mauritanie.

Ces cinq Etats forment le groupe du Sahel, conduit par la France pour faire face aux groupes armés dans la région.

L’inquiétude affichée quant à la dimension sécuritaire a poussé le président mauritanien, Mohammed Ould Ghazouani, à appeler, lors de l’ouverture du Sommet Etats du Sahel-France, le 30 juin dernier, à ce que la solution de la crise libyenne, constitue une priorité de la coalition de soutien au Sahel, dès lors que cette crise est la « cause de la détérioration de la sécurité dans la région, du moment que les groupes armés alimentent la région en armes, bombes et drogues ».

L’approche mauritanienne pour la résolution de la crise libyenne est fondée sur la l’aspect sécuritaire et son impact négatif sur la stabilité dans la région, d’autant plus que deux parmi les Etats du Sahel, en l’occurrence, le Niger et le Tchad, partagent de longues frontières avec la Libye.

Néanmoins, la France (accusée de soutien aux milices de Haftar) est celle qui conduit cette coalition, aux plans politique, militaire et économique. Ainsi, il est difficile que la Mauritanie puisse prendre position seule en dehors de ce groupe. En dépit de sa reconnaissance du gouvernement libyen légal, il n’en demeure pas moins que son influence sur la situation en Libye est toujours modeste en comparaison avec les autres pays maghrébins.

Globalement, les pays du Maghreb arabe partagent tous la nécessite de parvenir à une solution politique, le rejet de la solution militaire en Libye et la reconnaissance de la légalité du gouvernement de Tripoli.

Cependant, les visions de ces pays à la solution diffèrent. Si l’Algérie et la Tunisie coordonnent leurs positions dans le cadre des pays limitrophes de la Libye, le Maroc s’attache à l’Accord de Skhirat avec une possibilité d’amendement, et la Mauritanie intervient du haut de la tribune des Etats du Sahel.

Jusqu’à présent, aucune coordination n’a été élaborée entre ces pays dans le cadre de l’Union du Maghreb Arabe (UMA) fondée en 1989 et qui compte comme membres, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye et la Mauritanie.

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